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Mathieu Herzog : « Il y a pour la musique classique un grand intérêt à croiser des chemins. »

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Interview
23 juillet 2024
Alors que le chef d’orchestre et altiste Mathieu Herzog vient de prendre les rênes du Festival de Glanum, il évoque sa vision et ses préoccupations artistiques.

Infos sur l’œuvre

Détails

Mathieu Herzog, vous venez d’être nommé directeur artistique du Festival de Glanum à Saint-Rémy-de-Provence. Ce festival existe depuis 2015, ces dernières années le jazz s’y invitait de plus en plus souvent, et en 2024 la musique du monde est à l’honneur. Dans quelle mesure avez-vous participé à la conception de l’édition actuelle et comptez-vous continuer dans cette voie entre projets classiques et d’autres plus populaires ?

Mon prédécesseur Henri Demarquette avait plus ou moins fini la programmation de l’édition 2024. Le festival et Henri avaient invité mon orchestre, Appassionato, à jouer, et moi-même à diriger. Évidemment, j’ai été impliqué dans quelques décisions d’ordre du programme et autres. En ce qui concerne le concert de ce soir, le récital de Pretty Yende, il faut savoir qu’elle voulait venir l’année dernière, mais sa mère est décédée et elle s’est retirée du projet, tout en promettant de revenir avec le même programme. Tout cela était donc sur les rails.

Pour ce qui est de la deuxième question : oui, je vais continuer dans cette direction. Je suis directeur artistique, mais j’ai un conseil d’administration qui est décisionnaire. C’est-à-dire que je propose des choses, je donne mon avis, mais si le conseil estime que cela ne convient pas, je m’incline, je cherche d’autres solutions. C’est le désir du conseil et je pense que c’est adapté à Glanum. Si, par exemple, nous voulions faire un programme Beethoven-Mozart, on en a toute la saison à Paris, à Aix, à Lyon, à Toulouse. L’été c’est pour faire quelque chose de différent, mélanger la danse, la musique populaire, le théâtre. Malheureusement, nous ne pouvons pas faire de la vidéo, ce dont je suis très friand. J’aime ce mélange des genres et je pense qu’il y a pour la musique classique un grand intérêt à croiser des chemins. C’est sans doute pour cela que le conseil d’administration m’a fait confiance. J’aime beaucoup l’idée de libéraliser la musique classique. Je trouve parfois le moment du concert un peu poussiéreux et enfermé dans des codes, qui sont des faux codes sans aucune valeur historique, et qui se sont installés doucement. Depuis un siècle, on a l’impression qu’un concert doit être un moment presque religieux : on rentre, on est dans le noir, on se tait, il y a un Monsieur qui arrive, qui nous tourne le dos. Je pense que c’est une erreur. Dans notre époque, on se doit de communiquer avec notre public, de s’adresser à lui par exemple en mélangeant les genres. Il y a deux jours, nous avons fait un concert chorégraphié autour de Carmen avec une troupe de danse contemporaine qui s’inspirait de classique, de hip-hop, de contemporain, de jazz. C’est absolument merveilleux parce que c’est cela le monde moderne.

Avec votre orchestre Appassionato, vous avez enregistré des œuvres de Jean Cras ou Florence Price – de véritables trouvailles – mais aussi de Philip Glass. Envisagez-vous de donner une place à la musique contemporaine dans le cadre du festival ?

Je suis totalement pour la création contemporaine, à deux cents pour-cent. Et aussi pour aller chercher des œuvres moins connues, ce qui est toujours notre démarche avec Appassionato. Nous avons une série à la Seine Musicale, qui s’appelle « Vous trouvez ça classique ? », où je commente des œuvres de répertoire. Un de mes grands désirs c’est de commander une pièce de quelques minutes à un compositeur ou une compositrice différent à chaque fois, pour offrir au public une pièce qu’ils n’auront jamais pu entendre. Cependant, cela pose de nombreux problèmes : l’argent, le temps, la construction, la qualité. Même Mozart, Beethoven, Schubert ont fait des ratés. Je me concentre donc un peu plus sur des œuvres déjà écrites. Car une autre des grandes questions qui me concernent est le non-renouvellement du répertoire. Nous sommes enfermés dans un certain nombre de compositeurs, qui eux-mêmes sont prisonniers d’un certain nombre d’œuvres. On en arrive finalement à quelque chose d’assez restreint. Il y a des symphonies de Mahler, de Tchaïkovski, de Chostakovitch qui ne sont jamais jouées, alors que d’autres le sont tout le temps, parfois pour des raisons étranges. L’Adagietto de Mahler par exemple ; il n’y aurait pas eu La Mort à Venise, aujourd’hui Mahler ne serait pas vu de la même façon. Il faut le reconnaître. Le cinéma et le théâtre peuvent aider. Même quelqu’un comme Wolfgang Korngold ne rentre dans la conscience du public que depuis une quinzaine d’années. Vous programmez le Concerto pour violon de Mendelssohn, tout le monde accourt, cela ne vaut pas pour celui de Korngold. Mais ça va venir. Si vous proposez par exemple un programme consacré uniquement à Dutilleux, vous êtes quasiment sûr d’avoir une salle vide. Peut-être pas à Paris, peut-être pas à Berlin, et encore. C’est un grand problème qui est notre responsabilité à tous. Compositeurs, interprètes, programmateurs, nous avons à un moment perdu le public pour la création. Mêmes les compositeurs les plus célèbres – je pense à Thomas Adès ou Jörg Widmann – en souffrent. Si demain Kurtág écrivait une nouvelle symphonie, je ne suis pas sûr que tout le monde irait l’écouter, alors que c’est un des grands génies des XXe et XXIe siècles. Je pense que la redécouverte d’un répertoire déjà écrit, permettant un certain recul sur la musique, est déjà un chemin vers l’idée qu’il n’y pas que les tubes, il y a aussi autre chose. En ce qui me concerne, je fais allègrement un mélange de tubes, d’œuvres inconnues et de créations. Dans le projet Carmen à Glanum, il y a une version de Rodion Shchedrin qui associe la pure composition à l’arrangement. C’est un excellent chemin pour un néophyte, pour un public qui n’en a pas l’habitude. L’art contemporain ne se porte pas si mal ; la danse contemporaine, le théâtre et le cinéma existent, mais la musique contemporaine a du mal à trouver son public. Cela me préoccupe et j’essaye d’y remédier. 

Mathieu Herzog © Cyril Duret, Adagp

Vous êtes chef d’orchestre, altiste, professeur. Vous animez « Vous trouvez ça classique ? » à la Seine Musicale. Le profil du Festival de Glanum répond-il à vos préoccupations artistiques ou est-ce aussi l’occasion de se réinventer ?

Les deux. Si cela ne tenait qu’à moi et à mes propres goûts, j’irais peut-être vers des choses un peu plus techniques. Je vous donne un exemple. Une œuvre que j’aime énormément est le ballet Blanche-Neige de Preljocaj sur la musique de Gustav Mahler. Prendre un conte pour enfants, associé à Walt Disney, et la musique de Mahler qui, malgré sa popularité, n’est pas simple, pour les réunir au sein d’un ballet contemporain, c’est merveilleux. J’aimerais réaliser ce type de projet à Glanum. Je ne sais pas si je le pourrai. Car, bien que ce soit un endroit de rêve, ce n’est pas un théâtre. Nous sommes en plein air, nous construisons tout – la scène, les gradins – et nous devons veiller à préserver ce patrimoine qui est surveillé par le Centre des Monuments Nationaux. Le lieu a une âme extraordinaire, mais on ne peut pas en faire qu’à sa tête.

Pour ce qui est de mes préoccupations artistiques, je suis très concerné par la « starification ». À l’instar du répertoire, il y a certains artistes qui remplissent les salles, et les autres non. C’est aussi un problème. Il faut trouver des solutions pour ne pas être obligé à se retrouver forcément avec une immense star sur scène pour remplir son théâtre. C’est l’idée de « Vous trouvez ça classique ? ». On  réussit à attirer le public avec une œuvre, ce qui me permet de choisir les interprètes avec qui je souhaite travailler, de faire connaître de jeunes artistes.

J’ai aussi envie de programmer des opéras. Gounod en a écrit un à Saint-Rémy-de-Provence, qui s’appelle Mireille, dont il n’existe qu’un fragment. Il serait magnifique de représenter une œuvre qui a été composée à quelques mètres de Glanum.

Dans le cadre de Glanum Off – le festival bis – il y aura un concert en partenariat avec le Festival International des Orchestres de Jeunes en Provence. Ce soutien porté à une nouvelle génération est-il susceptible d’évoluer dans les années à venir ?

Oui. À titre personnel – et c’est aussi le désir du conseil d’administration – la transmission me tient à cœur. Je suis aussi professeur de direction d’orchestre dans un conservatoire à Paris, j’enseigne encore le quatuor à cordes, puisque j’étais membre du Quatuor Ébène pendant très longtemps. En général, la transmission de la culture aux jeunes est absolument primordiale. 

Hormis la qualité de la programmation, un des attraits du Festival de Glanum est le lieu, ce merveilleux site romain, qu’il convient pourtant d’apprêter. Quelles sont les particularités acoustiques et technologiques mises en œuvre pour les spectacles ?

Tout d’abord, il y a la scène et les gradins qui n’existent pas en temps normal. Mais l’élément le plus extraordinaire est ce système de sonorisation appelé Soundscape, qui a été développé par l’entreprise allemande d&b. Je dirige un autre festival autour de la musique et du cinéma en Suisse [Ciné concerts à Verbier], où j’utilise le même système. À l’aide de petits haut-parleurs installés tout autour du site, qui diffusent le son selon un procédé technologique, les ingénieurs créent non seulement une ambiance acoustique, mais aussi une vraie réverbération qui n’est pas artificielle, modelée sur celle des grandes salles internationales telles que le KKL de Lucerne, le Concertgebouw d’Amsterdam ou la Philharmonie de Berlin. L’attrait le plus fabuleux de tout cela est que dans n’importe quel endroit de nos gradins vous entendez de la même façon, à droite et à gauche, puisqu’il y a un effet de spatialisation. C’est une scène virtuelle. Je pense que c’est l’avenir des concerts en plein air et des concerts d’été. Je l’ai découvert ici même l’année dernière et, alors que normalement sonorisation égale déprime, le son est très beau et transmet de l’émotion. Cela permet d’avoir accès à la musique comme dans une salle. On oublie le dispositif. L’ingénieur allemand qui a inventé ce système en avait assez de se faire mal aux oreilles et cherchait une autre solution. Je l’utilise pour le jazz aussi, mais c’est beaucoup plus marquant dans le cas d’un orchestre classique.

Cette année, pour la première fois, le festival principal est prolongé par deux jours de Glanum Off. Quelle est l’idée derrière ce festival bis ?

Glanum est un festival assez jeune, qui existe depuis à peine dix ans – avec un an en moins à cause du Covid. Au début, c’était la réunion d’une bande de copains autour du fondateur Domique Oger qui invitait ses amis. Ils jouaient par terre devant cent personnes, puis deux cents personnes. C’était une atmosphère sympathique. Ensuite, quelques artistes ont eu beaucoup de succès et tout prenait de l’envergure. Aujourd’hui, nous avons une jauge de huit cents places. L’année dernière, nous affichions complet pendant trois jours de suite. Cette année, c’est pareil et le développement du Off va de paire avec cela. Petit à petit, nous nous sommes dits que cela pourrait être intéressant de faire un Glanum pendant toute l’année. Il y a une certaine logique, pendant le festival autant qu’après. Nous allons par exemple organiser trois concerts de musique de chambre à Saint-Rémy-de-Provence dans une autre salle. C’est une démarche que nous allons essayer de développer, pas uniquement sur le site mais aussi ailleurs. 

Vous êtes également associé au Blaricum Music Festival aux Pays-Bas. Fonctionne-t-il selon le même principe ?

Non. C’est un projet du chef d’orchestre et réalisateur Peter Santa. Il voulait créer un petit festival de musique classique avec un orchestre de jeunes attitré, à l’image d’Aspen [Aspen Music Festival and School]. Blaricum est la banlieue chic d’Amsterdam, où vivait par exemple Bernard Haitink. C’est un modèle de musique classique totalement logique, auquel j’intègre des œuvres inconnues ou des créations, mais je suis uniquement directeur de l’orchestre. En général, les concerts suivent une forme simple, par exemple Ouverture – Concerto – Symphonie. Il n’y a pas le mélange des genres autant qu’à Glanum.

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