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Questionnaire de Proust. — Mathilde Étienne : « Claudel, m’a éblouie dès la première rencontre et m’accompagnera toujours »

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Interview
26 octobre 2023
Le Retour d’Ulysse avec l’ensemble I Gemelli (rôle de Melanto, mise en espace, dramaturgie et direction artistique), la sortie du livre-disque et la tournée permettent à Mathilde Étienne de se plonger dans notre Questionnaire.

Infos sur l’œuvre

Détails

Mon meilleur souvenir dans une salle d’opéra ?
C’était une salle de cinéma ! Lors d’une rétrospective Chéreau j’ai vu le Ring entier avec les quatre opéras diffusés à la suite. Au bout de deux jours, nous n’étions plus que cinq dans la salle et nous en sommes sortis complètement sonnés.

Mon pire souvenir sur scène ?
A la fin d’une représentation, sur le plateau qui n’était pas encore dégagé, une altercation avec un metteur en scène qui nous fait presque en venir aux mains. Je ne supporte pas ces individus, grassement subventionnés par ailleurs, qui disent tranquillement mépriser les chanteurs, le public, les œuvres et l’opéra lui-même, cet « art de bourgeois » (sic).

Le livre qui a changé ma vie ?
Il faudrait tous les citer car je chéris l’idée de me laisser transformer par tout ce que je regarde et tout ce que j’écoute… C’est un apprentissage permanent. Mais si je devais ne citer qu’un livre, ce serait les Frères Karamazov. Il y a un avant et un après.

Le chanteur du passé avec lequel j’aurais aimé me produire.
Kirsten Flagstad, rien que pour la sensation de déflagration acoustique. Les grands chanteurs wagnériens sont capables de mettre le plateau et la salle en état de lévitation. La magie de l’opéra, c’est d’abord le son, et de ne pas comprendre parfois d’où il sort. Il n’y a rien de plus excitant que ces gens qui racontent avoir entendu en live Ponselle, Pavarotti ou Caballe et dire, des lumières dans les yeux : « J’y étais »…

Mon plus grand moment de grâce face à une œuvre d’art ?
Il y en a tellement et, ce qui est merveilleux, c’est qu’il y en aura toujours ! Au-delà de Monteverdi à qui j’ai consacré exclusivement ces dernières années, je dirais Claudel, qui m’a éblouie dès la première rencontre et qui m’accompagnera toujours. Pour comprendre Le Soulier de Satin, je suis partie trois mois au Japon. Il y a une vie et le monde entier dans cette pièce.

La ville où je me sens chez moi ?
Partout où je me trouve, du moment qu’Emiliano Gonzalez Toro est avec moi.

La ville qui m’angoisse ?
Paris. J’aurais dû en partir beaucoup plus tôt !

Ce qui, dans mon pays, me rend le plus fier ?
La conscience très forte du patrimoine, y compris musical. Moi qui travaille sur le répertoire italien, je me désole de voir par exemple que les Vénitiens ne savent même pas qui est Monteverdi. C’est incompréhensible.

Le metteur en scène dont je me sens le plus proche ?
Christian Schiaretti. C’est le seul à ma connaissance à savoir analyser une œuvre d’un point de vue littéraire et en retranscrire les lignes dans l’espace. Un livret est une boîte à outils formidable, plein d’indices subtils à déchiffrer. Je me sens plus proche de quelqu’un qui va s’intéresser au vocabulaire, à la rhétorique, à la structure, la construction narrative, que de quelqu’un qui va se contenter de lire l’intrigue et s’évertuer à la faire coïncider avec les dernières dépêches AFP.

Mon pire souvenir avec un chef ?
Je pourrais citer beaucoup d’exemples mais le plus marquant a été ma toute première production professionnelle. À la première répétition, le chef (un monsieur célébrissime dans le baroque) pris en défaut car n’ayant de toute évidence pas travaillé sa partition, a pris le premier violon comme bouc émissaire, lequel, accablé par ce déferlement de violence, s’est mis à pleurer. Je suis restée éberluée devant tant de méchanceté gratuite, d’injustice et d’humiliation. Mes collègues m’ont dit tranquillement à la pause : « Bienvenue dans le métier ».

Le chef ou la cheffe qui m’a le plus appris ?
Tout ce que je sais sur le récitatif, je le dois à Martin Gester et Gabriel Garrido. Tout ce que je sais sur l’orchestre, je le dois à Frans Bruggen. Tout ce que je sais sur le groove, je le dois à Emiliano Gonzalez Toro. Travailler au quotidien avec lui, c’est une chance, une fête et une émulation sans cesse renouvelées.

À part chanter, ce que j’ai dû faire de plus compliqué sur scène ?
Faire autre chose en même temps. Pour moi qui n’ai qu’un cerveau, chanter un texte triste et lent et jouer dans un tempo et une humeur différents sont incompatibles. Demander cela à un interprète est non seulement stupide, mais impossible à réaliser ; d’ailleurs je n’y suis jamais arrivée. Certains metteurs en scène pensent que nous sommes la bande-son de leur création et n’ont aucune idée de la façon dont la musique et les mots sont produits

Si je pouvais apprendre un instrument du jour au lendemain, lequel serait-il ?
Le trombone. J’adore la vibration de cet instrument. Ce que je préfère écouter, c’est du Gabrieli. La sacqueboute en disque ça ne donne rien, mais en live c’est le kiff total.

Un opéra dont j’aurais voulu être le créateur du rôle-titre ?
Don Carlo. J’aurais adoré être ténor et chanter ce rôle. J’aurais adoré chanter tous les rôles de cet opéra, d’ailleurs, un de mes préférés.

Le chanteur du passé dont l’écoute m’a le plus appris ?
Sena Jurinac. C’est l’anti-Schwarzkopf ! Lumière, simplicité, densité… Après avoir écouté tous ses disques je suis allée la rencontrer en Autriche. J’ai peut-être encore plus appris en la voyant enseigner. Quelle actrice ! À près de 80 ans, elle avait un tel pouvoir de suggestion qu’elle pouvait se métamorphoser instantanément en Tatiana, Mimi ou Chérubin. Une leçon prodigieuse.

Le chanteur du présent que je trouve d’une générosité rare ?
Emiliano Gonzalez Toro. C’est un sentiment partagé par tous ceux qui ont travaillé avec lui ! Bien sûr que je ne suis pas neutre, c’est mon mari. Mais je ne l’aurais pas épousé si je ne l’admirais pas plus que tout, artistiquement et humainement.

Si j’étais un personnage de Disney ?
Un méchant, bien sûr, ce sont eux les plus rigolos : Jaffar, Scar, le Capitaine Crochet… Mais le génie dans Aladdin, ça m’irait bien aussi !

Mon plus grand moment d’embarras ?
Un spectacle de conservatoire dans lequel je chantais Poppée. Pendant « pur ti miro », je me prends les pieds dans ma robe qui se coince, descend à terre et ne laisse plus de place à l’imagination. Moment de gêne dans le public… Difficile de garder sa dignité après ça !

Le compositeur auquel j’ai envie de dire “mon cher, ta musique n’est pas pour moi” ?
Mahler. Je ne comprends rien à cette musique.

Ma personnalité historique préférée?
Plus qu’une personnalité, c’est une époque et un pays : l’Italie de la Renaissance, un continent extraordinaire qui commence à Florence avec Dante et finit à Venise avec la naissance de l’opéra moderne. Tous ces artistes, ces penseurs singuliers et puissants, du Tasse au Caravage, de Galilée à Bruno, nourrissent le travail que nous produisons au sein d’I Gemelli.

Si jétais un lied ou une mélodie.
Je suis une irrécupérable romantique. Je serais un lied improbable, un hybride entre Schumann, Strauss et Tchaïkovski.

Le rôle que je ne chanterai plus jamais.
Clorinda dans le Combattimento de Monteverdi. La toute dernière phrase est d’une difficulté insurmontable : il faut montrer qu’on a des nerfs en acier et une belle longueur de souffle avec ce pianissimo éthéré exactement sur le passage, tout en veillant à ne pas se laisser submerger par le pathos. En chantant il faut choisir : recevoir ou donner de l’émotion. Avec cette pièce, je préfère me laisser prendre.

Ma devise
Ad astra per aspera. Après tout, Gemelli c’est une constellation…

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