Goguenard. Michael Spyres embrasse tout le monde à la sortie des artistes de l’Opéra Comique. Michael, c’est une nature, un ténor comme on n’en fabrique plus (le moule était cassé) et que tout le monde semble adorer. Il vient de répéter Florestan pendant deux heures et s’apprête à y retourner. D’autres, tremperaient leurs cordes vocales dans le bleu de méthylène, pour les ménager et s’emmureraient dans un silence réparateur. Lui, nous emmène boire un cappuccino pour parler de son dernier album, Baritenor, paru chez Erato.
Techniquement, qu’est ce que c’est qu’un baryténor ?
C’est un baryton et un ténor dans un même corps. Je suis en ce moment à l’Opéra Comique où je travaille le rôle de Florestan dans Fidelio de Beethoven. Il s’agit quasiment du premier grand rôle de baryténor. Dans le répertoire baroque, on trouve de nombreux rôles extrêmes, des partitions dans lesquelles on espère du protagoniste qu’il soit à la fois basse et ténor – du baryton on attend la ligne et du ténor l’ampleur -, mais terminologiquement le baryténor n’existait pas. C’est le grand oublié du dix-septième siècle. Le dix-huitième lui rendra enfin justice, musicalement du moins, avec des orchestrations très amples et des rôles extraordinaires. Mais le système des fasch (ndlr : les typologies vocales) l’ignore. Bien qu’obsédés par l’idée de ranger les individus dans des catégories prédéfinies, les musicographes ont semblé taire cette réalité : il existe des barytons aux aigus de ténor. C’est ce que je suis : un baryténor. Ma première intuition pour le titre de l’album fut “What the Fach ?!” (ndlr : jeu de mot sur l’expression Anglo-saxonne “what the fuck” qui signifie “saperlipopette”), mais le label a plutôt sagement écarté l’idée. Je repense à Otello de Rossini, qui fut l’un des rôles les plus emblématiques des baryténors et qui occupa une place centrale dans ma carrière. Le rôle finit de convaincre les plus sceptiques de la nécessité de faire rentrer le terme “baryténor” dans le lexique de la musicographie.
Gregory Kunde nous avouait avoir découvert sa voix en chantant dans un groupe de hard rock. Comment vous y êtes-vous pris ?
Moi aussi, plus ou moins. J’ai fait mes premiers pas sur scène en chantant énormément de comédie musicale, qui — aux États-Unis — est une institution, très présente dès les études. C’est à ce moment de ma vie qu’on s’est aperçu d’une première incongruité dans ma voix : je parle, voyez-vous, comme un baryton ou comme un basse, mais lorsque un professeur de chant s’est intéressé à mon cas, il a émis l’hypothèse que je pourrais être un ténor, ce qui a pu sembler antinomique. Cela a donné lieu à un véritable débat de quasi-casuistique entre nous, mais j’ai fini par lui faire confiance. Après deux ans de travail avec ce professeur, j’ai pris mon envol et je me suis mis à travailler seul. Voilà donc vingt ans que je suis mon seul et unique prof de chant, travaillant quotidiennement dans mon laboratoire intime à la recherche technique des couleurs et du son.
“Le son”, ça vous obsède !
Tous les jours, aussi loin qu’il m’en souvienne, je me suis interrogé sur le son et plus particulièrement sur celui de la voix humaine. Pendant des années, je me suis amusé à emprunter la voix de certains dessins animés, notamment des Simpsons (ndlr : Michael Spyres imite alors Homer Simpson pour nous – vous ratez quelque chose). Les artistes qui travaillent dans le doublage de dessins animés sont à mes yeux les rois de l’art vocal. Je m’y suis d’ailleurs essayé pendant deux ans en faisant des publicités. Le problème, c’est qu’à force de penser de cette manière, ma conception du chant s’en est inspirée et ma voix ressemblait à celle d’un Looney Tune. Ce plaisir de l’imitation a ensuite évolué et je me suis mis à imiter Franco Corelli, Lauritz Melchior ou Fritz Wunderlich et ce — bien naturellement — sans jamais approcher ma véritable identité vocale. Il a fallu dix ans de travail et de transmutations étranges pour que je trouve ma voie, ma voix, dans le rôle d’Otello de Rossini.
Est-ce, partant de la même énergie, que vous vous êtes mis au français ?
C’est une langue idéale pour le chant. C’est une langue idéale pour le répertoire de baryténor, avec cette large gamme de couleurs très caractéristiques de votre idiome qui nous caresse dans le sens du poil. Par exemple, l’enchaînement frénétique de nasales me fascine et m’inspire.
D’où vous vient cette excellente nature que tout le monde vous reconnaît ?
Dans la famille, nous sommes chanteurs, danseurs, acteurs. Nous sommes comme la famille von Trapp du Missouri. Ma sœur est une chanteuse sur Broadway, mon frère est directeur d’opéra et nous chantons avec mes parents depuis que je suis tout petit. Trois fois par semaine, nous sortions de la maison pour aller chanter à droite et à gauche, notamment dans des maisons de retraite. Mon père a été mon professeur de musique et d’expression corporelle, un rôle qu’il a continué à tenir bien au-delà des limites du cadre académique, vu qu’il me conseille et m’inspire depuis quarante ans.
Bon et Wagner dans tout ça ?
C’est un belcantiste. Je l’adore. On a tort de ne l’observer que sous l’angle du chant en force alors qu’il y a tant de délicatesse dans son écriture vocale. Il a subi l’influence directe de Bellini et de Donizetti. Par ailleurs, il a vécu plusieurs années à Paris et je l’imagine totalement obsédé, submergé, par l’influence de Berlioz. C’est parce que Wagner ne s’intéresse qu’à la dimension du son qu’il a si bien écrit pour la voix.