Presque 150 ans ! C’est le temps qu’il aura fallu pour qu’Odysseus de Max Bruch connaisse sa création française. L’œuvre qui jouissait d’une popularité certaine en Angleterre et outre-Rhin et à la fin du 19e siècle – et dont une gravure de 1999 avec Camilla Nylund témoigne encore de la survivance – n’aura connu qu’une création en langue française en Belgique en 1907, nous apprend le programme de salle. Il faut donc remercier Guilhem Terrail à la direction du Chœur et de l’Orchestre de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, formations non professionnelles, de s’être lancé un tel défi et de le relever avec de nombreuses qualités dans l’enceinte du Grand Amphithéâtre de la Sorbonne. Sans être excessivement difficile, la partition mobilise intensément le chœur tant comme narrateur que personnage(s) de la petite douzaine de scènes de cet oratorio créé en 1873. L’orchestre oscille entre des pages symphoniques ou des transitions orchestrales qui évoquent Beethoven ou Brahms cependant que l’accompagnement et l’écriture vocales évoquent très rapidement une manière de Gluck qui aurait été vitaminée par Berlioz. Ce style hybride, et très certainement déjà daté à la création de l’œuvre, est encore renforcé par le choix de cette version française historique, à la langue un rien ampoulée et à la syntaxe pour le moins baroque.
© Ghadir ISMAIL
En formation moins fournie que ce qui était prévu par le compositeur, l’orchestre trouve une belle unité sous la baguette de son chef. Les tutti ne manquent ni d’épaisseur ni de volume, ce qui nuit parfois aux chœurs disposés au fond de l’estrade de l’amphithéâtre et dont la précision se perd dans l’acoustique très ronde du lieu. Guilhem Terrail, au-delà de mener tout le monde à bon port souligne dès que possible les lignes force de cet oratorio qui ne manque que d’un livret plus linéaire pour se transformer en opéra. Il s’efforce de montrer les cellules et trouvailles de composition d’une partition qui pourrait lorgner vers Strauss si son romantisme n’était pas autant englué dans du classicisme (y compris dans la structure des scènes avec da capo et reprises). Il peut s’appuyer sur des musiciens aguerris, petite harmonie et cuivre en tête.
Le chœur souffre comme souvent dans les formations non professionnelle d’un manque de parité. Les rangs masculins sont plus clairsemés notamment chez les basses. Ils s’en sortent avec les honneurs, cependant que les alti s’imposent comme le point d’ancrage d’une performance plus qu’honorable tout au long de la soirée. L’ensemble est homogène, nuancé. Peut-être la diction gagnerait à être plus précise mais il se peut que l’acoustique de l’Université nous ai joué quelques tours.
Pour son plateau Guilhem Terrail a fait appel des chanteurs professionnels pour tenir la dizaine de rôles de cet oratorio. L’occasion pour Tsanta Ratianarinaivo d’imposer un Mercure claironnant, à l’aigu facile et à la projection claire, et Olivier Déjean de faire entendre une voix de basse assez lumineuse et appliquée à donner du corps aux nobles personnages qui lui sont dévolus. Estelle Béréau déploie un soprano assez opulent. Elle affronte avec vaillance et nuance les aigus des trois rôles de soprano de l’œuvre. Anne-Victoria Ahumada volerait presque la vedette au rôle titre. Déjà, l’intervention d’Anticlée lui permet de faire entendre un timbre chaleureux, un vrai talent de diseuse qui s’incarne avec naturel dans une ligne et un souffle irréprochables. Bien entendu les deux scènes de Pénélope (la lamentation et le tissage du voile) lui permettent de déployer ce chant aussi élégant qu’intelligent avec une intensité encore accrue. Matthieu Lécroart tient sans défaillir le rôle de marathonien qu’est cet Ulysse. La diction, le souffle et le volume sont ses atouts maitres. Si l’on aurait aimé un portrait moins marmoréen et héroïque, avec des stations pouvant montrer des états d’âme plus contrastés, force est de constater que le contrat est rempli, et de fort belle manière.