Oliver Mears vient d’être nommé directeur de l’opéra à Covent Garden pour succéder à Kasper Holten. A l’occasion de la première diffusion sur grand écran d’un spectacle du Royal Opera House (Die Zauberflöte, 20 Septembre), Oliver Mears, son nouveau directeur, présente sa vision d’une des plus grandes maisons d’opéra du monde.
Vous vous êtes fait connaître en fondant “Second Movement”, qui proposait des spectacles d’opéra innovants dans des lieux inhabituels. Faut-il s’attendre à des productions innovantes et inhabituelles à Covent Garden dans les années qui viennent ?
Je l’espère bien ! Je pense qu’en Grande-Bretagne, l’opéra est victime de beaucoup de préjugés et d’idées préconçues. C’est un peu le cas dans le monde entier, mais il faut se rappeler qu’au Royaume-Uni, il ne s’agit pas d’une forme d’art indigène, l’opéra n’ayant été illustré dans le passé que par quelques compositeurs autochtones (Purcell, Britten, Tippett) même si l’on peut penser aujourd’hui à des noms comme Turnage, Benjamin ou Adès. Notre responsabilité est donc de briser les barrières qui existent entre les publics et cette merveilleuse forme d’art, dans tout ce qu’elle a d’exubérant et d’excessif. Avec « Second Movement », notre objectif était de monter des opéras dotés d’une incroyable force théâtrale et musicale, dans des endroits inhabituels à Londres (un entrepôt, une chapelle…). C’était l’occasion d’attirer l’attention sur ces œuvres tout en proposant une expérience différente, plus informelle, où l’architecture du lieu avait une influence décisive. Nous avons réussi à atteindre un degré de communication qui est parfois absent à l’opéra, et c’est quelque chose que j’ai essayé de poursuivre dans mon travail en Irlande du nord, où il n’y a pas non plus une grande culture de l’opéra.
A Covent Garden, vous allez vous trouver tout à coup dans un contexte entièrement différent.
Des recherches l’ont prouvé : en Angleterre, la plupart des gens ne vont pas à l’opéra parce qu’ils ont peur de s’y ennuyer, donc il s’agit de leur proposer un spectacle cohérent, aussi fort sur le plan théâtral que musical. Cela signifie trouver des metteurs en scène qui savent transformer les chanteurs en acteurs, qui savent raconter une histoire de façon claire, et qui ont un véritable univers visuel à offrir. Je trouve qu’à l’heure actuelle, il y a trop de gris dans les spectacles d’opéra, alors que les gens veulent de la couleur, de la vie, de l’enthousiasme. Donc je pense qu’il existe un lien entre mon travail antérieur et celui que j’accomplirai au Royal Opera House, ce magnifique édifice qui a connu plusieurs incarnations différentes au cours de ses trois siècles d’existence, qui a accueilli les plus grands défenseurs du drame en musique, d’où qu’ils viennent, qu’il s’agisse de Georg Friedrich Haendel, de Maria Calls ou de Jonas Kaufmann. C’est un autre défi, car ce théâtre est d’une telle richesse et d’une telle beauté qu’il constitue un élément essentiel de ce qu’on ressent en allant à Covent Garden. Nos spectacles devront choquer, transporter, ravir, horrifier parfois, provoquer l’émotion toujours. On va à l’opéra pour vivre des sentiments plus forts qu’au quotidien.
Pour ce qui est d’horrifier, Covent Garden a également connu un série de scandales liés à la mise en scène, ces dernières années : on pense à Guillaume Tell ou à Lucia di Lammermoor…
Quand je dis « horrifier », ce n’est qu’une émotion parmi d’autres, et je parle de la réaction du public au drame psychologique qui se joue sous ses yeux, à la situation des personnages, qui est toujours extrême, à l’opéra. Nous voulons susciter des émotions aussi extrêmes en réaction à l’histoire qui est narrée. Ce que nous ne souhaitons pas, c’est que les spectateurs se sentent coupés des œuvres, aliénés à cause d’autres facteurs. Il ne s’agit pas qu’ils soient horrifiés par la qualité théâtrale des spectacles, ni qu’ils aient l’impression que l’on a cherché à la choquer de façon gratuite.
Pendant longtemps, Covent Garden a eu la réputation d’être un théâtre très conservateur, par rapport à l’English National Opera, où l’on pouvait voir des spectacles beaucoup plus novateurs. Depuis une quinzaine d’années, cette distinction semble s’être un peu estompée.
C’est un énorme privilège pour les Londonien que d’avoir deux maisons d’opéra aussi actives, et nous donnons le meilleur de nous-mêmes quand ces deux théâtres fonctionnent au maximum de leurs capacités. Je pense aussi que les gens qui vont à l’opéra ne se soucient pas tellement de ce genre d’étiquettes : ils veulent simplement vivre de grands spectacles, quelle que soit la manière dont on leur raconte l’histoire. Il ne me paraît pas intéressant de raisonner en opposant les termes « conservateur » et « novateur » : nous voulons avant tout être au service de notre public. Il y a des différences entre les deux bâtiments, et bien sûr, les spectacles donnés à l’English National Opera sont chantés en anglais alors que, depuis le début des années 1960, Covent Garden interprète les œuvres dans leur langue originale. Ce que nous voulons, c’est nous assurer que notre public est heureux, et je suis sûr qu’il en va de même à l’ENO.
Depuis quelques saisons, le Royal Opera House a montré l’exemple à la France en défendant des œuvres comme Robert le Diable, Les Vêpres siciliennes ou Guillaume Tell. Pour le répertoire baroque français, en revanche, tout reste encore à faire, semble-t-il.
L’opéra des XVIIe et XVIIIe siècle me passionne. Haendel a donné en première mondiale tant de ses merveilleux ouvrages sur le bâtiment qui existait à l’emplacement du Royal Opera House, et nous aimerions remonter ces opéras, faire plus de Haendel, car la salle s’y prête tout à fait. Bien sûr, nous souhaitons avoir le répertoire le plus large possible, c’est que nos publics demandent : Monteverdi, Cavalli, et bien sûr, Rameau, qui est une personnalité immense dans l’histoire de la musique ; il y a d’ailleurs une nouvelle production qui est à l’état de projet, et dont il est encore trop tôt pour parler.
Pour ces opéras se pose évidemment le problème de l’orchestre.
Pour ma part, je fais toute confiance à notre orchestre, qui n’a plus joué Haendel depuis dix ans, mais qui l’a fait par le passé. Et il y a vingt ans, il était en fosse pour Platée, dont les musiciens du Royal Opera House ont déjà une expérience dans ce domaine. Reste à voir quelle est la meilleur approche à adopter pour ce répertoire.
Pensez-vous que le Brexit aura un impact sur l’activité du ROH ?
C’est encore trop tôt pour le savoir. Nous sommes une maison d’opéra internationale, nous voulons rester ouvert sur le monde, et cela ne changera pas, quoi qu’il arrive. Quelles que soient les pressions, liées à l’inflation ou à la liberté du mouvement, nous restons optimistes.
Pour votre image internationale, vous avez choisi de diffuser dans les cinémas de la planète des titres qui sont des valeurs sûres, des piliers du répertoire.
Les études montrent que c’est avec ces titres populaires que l’on attire de nouveaux spectateurs à l’opéra. Nous aimerions proposer dans les cinémas des œuvres rares, mais les statistiques indiquent que nous avons plus de chances de réussir avec des titres standards. Cela dit, j’attire votre attention sur le fait que Carmen et La Bohème sont deux nouvelles productions très stimulantes, la première due à Barrie Kosky, qui l’a montée cet été à Francfort, la seconde à Richard Jones. Alors oui, il s’agit de répertoire totalement classique, mais présenté d’une manière qui n’aura, elle, rien de conventionnel.
En termes de fréquentation, vous ne craignez pas les éventuels effets négatifs de la diffusion dans les cinémas, qu’on accuse parfois de contribuer à la désertification des salles ?
Même si l’on ne peut pas encore tirer de conclusions définitives, nos recherches semblent indiquer que ce problème de cannibalisation ne se pose pas en Grande-Bretagne. Bien sûr, il est très important tout de rester à l’écoute de ce que perçoivent nos collègues dans le reste du pays, nous ne voulons surtout pas compromettre l’offre de spectacles vivants hors de Londres. Mais nous sommes une institution nationale, la plus richement dotée des institutions artistiques du Royaume-Uni, et tous les habitants du pays doivent pouvoir bénéficier de nos représentations même s’ils habitent trop loin pour se déplacer. La diffusion dans les cinémas étend notre portée et permet aux gens d’assister à un spectacle de qualité qui leur serait inaccessible autrement. Jamais le cinéma ne se substituera à l’expérience unique que l’on vit lorsqu’on se trouve dans un théâtre où des centaines de personnes assistent en même temps à l’effort physique des chanteurs sur scène, mais le cinéma peut offrir des gros plans, des interviews, tout une série de contenus autres en plus de la diffusion.
Quelles œuvres aimeriez-vous programmer à Covent Garden au cours des saisons prochaines ?
Je viens de parler de Haendel et de Rameau, mais il y a aussi beaucoup d’œuvres importantes de compositeurs russes qui n’ont jamais été données au Royal Opera House, comme La Khovanchtchina ou Mazeppa. Nous allons lancer un cycle Janáček, qui sera également l’occasion de quelques premières in loco, comme De la maison des morts, qui ouvrira le cycle, ou L’Affaire Makropoulos. A nous ensuite de trouver le juste équilibre entre le renouvellement et la continuité…
Propos recueillis et traduits le 22 mai 2017
En 2017-18, six spectacles d’opéra seront diffusés dans les cinémas en direct de Covent Garden : La Flûte enchantée le 20 septembre ; La Bohème le 3 octobre ; Rigoletto le 16 janvier ; Tosca le 7 février ; Carmen le 6 mars ; Macbeth le 4 avril