Sans avoir sombré dans le même oubli immédiat que La Nonne sanglante ou Le Tribut de Zamora, Philémon et Baucis est aujourd’hui l’un des opéras de Gounod les moins joués, peut-être à cause de son sujet mythologique ou de ses dialogues parlés. Merci à l’Opéra de Tours de lui redonner vie à partir du 16 février.
Composition : 1859 (la partition était destinée au casino de Bade, mais le rôle de Baucis ayant été écrit pour Caroline Miolhan-Carvalho – encore elle ! voir Faust), son mari Léon Carvalho demanda d’en avoir la primeur)
Création : 18 février 1860 au Théâtre-Lyrique. C’est le cinquième opéra de Gounod, moins d’un an après Faust et six mois avant La Colombe.
Cette année-là : Offenbach propose le 27 mars un Daphnis et Chloé, où le dieu Pan tient le rôle principal. Se pourrait-il qu’il l’ait composé comme une réponse à Gounod ?
Librettistes : Jules Barbier et Michel Carré, d’après le poème de La Fontaine (enfin, une dizaine de vers du poème en question), lui-même inspiré des Métamorphoses d’Ovide.
Genre : opéra-comique avec dialogues parlés, initialement en trois actes, puis réduit à deux.
Intrigue : Descendu sur terre pour vérifier si les humains sont aussi méchants qu’ont le dit, Jupiter est recueilli pendant un orage par un couple de vieillards, Philémon et son épouse Baucis. Pour les remercier, le dieu exauce le vœu de Baucis : être à nouveau jeune avec son mari pour revivre leur vie commune. Jupiter tombe amoureux de Baucis rajeunie, ce qui n’est pas du goût de Philémon : première dispute du couple. Philémon maudit ce cadeau et souhaite redevenir vieux (et pauvre). Baucis craint la colère de Jupiter, qui promet son pardon si elle veut bien écouter ses avances. Elle accepte, à condition de redevenir vieille. Philémon, qui a tout entendu, est ravi. Jupiter repart bredouille mais accorde sa bénédiction aux époux fidèles.
Les créateurs : Le premier Jupiter, la basse Charles-Amable Battaille, avait créé Don Belfior dans Le Toréador d’Adolphe Adam en 1849, Pierre le Grand dans L’Etoile du nord de Meyerbeer en 1854, et serait le premier Lothario dans Mignon en 1866. Des maux de gorge apparus dès 1857 l’obligèrent à interrompre sa carrière et à se consacrer exclusivement à l’enseignement.
Le tube : La Romance de Baucis, « Ah ! si je redevenais belle », mériterait sans doute d’être plus connue, car l’héroïne y exprime avec tendresse le rêve d’une jeunesse retrouvée. Son air du deuxième acte, « O riante nature », est représentatif des exigences de Caroline Carvalho en matière de « brillant », selon son expression favorite.
La scie : « Au bruit des lourds marteaux d’airain » est évidemment le seul morceau à avoir vraiment survécu, mais cet air où l’orchestre se moque du lourdaud Vulcain n’est pas forcément le plus représentatif d’une partition à la délicatesse mozartienne.
Anecdote : Représenter la métamorphose des deux époux en arbres, comme le veut le mythe, ne semblant guère envisageable, les librettistes décidèrent que le cadeau des dieux à Philémon et Baucis serait une cure de rajeunissement exprès, rajeunissement entériné par Zeus à la fin de l’opéra.
CD recommandé : Sous la baguette de Nino Sanzogno en 1951, Renata Scotto et Rolando Panerai chantent Filemone e Bauci ; l’enregistrement réalisé en 1951 par Claudine Collart et Heinz Rehfuss avec l’Orchestre de la Suisse romande l’emporte car nettement plus idiomatique. La version la plus complète est sans doute celle de 1975, avec Anne-Marie Rodde et Jean-Claude Orliac, mais il existe aussi une version de 1964 qui fait rêver, qui réunit Mady Mesplé, Jacqueline Brumaire, Michel Sénéchal, Gérard Serkoyan et Jacques Mars : mais que fait-donc l’INA ?
DVD recommandé : Quel label aura le courage de filmer la production tourangelle ? Indépendamment des qualités de la mise en scène que proposera l’Opéra de Tours, cela permettrait de disposer d’une version moderne de cet opéra injustement négligé. En attendant, les seules vidéos disponibles sur YouTube sont celles des représentations données à Pourrières (Var) en 2011.