Passons aux pasticcio ou pasticcii (?) pour les puristes. Maintenant que presque tous les opéras de Haendel disposent d’un enregistrement digne de ce nom, il semble temps de se pencher sur ces œuvres agencées rapidement entre deux créations, à partir d’emprunts aux compositions passées du compositeur. La démarche est certes intéressante musicologiquement, mais l’on regrette que ces artistes n’aient pas préféré se pencher sur une Arianna in Creta ou d’autres œuvres originales de Haendel qui attendent toujours leur version de référence. Intéressante musicologiquement néanmoins, car les airs retenus par le compositeur à ce moment de sa carrière ne seraient certainement pas ceux que l’on prendrait aujourd’hui. Dans le programme de salle, Vincent Borel vante la pertinence dramatique du choix des morceaux. On reste tout de même sur notre faim face à un livret compliquant bien inutilement le drame d’Euripide, faisant d’Iphigénie un personnage très secondaire et devant cet enchaînement qui, au « Pensieri » d’Agrippina fait suivre de peu l’« Agitato da fiere tempeste » de Riccardo Primo dès le début de l’acte I. Consentons plutôt à ce qu’Haendel ait choisi des airs visant davantage le tour de piste pour ses deux chanteurs principaux, que l’équilibre dramatique, contrairement à Ariodante ou Alcina composés la même année.
Nos protagonistes de la soirée l’ont d’ailleurs bien senti et ne cherchent pas la finesse psychologique. Covid oblige, la soirée a été réduite à 1h40 sans entracte. On a heureusement fait le choix de préserver la succession de récitatifs et d’arias (quitte à se priver parfois de reprises da capo), évitant ainsi de tomber dans la simple succession d’arias, la soirée de gala. Il Pomo d’Oro dirigés par Maxim Emelyanychev sont égaux à eux-mêmes : véhéments dans l’ouverture et dans la danse gaillarde du lieto fine, ils sont de bons mais trop discrets accompagnateurs pour les airs. Ecrin trop lisse pour des chanteurs parfois trop brillants. Des seconds rôles, seul se détache Krystian Adam dont le « Caro amico » est riche de contrastes, et pourtant très juste et délicat ; dommage que les vocalises de sa copie de « La Gloria in nobil alma » tiré de Partenope soient un peu trop tendues. Biagio Pizzuti campe un Toante un peu trop pâle. Margherita Maria Sala jouit d’une voix de contralto très sonore, ce qui est rare, mais tout comme Toante ou Ifigenia, Haendel ne l’a pas vraiment gâtée d’airs mémorables, étonnamment. Siobhan Stagg est une atride à la voix vaporeuse qui ne manque ni d’ambitus, ni de métier, mais sans doute encore de personnalité.
Non décidément, ce soir, il n’y en avait que pour les héritiers de Carestini et de la Strada del Po. Julia Lezhneva orne très certainement bien plus que sa prédécesseure un « Dite pace » grisant et des cadences folles. Elle dose ses effets hallucinés et planants à merveille. Depuis plusieurs années maintenant, elle est attentive à rendre son chant plus expressif, quitte aujourd’hui à en faire trop. Tout comme Franco Fagioli, osons le dire, elle est ce soir mauvaise actrice. On aurait quand même aimé plus de finesse et d’intériorité pour le duo « Ah mio caro » truffé d’autant de croches que de clins d’œil appuyés. On a d’abord cru que Franco Fagioli s’était assagi, il ne faisait que se préserver. Plus la soirée avançait, plus ses ornements sont devenus aussi fous que vaniteux, jusqu’à une interminable cadence concluant « Dopo l’orrore » (sans doute la plus longue que nous ayons jamais entendue !) très certainement largement improvisée et après laquelle les musiciens ont presque hésiter à reprendre la ritournelle. Attitudes hyper-affectées, chanteur s’écoutant énormément, sourcils et ports de bras caricaturaux, sentiments dépeints à la truelle, vont de pair avec une science belcantiste qui semble infinie et une audace des effets inouïe (jusque dans un suraigu perçant très peu musical). Il y a de quoi souffler un auditoire, mais rien pour l’émouvoir. Ce soir, ne reprochons pas au feu d’artifice de manquer de psychologie.