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Nicolas Cavallier : « Aujourd’hui, je prends des risques »

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Interview
31 janvier 2011

Infos sur l’œuvre

Détails

En décembre dernier le Capitole de Toulouse révélait un nouveau Nicolas Cavallier dans l’Homme de la Mancha (cf. le compte-rendu de Maurice Salles). Loin de sa pudeur habituelle, notre baryton-basse a laissé jaillir avec éclat ses émotions vraies. Rencontre avec homme qui se sent désormais libre d’être lui. 

 

 

Pourquoi avoir accepté le rôle de Cervantes/Don Quichotte ?

 

José Van Dam m’avait proposé ce rôle il y a quelques années en Belgique mais à l’époque je ne me sentais pas prêt. Je trouvais cela trop dangereux. Jouer ce personnage me paraissait lourd et très difficile. Plus tard j’ai interprété Don Quichotte de Massenet. Lorsque Jean-Louis Grinda m’a suggéré d’être son Don Quichotte, j’ai tout de suite accepté car je me sentais l’envie d’aller plus loin. Ce rôle a différentes facettes très intéressantes que je voulais explorer. Il s’agit d’un vrai rôle de théâtre. J’ai quand même plus d’une heure de texte et seulement huit minutes de chant.

 

Vous revenez en quelques sortes à vos premiers amours, le théâtre ?

 

Oui d’une certaine manière. De 18 à 21 ans j’ai fait des études de comédien au studio 34. J’ai aussi été l’élève de Daniel Mesguich. A l’époque j’étais tétanisé par la scène. Je devais faire face à un vide, celui de la parole. Dans le théâtre nous devons créer l’espace et le temps. Avec la musique ce souci là n’existe pas. Aujourd’hui je n’ai plus peur de ce vide. Au contraire j’ai retrouvé une vraie confiance en moi et je peux enfin exprimer ce que j’ai au fond de moi. J’ai commencé tard la musique ce qui fait que j’ai mis du temps à acquérir cette liberté d’expression. Avec le théâtre je n’avais finalement pas trouvé ma voie car je crois que j’ai toujours eu envie de faire du chant lyrique. Petit, j’étais fasciné par l’opéra. J’en écoutais beaucoup d’ailleurs. J’étais complètement absorbé par l’Enfant et les Sortilèges de Ravel. Je suis également issu d’une famille d’artistes. Mon père a mis en scène des opéras. Plus tard j’ai fait de la figuration au théâtre d’Arles sur Mireille. C’est là que j’ai eu le déclic.

 

Quand avez vous commencé le chant ?

 

J’avais 23 ans mais je n’avais aucune base. C’était très difficile pour moi d’étudier en France. Je suis donc parti à Londres à la Royal Academy qui m’a accepté estimant que j’avais du potentiel. J’ai toujours eu du mal avec le fonctionnement des institutions françaises. Les Anglais sont moins élitistes. En France lorsqu’on sort du conservatoire, on nous met la pression. En Angleterre c’est tout le contraire. On vous pousse même à accepter des petits boulots à droite et à gauche, dans des chœurs… Les Anglais ont un certain pragmatisme. Ils vont à l’essentiel et ensuite ils intellectualisent.

 

Et votre carrière de chanteur quand a-t-elle démarré ?

 

Lorsque j’avais 30 ans J’ai commencé dans les chœurs de Glyndebourne en Angleterre. J’ai ensuite interprété des petits rôles puis j’ai tourné dans des troupes peu connues d’opéras. En 1993 je suis retourné en France. Antoine Bourseiller qui était directeur de l’opéra de Nancy m’a donné le rôle de Masetto dans Don Giovanni. J’ai ensuite chanté à liège, Metz… Pendant 10 ans j’ai travaillé dans ces 3 maisons. A Metz, Danielle Ory par exemple fidélisait ses chanteurs. Elle avait créé une structure formidable car elle permettait à chacun d’essayer différents rôles. Avec elle j’ai chanté Leporello ce qui était extraordinaire pour moi. A partir de ce moment il y eu comme un effet boule de neige et j’ai enchaîné les rôles. Liège m’a ensuite proposé de faire Don Giovanni.

 

Comment évolue le milieu lyrique d’après vous ?

 

La crise est là et tout le monde le ressent. On trouve moins de travail cela est certain. Il faut faire fasse à l’ouverture des marché vers les pays de l’Est, la Corée, la Chine… Les théâtres souffrent d’un manque de budget. Résultat : ils prennent ces jeunes moins chers et bon marché. En France les charges patronales sont trop lourdes. Comme vous le savez en temps de crise la culture n’est pas une priorité.

 

Comment vous sentez vous aujourd’hui ?

 

Je suis au cœur de ma carrière. Il m’a fallu 20 ans pour lâcher prise par rapport au métier. Avant je chantais bien mais j’avais du mal à m’écouter. J’étais très dur envers moi même. J’étais un insatisfait. Aujourd’hui je suis un autre homme. Je vois vraiment la différence avec l’Homme de la Mancha. Je suis en communion avec le public. Je suis détendu, j’ose, j’y vais à fond. Je suis bien dans ma peau tout simplement. Je me sens mieux simplement parce que je connais ma valeur. Désormais je maîtrise la technique du chant… Maintenant place à l’émotion dans tout ce qu’elle a de plus vrai. J’ai envie d’exprimer pleinement ce qu’il y a en moi.

 

N’auriez vous pas envie de revenir en arrière avec cette même assurance ?

 

Revenir en arrière non mais pourquoi ne pas rechanter des rôles que j’ai interprétés il y a quelques années. Un rôle a toujours plusieurs facettes. Je trouve qu’on a beau travailler la technique de sa voix pour peut-être un jour atteindre le parfait mais ce n’est pas cela qui apportera l’intensité. Il faut laisser jaillir ses émotions. Si l’on pense trop à la technique, on rajoute des artifices et cela enlève de la force à la prestation. Le beau ne peut pas exister sans profondeur. Ma technique à moi est homogène et maîtrisée. Aujourd’hui je m’amuse, je tente, je prends des risques. Je trouve cela plus intéressant mais il m’a fallu des années.

 

Qu’en est-il de votre voix ?

 

Aujourd’hui ma voix est plus souple, plus sonore. Elle a gagné dans les aigus et en souplesse. Résultat : je peux commencer à faire ce qui me semble bon, c’est à dire laisser place à l’émotion. J’ai toujours eu une certaine pudeur. Aujourd’hui je me déshabille enfin. Je fais sortir le côté animal de ma voix ce qui fait que j’ai l’impression d’être dans le vrai. Une belle voix d’un point de vue technique ennuie le public. Lorsqu’on a ce degré d’émotion l’effet est immédiat sur le public parce qu’on est dans le vrai. Aujourd’hui j’accepte de chanter avec mes défauts. Il faut avoir conscience de soi et une certaine idée de l’égo. Dans une éducation comme celle que j’ai reçue, un peu marginale mais baignée dans le christianisme où l’autre passe avant, on a du mal à se mettre en avant. Le poids judéo-chrétien est lourd, on a presque peur de penser à soi. Sauf que le métier aime bien les personnalités exubérantes. En politique c’est pareil. Pour réussir il faut avoir de l’égo. J’ai ce degré de confiance aujourd’hui.

 

Avez-vous changé de répertoire ?

 

Depuis deux-trois ans je chante des rôles plus aigus : Le Hollandais, les Contes d’Hoffmann, Escamillo. Cela était inespéré dix ans auparavant.

 

Quel compositeur préférez-vous ?

 

J’aime beaucoup Britten par rapport à l’association musique et théâtralité. Chacune de ses œuvres sont de véritables petits bijoux. Je suis très reconnaissant à Mozart d’avoir créé des rôles de baryton-basse. J’ai chanté Figaro des années. J’ai eu accès à Wagner une fois avec le Hollandais. Une expérience incroyable, une puissance terrifiante ! Ce que j’aime chez Wagner c’est cette sensualité, cette animalité que l’on ressent à travers sa musique.

 

Dans quelques mois vous aller chanter Don Quichotte à Seattle. Les Etats-Unis, un autre monde ?

 

Bienvenue dans le monde du sponsoring ! Evidemment la liberté de création est toute relative. Les américains sont plus conventionnels que nous. Figaro doit rester dans son contexte historique. Mais le travail est très intense. Et puis c’est positif de prendre de la distance avec la France, l’Europe. Les américains ont une vision des choses différentes. J’adorerais également aller en Russie et dans les pays slaves car je crois que cela correspond bien à mon état d’esprit mélancolique. J’aime les personnages torturés.

 

Propos recueillis par Raphaëlle Duroselle
  

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