Nous l’avons rencontrée à Marseille où elle chantait le rôle de Giulietta dans I Capuletti e I Montecchi. Patrizia Ciofi évoque avec finesse son amour pour l’opéra en général et la musique de Puccini en particulier. Promenade dans son univers expressif, à la fois personnel et universel.
On vous définit souvent comme une artiste « habitée ». Où trouvez-vous l’inspiration ?
D’abord il y a la musique qui conduit notre lecture, notre sensibilité. La musique c’est très important pour faire vivre notre théâtre. Il faut être des interprètes, des acteurs et il faut en avoir la technique.. Dans la musique il y a la clef pour donner l’âme et la voix à ses personnages. Après évidemment il faut s’inspirer de la vie. Nos personnages s’inscrivent dans des époques anciennes, mais, dans l’opéra il y a quelque chose d’universel, de contemporain. Même si on parle un langage désuet, qu’on revêt des costumes qui ne sont pas modernes, qu’on a des réactions un peu affectées face à des situations difficiles, douloureuses, violentes, il y a pour moi des êtres humains reconnaissables, des femmes reconnaissables, des vies, des émotions, des sentiments qu’on peut toucher. Moi je les sens et je les retrouve dans ma vie, dans les femmes qui m’entourent, dans l’actualité, dans notre monde et donc c’est là aussi que je trouve l’inspiration : dans le monde et dans la vie quotidienne. Je parle de moi-même, de ma vie, de mon expérience, de mes sentiments, de ma façon de sentir à travers les personnages que j’interprète. Ce sont mes amies, mes sœurs et je dois les remercier car elles m’ont aidée à découvrir mon propre univers, peut-être aussi le monde masculin qui est toujours très fort dans ces histoires.
Votre répertoire est vaste, de Vivaldi – Bajazet, Ercole sul Termodonte – à Strauss – Der Rosenkavalier – en passant par Mozart, Rossini, Bellini, Verdi ou encore Puccini…
J’ai dépassé les cent rôles depuis longtemps et un jour j’écrirai tout ce que j’ai chanté (rires). L’écoute est très importante : j’ai toujours écouté plusieurs autres interprètes dès mes débuts, pour comprendre et trouver ma propre voix, ma propre inspiration et ma propre interprétation. Et donc j’ai compris à travers l’écoute puis mon expérience ce que chanter Haendel ou Rossini veut dire, avec leur virtuosité respective. Evidemment il y a une technique vocale qui est toujours la même mais il faut qu’elle soit au service du répertoire. Dans le baroque, j’ai l’impression d’être un instrument à vent, une flûte par exemple et je vais chercher à avoir une voix plus pure. Il faut également se faire l’écho de ce que racontent les instruments. Quand on chante un répertoire où il y a des grands portamenti, où l’orchestre joue avec fougue, la voix doit chanter de la même façon : les coloratures ont une énergie, un élan différents et surtout on raconte des choses. Avec le bel canto, la cadenza n’est jamais la finalité car il faut raconter une histoire. Ma voix est un moyen d’interpréter et je suis toujours au service de ce que je dois raconter. C’est vraiment dans la partition que se trouvent ces informations. On raconte aussi une époque précise donc il faut la connaître et la transmettre avec ses propres émotions.
Le programme de votre prochain récital, à Paris le 25 avril est composé d’airs de Haendel : un moyen de « renouer » avec le répertoire baroque ?
Cela faisait longtemps que je n’avais pas chanté de baroque en effet. Depuis plusieurs années, j’interprète plutôt le grand répertoire romantique. Mon dernier Haendel sur scène était Cleopatra dans Giulio Cesare à Bilbao en 2009. Le projet vient de l’ensemble baroque Il Pomo d’Oro et consiste en un programme Haendel avec des airs variés, certains doux et d’autres plus fougueux. Nous avons mis au point un programme à partir de personnages féminins aux fortes personnalités : Alcina, Cleopatra, Armida, Rodelinda… Ce sont des femmes très intéressantes à interpréter car elles ne se laissent pas faire, elles ont le pouvoir sur les hommes ; ce sont des enchanteresses, des magiciennes, elles possèdent un pouvoir de séduction très fort. Elles sont fortes mais aussi très cruelles comme les hommes, avec une soif de vengeance, de la jalousie et des réactions explosives. Cela change des héroïnes du bel canto ! Nous avons déjà interprété ce programme plusieurs fois : l’année dernière au festival de Menton et à Karlsruhe en février (voir le compte-rendu)
On a l’impression que vous pourriez tout chanter…
Non, détrompez-vous, une soprano légère comme moi peut interpréter l’intégralité du rôle de Violetta mais ne pourra pas interpréter celui de Cio Cio San car l’orchestre, trop lourd, couvrira sa voix. En revanche, une soprano qui chante Puccini est tout à fait capable de chanter Verdi parce qu’elle a les notes et parce que l’orchestre verdien est plus délicat que l’orchestre puccinien. En chantant dans une tessiture qui n’est pas la sienne, la voix risque de s’épuiser et de s’abîmer. Des mezzos comme Joyce DiDonato ou comme Karine Deshayes peuvent interpréter des partitions assez aiguës. Mais il faut faire attention à ne pas chanter tout le temps dans des passages trop tendus. Néanmoins, on peut se laisser tenter par certains rôles périlleux car il faut oser relever des défis ! Moi j’essaye de temps en temps de sortir un peu de mon répertoire belcantiste, lyrique de colorature. J’aimerais rentrer davantage dans du Verdi, dans du Puccini plus costaud mais je n’ai pas la puissance vocale pour surmonter leurs orchestres. Il faut aussi avoir la griffe vocale – la couleur – qui colle au rôle : je pourrais chanter par exemple Leonora dans Il trovatore mais je n’ai pas le timbre du rôle.
Vous reste-t-il des rôles à ajouter à votre palmarès ?
J’ai des projets et des idées aussi qui, je l’espère, se réaliseront. Fin juin, je chante dans Viva la Mamma à l’Opéra de Lyon. C’est l’aspect comique de l’œuvre qui m’intéresse. J’ai l’intention de revenir à certains rôles, comiques, que j’interprétais plus jeune. J’étais jusqu’alors plus à l’aise dans des personnages mélancoliques parce que la couleur de ma voix – veloutée, voilée – raconte cela. J’ai décidé de revenir à des rôles moins dramatiques. C’est aussi un autre défi vocalement, il faut être pointue, plus acide. Une prise de rôle importante m’attend l’automne prochain à Liège : Norma. Je pense qu’avec ma vocalité actuelle, plus lyrique, plus ronde, peut-être moins aiguë, plus centrale, je peux approcher ce rôle. Du moins, je vais essayer ! J’aimerais beaucoup chanter Madga dans La Rondine de Puccini. C’est une œuvre qui me touche beaucoup et de manière générale j’adore Puccini. C’est un monde d’émotions incroyables, souvent maltraité car l’on pense à tort qu’il s’agit d’une musique facile Pourtant, il suffit d’ouvrir une partition pour en découvrir la richesse. J’aimerais bien aussi chanter plus de baroque, non pas en concert mais sur scène : Alcina, par exemple, est un rôle extraordinaire !