L’occasion de la rencontrer et de faire le point, huit années après le premier entretien qu’elle nous avait accordé.
Forumopera : Nina Stemme, l’Opéra de Paris ne vous avait pas vue sur ses planches depuis presque 10 ans, nous sommes ravis de vous retrouver en scène et on espère que vous aussi ?
Nina Stemme : Ah oui je suis ravie ! Il y a bien eu des propositions à Paris mais comme cela arrive, les agendas n’étaient pas réconciliables et la pandémie n’a pas arrangé les choses avec toutes les productions décalées… ça fait du bien d’être retour ici. Je commence à bien connaitre la maison même si je ne suis pas venue récemment. J’y retrouve mes marques, il y a des choses qui ne bougent pas. Les équipes sont fantastiques, aussi bien en dehors que sur scène : quel plaisir d’être retour à l’Opéra de Paris ! Spécialement pour cette production… nous avons beaucoup travaillé. Mais bon, je n’ai pas encore eu le temps de voir si « Paris était toujours Paris », comme on dit.
Vous reviendrez alors ?
Je ne peux encore rien dire mais c’est tout à fait possible, avec quelque chose de nouveau, espérons-le.
Parlons de ce Lohengrin, que pouvez-vous nous en dire ?
Je le découvre moi aussi encore. Dans une production moderne, réalisée par un cinéaste, nous, les chanteurs, ne sommes responsables que notre « petit » rôle dans un tout beaucoup plus vaste. Kirill Serebrennikov nous assez peu mis la pression à nous les artistes et pourtant il y a eu énormément de travail. Je peux vous dire qu’il y a beaucoup de projections vidéo, en tout cas pendant l’acte II qui est mon acte principal. Ce sont des éléments dans le décor et l’ambiance dont je ne peux pas complètement me rendre compte depuis la position que j’occupe sur scène. L’histoire découle du rêve d’Elsa : Lohengrin est un être rêvé par Elsa, une Elsa un peu en dehors de la société. Mon rôle d’Ortrud, écrit par Wagner comme un personnage un peu sorcière, est aussi un personnage observateur, très intelligent et qui sait comment arriver à ses fins. Ici, elle a fait un mariage malheureux avec Friedrich et est jalouse d’Elsa. L’action se déroule en temps de guerre, une guerre qu’elle semble combattre en tant que médecin. Rien de tout cela n’est mis en scène de manière appuyée mais c’est induit. Aussi, je pense que c’est une production qui fait la part belle à l’émotion. Le spectateur pourra y entrer sans mal avec le cœur et les oreilles grandes ouvertes. Et encore une fois, le niveau artistique est impressionnant.
Vous avez déjà chanté le rôle dans une production à Vienne au printemps, comment cette proposition a modifié votre manière de l’aborder ?
Je pense que j’étais déjà proche de cette interprétation à Vienne. J’ai dans l’idée qu’une méchante ne veut pas forcément l’être. Ortrud s’oppose à la société. Elle est même réactionnaire sous couvert des dieux nordiques anciens. Y croit-elle ou bien s’en sert-elle pour gagner du pouvoir ? Ce n’est pas très important, quand je regarde le texte et la partition, ce qui compte c’est la partie émotionnelle qu’elle porte et je crois que ça l’était pour Wagner.
Quand vous comparez ce rôle à ceux de votre répertoire, diriez-vous qu’il est très exigeant ?
Ortrud est un rôle piège. Dans ce long deuxième acte, vous devez mettre à profit chaque occasion que vous avez de chanter piano. Ma voix s’est élargie et dans le registre central je dois être encore plus attentive à chanter piano quand je peux. Et puis il y a ces éclats très haut dans la tessiture. C’est l’enchainement des deux qui est très exigeant. Un jour où l’on ne sent pas au top de sa forme, cela risque d’être ou l’un ou l’autre qui fonctionne. Après Brunhilde, Elektra et Isolde, ce rôle a l’avantage d’être plus court en comparaison. En contrepartie, il faut rester concentrée et échauffée pour la toute dernière scène où elle revient désespérée.
Otrud, Kostelnica l’an dernier… vous avez annoncé chanter votre dernière Isolde en mai l’année prochaine…
Ce sera la dernière production scénique, oui. Je prévois encore quelques versions de concert.
… Brunnhilde a disparu de votre agenda, lui avez-vous fait vos adieux ?
Je pourrais encore chanter le Crépuscule des Dieux au concert, mais ce n’est pas à mon agenda pour le moment. J’ai voulu dire : « maintenant est le bon moment pour tourner la page ». Je veux m’amuser quand je chante et c’est mieux de se dire « je veux poursuivre avec d’autres rôles » que d’attendre que le public me dise d’arrêter Brunnhilde. C’est un rôle que je n’avais pas vraiment prévu de chanter. J’ai décalé ma prise de rôle en Kundry pour répondre à la proposition de l’Opéra de San Francisco à l’époque, surtout parce que ma voix avait évolué dans un sens favorable.
Vous partez donc dans une nouvelle direction, qu’est-ce qui vous attend ?
Il y aura surement Klytemnestra dans quelques années quand j’arrêterai de chanter Elektra. J’ai encore la nouvelle production de Londres en janvier prochain, qui a été décalée de deux ans avec le Covid, et un engagement avec les Berliner Philharmoniker de Kirill Petrenko à Baden Baden. Cela devrait être ma dernière production scénique. Chez Strauss, je chanterai encore une fois la Teinturière à New York la saison prochaine. Là encore, il s’agit d’un report dû à la pandémie. Cela me prend du temps maintenant de replacer ma voix dans cette tessiture assez haute. Pour d’autres nouveaux rôles, c’est encore incertain. J’ai la chance d’être très occupée en ce moment après les dernières années. Je regarde ; on me fait des propositions mais je suis prudente. Je ne savais pas comment ma voix allait évoluer dans le bas de la tessiture. Je m’y sens à l’aise aujourd’hui. Alors nous verrons bien, j’aime bien me surprendre moi-même.
Isolde a été votre compagne depuis plus de 20 ans, que ressentez-vous alors que vous vous apprêter à lui dire adieu ?
Je me suis sentie bien à Vienne et à Munich quand j’ai assuré un remplacement au pied levé. Bien évidement ce n’est plus la jeune princesse, elle a gagné en maturité. Mais je crois que j’ai encore des choses à dire avec elle. Après on ne sait jamais. Passée la soixantaine, parfois la voix change d’un jour à l’autre. J’en ai bien conscience et j’ai trop de respect pour ce rôle pour la trainer avec moi jusqu’à ce qu’il soit trop tard. Pour des concerts, je ne dis pas non mais les nouvelles productions doivent être laissées à de jeunes chanteuses. Je leur cède la place.
Vous avez reconsidéré la possibilité d’enseigner ?
Non, ce n’est toujours pas dans mes projets. Je n’ai pas le temps avec mes engagements actuels et je ne sais pas si je pourrais être une bonne pédagogue. Je mentore les chanteurs autour de moi qui le demandent.
Une dernière question, qu’est-ce que l’on peut souhaiter à Nina Stemme à présent ?
Je suis heureuse et reconnaissante là où je suis aujourd’hui avec les engagements que j’ai. Je souhaite plus de temps avec ma famille. Le décès de mes parents survenu dans les deux dernières années m’a fait prendre pleinement conscience de l’importance de cette part de nos vies. Mon planning est assez fou en ce moment, avec toutes les reprogrammations post-pandémie. Je m’efforce donc de retrouver un équilibre entre ma vie privée, ma famille, mes amis, des loisirs et le temps consacré à la scène.
Propos recueillis le mardi 19 septembre 2023 à Paris