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Michael Spyres en dix coups de maître

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Actualité
24 septembre 2021
Michael Spyres en dix coups de maître

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Détails

Coup d’essai, coup de maître, a-t-on coutume de dire. Voici dix rôles, parmi d’autres, que d’emblée Michael Spyres a marqué de son empreinte. 


1. Mazzoni, Antigono (Antigono, 1755)

Ce n’est pas tant pour la partition (un air de bravoure efficace mais assez prévisible incluant beaucoup de formules stéréotypées), ni pour l’orchestre (à l’effectif trop restreint et bien trop précautionneux) et encore moins pour la mise en scène (un deux trois : soleil !) que cette vidéo est marquante, mais bien pour la remarquable interprétation de Michael Spyres qui éclipse toutes les faiblesses évoquées. C’est une prestation étourdissante. Regardez-le, immobile mais le regard fixe et pénétrant, aligner les notes de cette musique qui semble se générer elle-même ; le canto di sbalzo (ces soudaines incursions dans le grave) parfaitement maîtrisé tient en haleine l’auditeur avant l’impressionnante cascade sur 3 octaves de la cadence finale, tel un épervier qui fonce sur sa proie après l’avoir étourdie de son long vol stationnaire. Certains aigus bougent un peu, les variations à la reprise restent timides, mais le grand baryténor est déjà là ! [Guillaume Saintagne]

2. Mozart, Mitridate (Mitridate, 1770)

C’est une chose de se livrer aux mille cabrioles de la musique de Rossini, mais chanter Mitridate implique de maîtriser le phrasé mozartien dans sa plus verte expression en faisant siens les sauts d’octaves de l’air d’entrée. C’est dans les circonstances improbables d’une saison extra-muros de La Monnaie (sous un chapiteau tourmenté par des vents hostiles), sous la direction de Christophe Rousset, que Michael Spyres s’est essayé à l’exercice, laissant le public — comme à son excellente habitude — stupéfait face à l’aisance bonhomme du virtuose domptant les lions vocaux les plus inamicaux.  [Camille De Rijck]

3. Mozart, Don Ottavio (Don Giovanni, 1787)

Se voir attribuer le rôle de Don Ottavio n’est pas vraiment un cadeau : deux airs seulement, sur les 3 heures que dure Don Giovanni, pour incarner le fiancé falot, maintenu au réfrigérateur par Donna Anna qui ne pense qu’à porter le deuil de son Commandeur de père et à le venger. Et quand Romeo Castellucci signe la mise en scène, les costumes et les décors, Ottavio n’est guère gâté, alors que le reste de la distribution porte de magnifiques costumes. Cela n’empêche aucunement Michael Spyres de nous livrer un Don Ottavio d’anthologie ! Dans son air du premier acte, « Dalla sua pace », Spyres est simplement étourdissant, malgré les gémissements (dans une autre tonalité) de son caniche royal, à la coupe « lion » impeccable. [Benoît Jacques]

4. Rossini, Baldassare (Ciro in Babilonia, 1812)

« Triste sort ! Horrible ! Cruel ! » Avec sa voix longue et caressante de baritenore aux graves abyssaux et aux aigus troublants, Spyres se montre ici au sommet de son art. Selon le concept de Davide Livermore, inspiré du cinéma muet, frisant le Grand guignol, il incarne à la perfection le rôle de Baldassare – tant à travers sa gestuelle de désespéré que par son articulation parfaite et son chant déchirant. Son fastueux costume haute couture, style belle époque ; ses longs cheveux et sa grande barbe bouclés, sa couronne garnie d’énormes perles et, surtout, son maquillage contrasté opposant sa chair blanche pulpeuse et ses regards charbonneux, captivent. Dans cet extrait hypnotisant, tel un jeune lion frappé à mort, le chanteur se disloque dans une lamentation amoureuse désespérée de plus de dix minutes qui le mettra à terre. Inoubliable ! [Brigitte Cormier]

5. Rossini, Arnold (Guillaume Tell, 1829)

Créé par Adolphe Nourrit, qui émettait les contre-ut en voix mixte ou en falsetto, le rôle d’Arnold fut repris par Louis Duprez dont les do di petto augmentaient l’impact de ces notes aigües. Dans cet enregistrement déjà ancien, Michael Spyres semble la chimère issue de leur croisement. Mais si l’on admire et l’on savoure les prouesses des escalades enchaînées et graduées en fonction des élans émotionnels portés par certains mots, le nuancier des couleurs, l’intelligibilité impeccable, la fermeté croissante des accents, ce qui nous touche, c’est la générosité de ce chant où l’interprète se fond dans le personnage, au plus près des intentions du compositeur. [Maurice Salles]

6. Meyerbeer, Raoul (Les Huguenots, 1836)

Michael Spyres interprète Les Huguenots pour l’American Symphony Orchestra en août 2009. Il n’a alors que 29 ans. Sa notoriété internationale est encore en devenir. Et déjà, tout est là : des moyens exceptionnels combinés à une superbe maîtrise technique, alliés dans le cas présent à une prononciation que pas mal de chanteurs francophones pourraient lui envier. L’intégralité de la représentation est disponible sur les plateformes de musique dématérialisée. [Jean Michel Pennetier]

7. Adam, Chapelou (Le Postillon de Lonjumeau, 1836)

Les spectateurs du Postillon de Lonjumeau salle Favart, au printemps 2019, gardent tous un souvenir ému de la prestation de Michael Spyres dans le rôle de Chapelou, fringant joli-coeur qui se voit gratifier par Adam, dès le premier acte, d’un air de bravoure des plus redoutables. 
Devant la mise en scène au kitsch résolument assumé de Michel Fau, le public attend avec une impatience à peine dissimulée le tour de force. Michael Spyres va-t-il y arriver ? Triomphera t-il du redoutable contre-ré qui couronne la troisième reprise du refrain ? Sanglé dans son uniforme rouge et bleu, campé devant puis sur son carrosse doré, il se lance, et crânement ne fait qu’une bouchée de l’air. Tout y est, de la prononciation irréprochable à l’usage parfaitement maîtrisé du registre aigu et de la voix mixte, jusqu’aux clins d’œil glissés à bon escient en direction du public. Cette épreuve du feu réussie avec éclat, dans une insolence et une bonne humeur communicatives, le reste de la soirée fut une parade, achevée sous les hurlements d’un public en délire. Mânes de Nicolai Gedda, d’Alain Vanzo ou d’Henri Legay, dormez en paix. Ce soir là, sous les ors de la salle Favart, votre digne successeur était définitivement intronisé. » [Julien Marion]

8. Donizetti, Polyeucte (Les Martyrs, 1840)

​Voici une œuvre surtout connue pour sa mouture italienne (Poliuto) qui attendait sagement qu’une équipe à la hauteur se penche sur sa version originale Les Martyrs et en révèle toute la fine grandiloquence. Et si cette version en français a tant tardé à retrouver les feux de la rampe, c’est que le créateur de Polyeucte n’était autre que Gilbert Duprez, Monsieur Contre-ut en voix de poitrine. Il fallait donc bien l’audace, le talent, la technique et les moyens hors du commun d’un Michael Spyres pour redonner vie à cette partition ! Comme l’écrit si bien Corneille, dans la pièce qui inspira le livret, « Le désir s’accroit quand l’effet se recule ». Nous vous mettons donc au défi de n’écouter cet air qu’une seule fois sans résister à l’envie de l’entendre une nouvelle fois. Cette diction transparente qui vous transporte à la Comédie française, cette hargne contenue sur un rythme allant qui pourrait à elle seule faire la valeur de l’air, mais se trouve transcendée par des aigus habilement placés par Donizetti et émis avec une facilité déconcertante par notre briseur de statues. Et puis l’accélération finale couronnée par ce contre-mi aussi excitant qu’irraisonnable, puisqu’il met en péril l’émission du dernier « j’irai » qu’il faut longuement tenir. Peu importe, même mal amorcé, Spyres tient sa dernière note jusqu’au bout (regardez comme il essaye de la contenir dans sa mâchoire ) Le chef lui-même a du mal à s’en remettre. [Guillaume Saintagne]

9. Bizet, Nadir (Les Pêcheurs de perles, 1863)

L​oin des fioritures et des prouesses pyrotechniques, l’air de Nadir des Pêcheurs de perles (Bizet) permet à Michael Spyres de faire entendre ses autres formidables qualités : le timbre (écoutez la descente dans le grave, comme la texture se densifie), le souffle et sa conduite, le phrasé, la ductilité de l’aigu en voix mixte… Chapeau l’artiste ! [Jean-Jacques Groleau]

10. Berlioz, Enée (Les Troyens, 1863)

Dans le rôle écrasant d’Enée, Michael Spyres sait alternativement mettre la cuirasse et déchausser ses cothurnes, brûler et fondre, implorer et maudire.  Son prince troyen est bien le fondateur mythique de Rome, homme de piété, soumis à l’ordre des dieux, prêt à rompre tous les liens pour accomplir sa destinée, dut-elle lui couter tant de « larmes brûlantes ». Diction, tenue, aisance, ligne, tout est là pour composer au disque un « monument plus durable que le bronze », beau comme l’Antique.[Dominique Joucken]

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