Parmi les grands opéras de Gounod, il en est un qui peine à revenir sur les scènes : La Reine de Saba est pourtant riche en airs célèbres, mais l’œuvre exige des voix de premier plan. L’Opéra de Marseille a laissé entendre qu’il prévoyait une version de concert au cours de la saison 2019-20 ; espérons que cette promesse se concrétisera.
Composition : de l’automne 1860 à l’automne 1861
Création : 28 février 1862 à l’Opéra de Paris (Académie impériale de musique)
Cette année-là : Félicien David orientalise avec Lalla-Roukh (Salle Favart, 12 mai), Berlioz rit avec Béatrice et Bénédict (Baden-Baden, 9 août), et Verdi pleure avec La Force du destin (Saint-Pétersbourg, 10 novembre)
Librettistes : Jules Barbier et Michel Carré, d’après le Voyage en Orient de Gérard de Nerval (qui avait d’abord conçu un livret d’opéra destiné à Meyerbeer)
Genre : grand opéra à la française, dans le style de Meyerbeer, dont Gounod s’était pourtant dispensé pour Faust
Intrigue : L’architecte Adoniram désespère de réussir à forger une vasque représentant la mer d’airain. Son apprenti, Bénoni, lui apprend que la reine de Saba doit venir à Jérusalem rendre visite à son fiancé Salomon (Soliman dans l’opéra). Le reine est pourtant séduite par l’architecture du temple, et surtout par l’architecte. Au deuxième acte, Soliman et Balkis viennent assister à la fonte de la mer d’airain, mais le haut fourneau explose. L’artiste, découragé, rend à la reine le collier qu’elle lui avait offert ; elle lui avoue alors son amour. Soliman tente de contraindre la reine au mariage prévu entre eux, en vain car elle a prévu de s’enfuir avec Adoniram. Hélas, l’architecte est poignardé par trois ouvriers rebelles et la reine arrive trop tard au rendez-vous.
Personnages : la reine Balkis, mezzo-soprano ; Adoniram, ténor ; Soliman, basse ; Bénoni, soprano ; Phanor, baryton ; Sarahil, mezzo-soprano ; Amrou, ténor ; Méthousaël, basse ; Sadoc, basse
Les créateurs : Toutes proportions gardées, Louis et Pauline Gueymard sont à Gounod ce que furent à Wagner Louis et Malvina Schnorr von Carolsfeld, les premiers interprètes de Tristan et Isolde. C’est un couple marié à la ville qui créa les rôles principaux de La Reine de Saba. La mezzo bruxelloise Pauline Lauters avait épousé en secondes noces le ténor Louis Gueymard en 1858, dont elle devait se séparer dix ans plus tard. Créatrice de la version française du Trouvère, elle serait aussi la toute première Eboli. Son mari avait aussi un lien privilégié avec Verdi puisqu’il avait créé le rôle d’Henri dans Les Vêpres siciliennes. Pour Gounod, Louis Gueymard avait été le premier Phaon dans Sapho et le premier Rodolphe de La Nonne sanglante. Courbet a laissé de lui un superbe portrait dans le rôle-titre de Robert le diable.
Le tube : « Plus grand en son obscurité » pour la mezzo, « Inspirez-moi, race divine » pour le ténor, « Sous les pieds d’une femme » pour la basse, « Comme la naissante aurore » pour la soprano.
La scie : Gounod a dû forcer sa nature pour respecter les conventions du grand opéra, d’où quelques passages un peu clinquants et oubliables.
Anecdote : Venant après le scandale de Tannhäuser en mars 1861, le demi-échec de La Reine de Saba (quinze représentations seulement) persuada le comte Walewski qu’il valait mieux renoncer à une politique de création ambitieuses : se rabattant sur une valeur sûre, l’Opéra de Paris proposa ensuite une reprise de La Muette de Portici.
CD recommandé : Il traîne sur YouTube un live avec la grande Suzanne Sarroca dans le rôle-titre mais, comme dans le cas de Polyeucte, la seule version commercialisée est un live capté à Martina Franca en 2001, qui a pour principal mérite d’exister.
DVD recommandé : Arrêtez de rêver, il n’en existe aucun.