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Nathalie Manfrino, la soprano saltimbanque

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Actualité
10 juin 2008

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Sa voix, on le sait, est diaphane et lumineuse. Ainsi la chevelure blonde, les yeux clairs, et même la peau laiteuse d’une Roxane rétive au soleil. Qui dit lumière dit foyer. Ecouter Nathalie Manfrino parler d’elle, de sa carrière, de son art, c’est aussitôt être mis proche de ce foyer, de cette source qui irrigue la voix et le chant. C’est entendre, derrière les mots, le combat d’une vie, et une volonté d’aller de l’avant. C’est capter, dans son tumulte encore presque juvénile, une énergie dont on se dit qu’elle ne peut ne pas sourdre aussi d’une forme d’inquiétude. Derrière la blondeur sage des héroïnes chantées par Nathalie Manfrino – les Roxane, les Marguerite – se cachent les fêlures d’une Mélisande ou d’une Manon, que l’on n’ira pas – Dieu nous en garde – fouailler ni gratter. C’est au détour d’une phrase quand le bleu de l’iris s’assombrit brusquement que s’avoue une histoire plus douloureuse peut-être qu’on ne le croit. Et qu’en somme on ne veut pas exposer.

Nathalie Manfrino – Marguerite à l’Opéra de Nice

« …il y a chez Nathalie Manfrino cet attachement foncier à ce que l’opéra a d’artiste, de nocturne et de superbement saltimbanque.« 

 

« Il y a de la Crespin chez Manfrino »

Que l’on n’attende pas d’elle les immolations spectaculaires des grandes vestales qui tiennent trois saisons puis écrivent leurs mémoires depuis des retraites grisâtres. Elle serait plutôt de celles qui sentent et respirent les rôles, et se mesurent à ce qu’elles savent plus grand qu’elles non parce que cela les brûlera, mais parce qu’elles savent qu’elles mettront, elles, le feu aux planches. Il y a de la Crespin chez Manfrino. Aussi se jeta-t-elle bien vite dans Mélisande, dont les longs cheveux blonds et les fragilités secrètes lui convenaient au-delà de ce qu’on pouvait attendre d’une chanteuse de vingt-huit ans. Elle se jeta de même dans Marguerite, qu’on vit jadis à Nice, et que quelque halo semblait nimber, comme dans ces films en noir et blanc. Et Manon, et Roxane, et d’autres. Mais derrière ces héroïnes françaises bouillonnent les petites femmes de Puccini, sources d’enfance : Mimi et Tosca, qu’elle devait se chanter à elle-même comme font les adolescentes rêvant de soirs de première, c’est-à-dire les hurlant dans sa salle de bains. Elles viennent, elles sont déjà prêtes.

 

 

Nathalie Manfrino – Roxanne à l’Opéra de Montpellier
(avec Roberto Alagna)

C’est amusant comme souvent les chanteuses d’opéra, offrant sur scène leurs failles et leurs faiblesses, se drapent, dans la vie réelle, dans la franchise un rien bourrue de tempéraments sans ambages. Cela choque les esthètes, qui aimeraient tant prendre le thé avec Madame Butterfly. Pour nous, cela nous réjouit. Car derrière tout théâtre, derrière ce goût de la montre, du jeu, du spectacle, il existe une fondamentale santé : un plaisir d’être, et une façon crâne d’assumer les douleurs et les manques en faisant métier de les creuser et même de les exposer.

Nathalie Manfrino ne fait pas une carrière raisonnable. Qui ne lui aurait déconseillé ses prises de rôle périlleuses, si jeune. Mais, voyez-vous, nous n’avons pas peur pour elle. Car tout ce qu’elle nous offre sur scène et dans sa voix de fragilités s’ancre et se ressource dans une force qui est de tempérament et qui est aussi de voix. Les catégories vocales ne sont pas faites pour elles, puisqu’elles ne sont que les garanties et les ceintures de sécurité de chanteurs vivant sur le fil du rasoir. Manfrino, saltimbanque, n’est pas funambule ni trapéziste. Dans ce pays d’artistes et de jongleurs qu’est finalement l’opéra, elle est notre dompteuse de lions et notre étonnante magicienne aux mille sortilèges, dont tant encore nous restent à découvrir.
 

 

 

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Voir également :
CD French Heroines (Decca)
Compte rendu du Récital du 13 Mai 2008
Site officiel : www.nathaliemanfrino.fr

 

 

Sylvain Fort
 

 

 

 

Plus intéressante pour nous est le pansement que les blessures. Dans le cas de Nathalie Manfrino, ce pansement est le théâtre. Formule convenue que de vanter chez les chanteuses du jour les talents d’actrice dont étaient prétendument dépourvues leurs illustres devancières. Echappatoire commode de quelques cantatrices en mal de voix que de prétexter une quête théâtrale autrement féconde que la poursuite du contre-mi enfui. Ce n’est pas de cela, chez Nathalie Manfrino, que nous parlons. A aucun moment elle ne nous détaillera sa conception de la place du jeu dramatique dans le chant lyrique, du théâtre parlé dans l’opéra. Mais il suffit qu’elle évoque ses expériences scéniques pour que l’on capte immédiatement l’instinct à l’œuvre, cette envie impérieuse de fouler les planches. Pour percevoir ce goût physique de la vie de théâtre : l’entente avec les partenaires, le besoin palpable des odeurs de poussière et de pourpre qui hante les maisons d’opéra, des quinquets qui requinquent, le jeu des répétitions et des éclats de rire qui ponctuent les scènes les plus tendues, goût aussi pour les coulisses où l’on se salue et se raconte, de la sortie des artistes où l’on s’étreint et se retrouve, des dîners qui tard dans la nuit vous créent cette sphère, cet univers, mieux : ce biotope, avec ses intrigues sans doute et ses ragots, ses misères et ses grandeurs, son dandysme et sa sensualité, ses ivresses – oui, il y a chez Nathalie Manfrino cet attachement foncier à ce que l’opéra a d’artiste, de nocturne et de superbement saltimbanque.

Nathalie Manfrino – Mélisande à l’Opéra de Marseille

 

 

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