Premier Otello de Jonas Kaufmann… Cette nouvelle prise de rôle était sans doute l’un des événements lyriques les plus attendus de la saison. Vocalement, le ténor allemand remporte sans conteste son pari. Dans une forme éclatante, Kaufmann offre une projection impeccable, qui lui permet de passer sans problème le mur orchestral, et de venir au bout de ce rôle épuisant sans fatigue apparente. Cette puissance n’empêche pas de fines nuances, portées par un phrasé parfait et un jeu subtil sur les registres mixte et de poitrine. Les aigus sont crânement assurés, y compris le contre-ut sur « Quella vil cortigiana », ultime manifestation de la masculinité bafouée d’Otello. L’intelligence du texte est remarquable, mais sans excès surinterprétatifs. Enfin, le timbre sombre sied particulièrement au personnage. L’interprétation scénique laisse en revanche un peu dubitatif. Volonté du metteur en scène ou du chanteur allemand, cet Otello se révèle plus proche d’un jeune romantique tourmenté et peu sûr de lui, que du guerrier farouche dont l’assurance se fissure peu à peu sous le coup des insinuations de Iago. Remplaçant Ludovic Tézier écarté au début des répétitions, Marco Vratogna est un Iago de facture classique, un brin histrionique ce qui explique sans doute son triomphe aux saluts. Certaines grimaces nous ont pourtant semblé mal venues : pour ceux qui l’entourent, Iago est un honnête homme ; comment dans ces conditions faire confiance à un individu aussi louche ! Au positif, la voix offre la puissance requise et le baryton est capable de belles nuances également, avec là aussi un jeu sur les registres. L’intonation est en revanche parfois approximative. Dramatiquement et vocalement, Vratogna et Kaufmann s’avèrent complémentaires, avec une certaine complicité dans leurs duos. Maria Agresta a pour elle un beau timbre et une projection respectable. Elle sait également amener de beaux piani. Son interprétation reste toutefois un peu extérieure : il manque à ce beau chant ce je ne sais quoi de force dramatique qui donne le frisson. Les seconds rôles sont excellents. Frédéric Antoun est un Cassio de luxe, au chant parfait. Thomas Atkins est davantage un intéressant ténor de caractère. En Montano, Simon Shibambu offre une beau timbre de basse. Kai Rüütel est une Emilia a la voix puissante, d’un bel engagement dramatique ; In Sung Sim un ambassadeur d’une belle prestance.
© Catherine Ashmore
Le spectacle de Keith Warner ne manque pas d’idées, bonnes ou mauvaises, mais l’ensemble manque de cohérence. On apprécie par exemple la vision maléfique de Iago en ombre chinoise, mais moins ses débordements où il applique de force une sorte de masque mortuaire sur le visage d’Otello à la fin de l’acte III. La mort d’Otello, dans un flot d’hémoglobine, n’émeut pas davantage qu’un film gore. Côté décors, très stylisés, on apprécie une certaine sobriété, empreinte d’élégance, mais sans rapport avec les costumes : celui d’Otello, trop simple, contribue à dépouiller le héros de sa prestance. A l’inverse, les vénitiens de l’acte III semblent sortir d’une revue « à plumes ». Que viennent faire également dans cet environnement des scènes de combats inspirés des Ninjas ?
A la tête de l’orchestre du Royal Opera, en très bonne forme à l’exception des cuivres, Antonio Pappano opte pour un tempo particulièrement rapide, une sorte de course à l’abime survoltée. Cette célérité n’empêche pas le chef anglais de ciseler de multiples détails de l’orchestration. Le concertato du finale de l’acte III, donné ici dans sa version longue, est ainsi une merveille d’architecture maîtrisée.