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Offenbach et la France, ou le Parisien par amour

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7 novembre 2019
Offenbach et la France, ou le Parisien par amour

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Offenbach fonda un genre, et « sans lui, pas d’opérette londonienne, viennoise, madrilène, berlinoise » écrit Robert Pourvoyeur (*). S’il n’eut pas d’héritier, on imagine sans peine quelle est la dette de la France à son endroit : Reynaldo Hahn, Jacques Ibert, Francis Poulenc, Manuel Rosenthal, et combien d’autres, n’auraient pas été ceux que nous aimons sans l’esprit du plus illustre de leurs devanciers.

La francophilie rhénane était liée aux idéaux de liberté et d’égalité, auxquels les juifs étaient plus particulièrement sensibles. Paris, cosmopolite, rayonne alors plus que jamais, et attire tous les talents. Accompagnés de leur père, qui nourrissait pour eux de grandes ambitions musicales, le jeune Offenbach, âgé de 14 ans, et son frère Julius, violoniste de quatre ans son aîné, arrivent à Paris en 1833, venus de Cologne par Bruxelles. Malgré leur nationalité, à la différence de Liszt, Cherubini accepte leur entrée au Conservatoire. Ils changent leurs prénoms pour leur forme française (Jules et Jacques). Si le bref passage du cadet au Conservatoire fut anecdotique, c’est en besognant au sein des petits orchestres des boulevards, dans les bals que Jacques mûrit. Sa fréquentation assidue des salons, pourvoyeurs d’engagements, vecteurs de la mode, amplificateurs de la réputation, contribuera certainement à faire de lui un « vrai » parisien. C’est là qu’il rencontrera Herminie, sa fidèle et dévouée épouse, pour laquelle il se convertira au catholicisme en 1844.

Auparavant, lors de sa première tournée, en Angleterre, l’Illustrated London News l’appelle  « Herr Jacques Offenbach », puisqu’il est encore citoyen prussien, mais avec son prénom français. L’ambiguïté de sa nationalité, son origine juive aussi, seront sources de bien des interrogations, de tracas, d’odieuses calomnies aussi. Lucien Rebatet ne sera jamais qu’une copie défraîchie de ses devanciers xénophobes et antisémites.

A travers son premier album (1842), consacré à six fables de La Fontaine, il illustre notre langue et notre culture, à l’heure où le romantisme germanique fascinait. Sans doute sourd et partisan, tel critique lui déniait déjà, toute capacité à traduire l’esprit français. Ses albums suivants, le 2e (de fait, troisième publié), « Les voix mystérieuses » distinguaient Musset et Gautier, entre autres. Il aura pleinement assimilé la tradition française, au point de s’y inscrire dans ce qu’elle a de meilleur. L’histoire de l’opéra-comique lui est familière (article publié par Le Figaro en juillet 1856) dont il a intégré toutes les composantes. 

En 1848, effrayé par les troubles révolutionnaires, il se retire à Cologne où il compose des hymnes patriotiques allemands. De retour dans la capitale, il retrouve l’Opéra Comique, prend la direction de l’orchestre à la Comédie française, mais, surtout, reprend son cher violoncelle. Ainsi, à Marseille, en 1849, ce compliment – publié par Le Ménestrel – lui est-il adressé :

« De la riche Allemagne, il a tout le génie :
Il est le digne enfant de cette terre bénie
Qui vit naître Schubert, Beethoven et Mozart ! »

Même animé par une indéniable volonté ide s’intégrer, l’équivoque demeurera. Travailleur infatigable, il assumera toutes ses contradictions avec élégance et sourire. Il apprendra le français, conservera un énorme accent tudesque, de négligence ou d’affectation (son autodérision est manifeste dans Lischen et Ftitzschen, comme dans la Rose de Saint-Flour, à l’accent auvergnat). Il écrira notre langue avec une rare élégance de style. Sa maîtrise de la prosodie force l’admiration. Simultanément, son allemand est « mauvais » et il s’en excusera dans sa correspondance. Le public de la plupart de ses créations est parisien, comme nombre de ses ouvrages (Mesdames de la Halle, les Cris de Paris, la Vie parisienne, la Foire Saint-Laurent…). Ses témoignages sincères d’attachement à Paris et à la France abondent. A Londres (1844), il relate : « Malgré tous les hommages que je reçois ici, j’aime encore mieux mon joli Paris […] et suis impatient de retrouver ma bonne ville. ». En 1862, à la naissance de son fils, il écrit à Nadar : « Il y aura encore de beaux jours pour la France ». De retour de son extraordinaire voyage en Amérique, en 1876, Offenbach conclut ses Notes d’un musicien en voyage par : « Je redeviens Offenbach en France ».

Le compositeur déploiera très vite une stratégie internationale, avec le double objectif de trouver les fonds nécessaires à ses entreprises, toujours brillantes, mais fragiles, et de conquérir de nouveaux publics (Cologne, Londres, Berlin, Vienne, Bad Ems, Bruxelles, les Etats-Unis…). Ses facultés d’adaptation sont extraordinaires, comme en témoignera son séjour américain. Par ailleurs, il trouvera à l’étranger un monde musical bienveillant, comme musicien français, ce qui le reposera de la hargne de certains « bons » patriotes. Dès ses premiers succès, il est l’objet d’une fascination comme d’un mépris sans nom : « Un juif de Cologne, …Offenbach, joueur comme les cartes, garçon d’un esprit bouffon et père d’une chiaulée d’enfants… » (un acteur, en 1853). Une campagne de presse hostile se développe dès le début des années soixante. Scudo (le pire des critiques, très respecté en son temps) n’hésite pas à écrire : « Offenbach est né à Cologne de race sémitique (…) dont il porte l’empreinte fatale ». Une malencontreuse polémique avec Wagner « musicien de l’avenir » traduit non seulement les différences de caractère des hommes, mais aussi la violence des propos de ce dernier, osant écrire qu’Offenbach « possède la chaleur du fumier où tous les cochons de l’Europe ont pu se vautrer », n’hésitant pas à accroître la charge après la victoire prussienne de 1870.  

En 1856, centenaire de Mozart oblige, s’il monte une adaptation du Schauspieldirektor, c’est autant pour que son théâtre gagne en respectabilité que pour rendre hommage au compositeur. Auparavant, il avait demandé à Rossini l’autorisation de monter Il signor Bruschino, s’attirant la réponse du maestro qu’il était heureux de pouvoir faire n’importe quoi pour le « Mozart des Champs-Elysées ». Cette même année, il fait la proposition de réunir à Paris un « Congrès universel de la musique, rassemblant toutes les sommités musicales, toutes les sociétés chorales d’Europe ». « Pourquoi la France (…) n’instituerait pas ces fêtes artistiques qui sont pour l’art un concours et une émulation ? ». Ces initiatives resteront sans lendemain, mais traduisent bien le désir d’Offenbach de créer, par la musique, des liens durables entre les peuples. Les expositions universelles (1855, 1867, à Paris, 1876 à Philadelphie) et l’importante curiosité qu’elles suscitent seront pour lui autant d’occasions de s’imposer comme une figure majeure de la musique de son temps. C’est, du reste, à l’occasion de la première qu’il inaugura les Bouffes-Parisiens.

Même Gautier, d’ordinaire lucide mais parfois imperméable à la dérision, l’avait attaqué pour avoir « sali la blanche robe d’Orphée » (1858). Offenbach fut naturalisé, plus de trois ans après sa demande, le 14 janvier 1860. L’année suivante, en même temps que Labiche, il était fait Chevalier de la Légion d’honneur. Dès la création de la Belle Hélène (1864), l’antisémitisme rampant s’exhalait dans la bouche d’Emile de Girardin : « Il ne faut pas ruiner nos filialités (…) Offenbach qui blague la Grèce, inspiratrice de nos traditions artistiques, est le continuateur d’Halévy, qui a exalté sa race dans La Juive. Ils sont les démolisseurs de notre idéal, auquel ils veulent substituer le leur, celui du Veau d’Or ». On parle aussi de « lèse-patrie ».

Il ne se souciera guère de politique, observateur naïf, candide, qui s’intéresse davantage aux hommes qu’à leurs conceptions sociales. Le bourgeois, conformiste, conservateur se fera iconoclaste, tournant en dérision le social, le politique, l’artistique, le sentimental aussi. La satire du militarisme et des petites cours allemandes de la Grande-Duchesse de Gérolstein (1867, qui sera interdite de 1870 à 1875) ne doit pas faire oublier ses ouvrages patriotiques, depuis Les Vivandières de la Grande-Armée (1859) jusqu’à la Fille du Tambour-Major (1879). La Marseillaise, citée ironiquement dans Orphée aux enfers, fait place au Chant du départ dans ce dernier ouvrage. Les « Vive la France » mériteraient d’être comptés.

A la fin de du Second Empire, il est fréquemment à Ems et Baden-Baden, les deux stations thermales les plus appréciées des Français. La guerre franco-prussienne de 1870 va le bouleverser. Il rentre vite de Rhénanie à Etretat, pour mettre sa famille à l’abri, à Saint Sébastien. D’emblée il prendra position pour la France, sans équivoque. Les insultes, la calomnies fleurissent à la faveur des sursauts de vertu hypocrite et d’un nationalisme aussi rance qu’abject (Félix Clément écrit qu’il « sert la politique de Bismarck »). Il est devenu « le Prussien », désigné à la vindicte comme l’incarnation d’un régime dont il avait été l’amuseur comme le plus critique des observateurs. Sa connivence, souvent alléguée, avec le pouvoir impérial, est démentie par les faits : ses propositions et demandes demeurent le plus souvent sans réponse. Il est vilipendé en des termes qui outrepassent la simple polémique : Juif pervertisseur, Allemand perfide, ayant sapé le moral de la société pour préparer la domination prussienne. Longtemps après, Zola le désigne encore comme « un ennemi public qu’il faut étrangler derrière le trou du souffleur, comme une bête malfaisante ».

Rentré à Paris fin 1871, ses succès en Angleterre et à Vienne compensent les effets de la défaite. Il prend le contrôle de la Gaîté, en juillet 1873, d’où il sortira ruiné. Mais il surmontera sans peine ses difficultés et les changements d’esthétique, en s’adaptant à l’opéra féérie, sans pour autant renoncer à s’imposer comme un musicien respectable, sérieux. Son but, quasi exclusif, aura été d’obtenir la reconnaissance, que son génie dramatique n’avait rien à envier à celui de ses contemporains. Les Contes d’Hoffmann, ultime chef-d’œuvre, partiellement inachevé, n’est-il pas le meilleur résumé du parcours du compositeur ? Sur ses racines germaniques, fantastiques (adaptée au terreau parisien par Barbier et Carré) il va composer la plus française des œuvres, par sa clarté, son élégance, sa vivacité, son naturel, sa fraîcheur.

Les insinuations, les calomnies, progressivement assourdies, cesseront avec sa disparition. A 61 ans, en 1880, épuisé par le travail et la maladie, il s’éteint à Paris. Inhumé dans la 9ème division du cimetière Montmartre, après de superbes funérailles d’Etat, à la Madeleine, il est enfin devenu le plus parisien des musiciens. Charles Garnier réalisa son monument funéraire, orné d’un buste de Jules Franceschi.

(*) Robert Pourvoyeur, Offenbach, Le Seuil, collection Solfèges, 1994, p. 238. Il convient d’ajouter cette excellente introduction à Offenbach et à son oeuvre à la bibliographe succincte publiée avec la présentation de cette série. (Musicologue, spécialiste de l’opérette et du XIX e S, on doit au regretté Robert Pourvoyeur de nombreux ouvrages et articles relatifs à Offenbach, qui n’ont pas pris une ride).

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