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Paul-Antoine Bénos-Djian : « Je ne me fixerai aucune limite de répertoire »

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Interview
11 mars 2019
Paul-Antoine Bénos-Djian : « Je ne me fixerai aucune limite de répertoire »

Infos sur l’œuvre

Détails

Rinaldo la saison dernière à l’Opéra de Nantes puis en tournée dans le spectacle féérique imaginé par Claire Dancoisne, Paul-Antoine Bénos-Djian tord le cou au cliché toujours tenace qui voudrait que les contre-ténors aient une voix d’ange, aérienne et flûtée. Certains ont même qualifié de « terrien » son alto charnel et profond ! A l’automne, toujours à Nantes mais cette fois en la Chapelle Notre-Dame de l’Immaculée Conception, ce chanteur de vingt-huit ans nous livrait une incarnation à la fois ardente et pétrie d’une humanité bouleversante du San Giovanni Battista de Stradella dont Damien Guillon et Vincent Tavernier réveillaient les fulgurances dramatiques. C’est à nouveau sous la direction de Damien Guillon et avec son Banquet Céleste que Paul-Antoine Bénos-Djian chantera la Passion selon Jean les 17 et 18 mars à l’Opéra de Renne. Retour sur un parcours béni des dieux et que nous lui souhaitons irrésistible, car il a tout d’un grand, à commencer par une musicalité rayonnante et une désarmante simplicité. 


Vous avez débuté sur scène à l’âge de 10 ans. Vous souvenez-vous dans quel spectacle et quel rôle? 

C’était dans Pollicino [Le Petit Poucet] de Hans Werner Henze, un projet monté par l’Opéra Junior de Montpellier. Je jouais un des frères de Pollicino. Il y avait quelques brèves parties solistes, mais c’était essentiellement du chœur puisque les frères intervenaient groupés. C’était une fort belle production, mais je n’avais alors aucune notion de ce qu’était l’opéra et je m’étais laissé embarquer dans ce projet parce qu’on me l’avait conseillé. 

Vous étiez encore soprano ou déjà alto ?

Je dois avouer ne pas m’en souvenir précisément. Je crois avoir chanté les parties d’alto ou Soprano 2. Je sais, en revanche, que je chantais de manière assez instinctive et que je ne me souciais pas de ces histoires de tessiture ! Ca n’est que bien plus tard, en prenant mes premiers cours de chant et en me confrontant à mes premières limites techniques que je me suis interrogé sur tout cela. Et c’est à ce moment-là qu’il n’est pas aisé de progresser tout en gardant cette forme d’insouciance et de naturel nécessaire à toute interprétation, il me semble.  

Après la mue, la tessiture qui s’est dégagée était celle de ténor ? 

Oui, mais un ténor sans aigus [Rires], du moins sans aigus flagrants. Mais par contre, une envie de les aborder en voix de fausset. Alors, était-ce une envie, une peur ou un désir de revenir un peu à l’enfance, je ne pourrais pas vraiment vous dire. En tout cas, cette voix de fausset était bien présente. Les aigus de ténor, qui constituent aujourd’hui le médium de ma voix d’alto, c’est une partie de la voix que j’ai beaucoup utilisée pour chanter, que ce soit de la variété ou de la musique classique. 

Y a-t-il eu un événement particulier, un déclic qui vous a décidé à devenir contre-ténor ?

Quand j’étais au Conservatoire de Montpellier, Patrice Baudry, le chef de chœur, mais aussi Claire Garonne m’ont encouragé à travailler ma voix parce qu’ils y avaient décelé un potentiel. Après la mue, lorsque je m’aventurais un peu en fausset, mon entourage ne connaissait pas forcément bien le baroque. J’étais passé par d’autres répertoires, en chœur d’enfant, nous avions fait du Brahms, du Mendelssohn, du Dvorak également, pas mal de répertoire romantique, mais très peu de baroque. Or, on m’a évidemment appris que ce registre de fausset était prédestiné au baroque tout en me conseillant de tenter ma chance au Centre de Musique Baroque de Versailles. Cela s’est fait comme ça. J’y suis entré à l’âge de 21 ans, après avoir terminé mon cursus de percussion. J’avais passé mon prix et j’ai beaucoup hésité entre les deux voies, mais j’ai choisi le chant parce que c’était ce qu’il y avait de plus viscéral en moi. J’ai donc passé le concours à Versailles et j’ai été admis. Et là je me suis retrouvé à chanter du répertoire de… haute-contre.

De haute-contre au sens historique du mot, c’est-à-dire de ténor aigu ? 

Absolument. Olivier Schneebeli mixait des ténors aigus et des contre-ténors dans les parties de haute-contre. J’ai donc évolué dans le pupitre de haute-contre, avec un diapason à 392, sans dépasser le La, pendant deux ans. C’est de cette manière que ma voix d’alto s’est formée. Il y avait pourtant aussi à l’époque, et aujourd’hui encore, la possibilité de choisir un contre-ténor pour assurer une partie de bas-dessus, donc de soprano II, mais j’avais été placé en haute-contre ainsi que d’autres étudiants. 

C’est ce qui a sans doute favorisé le développement de ces couleurs d’alto plus profondes et chaudes qui ne sont pas courantes chez les contre-ténors…

C’est certain. Mais j’ai également le souvenir, parce que j’étais assez ouvert à tout répertoire, d’avoir abordé au CMBV le répertoire de mélodies et de lieder avec Mark Davies, qui était mon chef de chant piano, avec qui j’ai pris beaucoup de plaisir à travailler et à découvrir la richesse d’un tel répertoire. 

Vous aviez déjà travaillé avec Philippe Jaroussky, lors d’une académie de musique ancienne à Sablé, mais pourriez-vous nous parler de votre expérience au sein de sa nouvelle académie, à la Seine Musicale de Boulogne-Billancourt ?

J’y suis la formation « Jeunes Talents », destinée à des élèves qui sortent de formation ou qui sont toujours en formation notamment dans les CNSM, et à qui Philippe veut donner, à mon sens, un double coup de pouce. D’abord une aide technique, sans refaire les fondations, puisqu’il est très lucide : ce sont trois master classes d’une semaine couplées à des concerts, et il sait donc très bien qu’il ne va pas bouleverser ni notre technique ni notre identité vocale. Au contraire, grâce à son oreille très aguerrie, à son expérience et à son pragmatisme aussi, il nous donne de précieux conseils : comment faire en sorte de passer dans une salle en faisant marcher ses résonateurs ; comment veiller à éliminer les gestes superflus et parasites. Et puisque c’est un excellent musicien, il nous donne aussi des conseils d’interprétation. C’est le premier volet. Le second, c’est le volet « vitrine » : on a la possibilité de se produire dans des lieux tels que la Seine Musicale, ils misent beaucoup sur la communication et nous promeuvent énormément. Ils donnent un important coup de pouce dans l’insertion professionnelle, organisant des masters classes publiques et diffusées à la télévision, auxquelles sont invités des intervenants extérieures. Jennifer Larmore, par exemple, va venir fin mars. C’est un tremplin non négligeable et un gage de visibilité. Philippe m’a ainsi proposé de participer aux Victoires de la Musique. J’ai eu envie de prendre part à cette académie parce que je savais que Philippe est très impliqué, très motivé et qu’il donne beaucoup de sa personne. Il a envie qu’on réussisse, qu’on trouve des solutions. A partir du moment où il nous prend dans son académie, c’est un gage de confiance et il nous encourage. Il est très positif.

Pourrions-nous revenir sur cette prise de rôle peu banale et qui a été un franc succès : le San Giovanni Battista de Stradella…

Oui, que je ne connaissais absolument pas ! J’ai auditionné pour Damien Guillon qui, je crois, avait déjà un peu entendu parler de moi et j’ai reçu une double proposition : la Passion selon saint Jean et San Giovanni Battista. J’ai eu le réflexe du musicien connecté et je suis allé l’écouter sur Internet, avec Gérard Lesne dans le rôle-titre – Gérard Lesne que, par contre, je connaissais, bien sûr. Je me suis dit que si Damien me le proposait, lui qui est contre-ténor, qui a une certaine oreille et sait de quoi il parle, c’est qu’il pouvait me convenir et, de fait, le rôle donne la part belle à une vraie voix d’alto comme on n’en trouve pas souvent chez Haendel, par exemple. En plus, nous allions le donner avec un diapason à 415. Je me demande si nous avons des informations sur le chanteur qui a créé San Giovanni, car je ne serais pas étonné que ce soit un ténor aigu…

Je pense qu’il a été créé par un castrat, le contralto Siface. 

C’était donc un véritable alto. En tout cas, je ne me lasse pas de cette production, que nous venons de reprendre au Touquet en février et qui sera encore reprise puis enregistrée d’ailleurs. Le langage harmonique et les airs sont magnifiques. En plus, je ne m’en sors pas trop mal, parce que les rôles de Hérode et de la Figlia (Salomé) sont, vocalement, dantesques ! 

Sur le plan lyrique, Baptiste est néanmoins très exigeant. Comment êtes-vous arrivé à habiter ainsi le rôle ? 

Vincent Tavernier, le metteur en scène, avait une idée de mon personnage à laquelle j’ai souscrit immédiatement : Jean n’est pas un fanatique religieux. C’est une sorte de prophète, certes, mais qui porte la parole de Dieu avec évidence, simplicité, pureté et objectivité. Il a en lui une certaine candeur et un optimisme qui le rendent attachant en quelque sorte. C’est un personnage que j’ai vraiment eu plaisir à incarner. J’ai chanté ce que j’avais à chanter avec l’émotion du moment. Il n’y avait pas un jeu d’acteurs époustouflant. La gestuelle était très épurée. Sur le plan de la vocalité, Damien Guillon était également formidable. Il aurait pu, vu la composante angélique du rôle, me proposer quelque chose sans vibrato, de plus diaphane, de plus blanc, or il ne m’en a jamais parlé. Il m’a fait confiance et m’a dit : « Vas-y, chante, fais-toi plaisir ». Cette confiance dont je bénéficiais, la spontanéité qu’elle m’offrait m’a permis d’essayer de ressentir ce que je chantais au moment où je le chantais et de gagner en crédibilité, en incarnation.  

On comprend mieux pourquoi votre Baptiste est aussi humain. 

Exactement. Vincent ne m’a jamais non plus parlé d’angélisme. Il y a un côté ancré dans ce personnage, même s’il a une dimension métaphysique, il est très incarné. 

Il est ancré dans sa foi, sa détermination…

Oui, il est convaincu et en même temps à un point tel qu’il en devient candide, naïf et se fait condamner à mort, tout en sachant les risques qu’il court. En fait, la candeur n’est peut-être pas le terme approprié, c’est plutôt l’honnêteté qui le caractérise. 

Etre remarqué et soutenu par Philippe Jaroussky et Damien Guillon, pour un jeune contre-ténor, ce n’est pas rien…

Oui, tout à fait. Ce sont des opportunités qui se sont présentées. Je suis avide de rencontres, la rencontre est cardinale dans notre métier, parce que j’aime échanger et c’est une chance de pouvoir échanger avec un compatriote, qui a de l’expérience et chante dans la même tessiture que moi. Ils ont des caractères très différents, mais aussi des vocalités très distinctes, tout en n’ayant jamais essayé de me modeler à leur image. Philippe, par exemple, est très lucide par rapport à sa voix et à la mienne. Il n’a jamais essayé d’entrer dans une sorte de mimétisme, ce qui aurait pu être le cas, il aurait pu me dire : moi je veux un son plus comme cela, etc. 

Cela doit vous rassurer alors que vous allez aborder la Passion selon saint Jean avec un des interprètes les plus recherchés de Bach et qui est lui-même contre-ténor… 

Absolument. Je suis très curieux de découvrir le travail de Damien, qui est un des artistes favoris de Raphaël Pichon et de Philippe Herreweghe, deux grands spécialistes de Bach. J’ai hâte de voir comment il va s’approprier l’œuvre et transmettre sa vision. 

Après la reprise de La Divisione del Mondo de Legrenzi à Versailles, vous retrouverez Christophe Rousset dans l’Agrippina de Haendel à Halle et Cologne. Ottone, n’est-ce pas un rôle qui semble taillé sur mesure pour un alto comme le vôtre ? 

Taillé sur mesure, l’avenir nous le dira. J’ai fait Unulfo avec Emmanuelle Haïm [Rinaldo], qui est déjà relativement central, mais Ottone, c’est encore une autre tessiture, qui va vraiment chercher dans les profondeurs de la voix, mais avec des airs sublimes et, en l’occurrence, des ornements très précis. J’ai reçu une partition très précise et je vais essayer de défendre les Da Capo comme il le souhaite…

Christophe Rousset a déjà écrit l’ornementation ?

Oui, il a tout écrit. Mais je n’ai pas encore travaillé le rôle avec lui. Dans le Legrenzi, il n’était pas question de faire des ornements, mais nous verrons s’il est éventuellement possible d’aménager certaines de ses propositions. Je pense qu’il est assez ouvert. Nous avons une équipe incroyable, avec d’abord Ann Hallenberg en Agrippina. 

Vous évoluez chez Bach et Haendel mais aussi beaucoup dans la musique du XVIIe siècle (Cavalli, Stradella, Legrenzi, Dowland également avec Thomas Dunford), sans parler de la création contemporaine. Cet éclectisme est sans doute en partie lié aux opportunités qui se sont présentées. Avez-vous plus d’affinités avec certains répertoires ? 

J’accepte en général de saisir ces opportunités parce que je suis quelqu’un de très curieux, sauf si une proposition n’est vraiment pas pour moi. L’éclectisme, je l’ai pratiqué largement au Conservatoire de Montpellier, d’abord parce que ma formation de percussionniste m’a amené à faire beaucoup de répertoire contemporain. En chantant de la musique chorale, j’ai pas mal écouté aussi la musique du XIXe siècle, comme je vous le disais. Cet éclectisme, c’est vraiment quelque chose que je défends. Au CNSM de Paris, mon professeur Yves Sotin m’a toujours laissé carte blanche dans le répertoire que je pouvais lui proposer, qu’il soit baroque ou plus tardif. Et puis j’avais la chance d’avoir un chef de chant, Yann Molénat, qui transposait à vue de manière impressionnante. C’était fort appréciable ! J’ai également intégré la classe d’Anne le Bozec et j’adore le lied et la mélodie. En plus, quand on peut se faire transposer des lieder, même des cycles entiers, c’est un luxe que j’ai vraiment apprécié. Parler d’affinités particulières… J’aime beaucoup Haendel, dont la vocalité offre une belle place au lyrisme, ce qui était le cas également de Stradella. Le Cavalli que j’ai fait avec Leonardo Garcia Alarcón [Erismena] était davantage dans la théâtralité. De septembre à février, j’ai participé, en alternance avec un autre contre-ténor [Paul Figuier], à un spectacle de Shakespeare (La Nuit des Rois ou tout ce que vous voulez) mis en scène par Thomas Ostermeier à la Comédie Française, une expérience un peu atypique où comme chanteur j’assurais les intermèdes – tout sauf de la musique anglaise, mais des pièces que nous avons choisies collégialement avec le théorbiste et l’assistant musical et que nous chantions pour rassurer le Duc. Cela m’a surtout permis de voir le processus de travail des comédiens et quels comédiens ! 

Vous pourriez, comme Philippe Jaroussky, chanter la mélodie française ? 

Je ne me fixerai aucune barrière de répertoire. Si j’ai l’occasion de chanter, par exemple, un programme avec des mélodies de Ginastera et Villa-Lobos ou encore le Winterreise, je signe de suite ! C’est une évidence pour moi. D’abord, parce que je suis très sensible à ces musiques-là et que je privilégie l’émotion. J’écoute énormément de disques, beaucoup de chanteurs, plusieurs interprétations d’une même œuvre que je me plais à comparer. J’aime chanter ce qui me plaît et ce que je crois pouvoir défendre, avec mes qualités et mes défauts. 

Jochen Kowalski, contre-ténor alto lui aussi assez profond, a gravé des lieder, mais pas le Winterreise. Ce serait un fameux défi pour un contre-ténor…

Oui, ce serait certainement un défi. J’aime aussi le répertoire contemporain et j’ai déjà eu l’occasion de travailler avec quelques compositeurs. Le rôle d’Obéron chez Britten m’attire beaucoup, c’est un vrai rôle d’alto, puis quand on songe à tout ce qui s’écrit aujourd’hui, je pense notamment à George Benjamin, on se dit qu’il y a beaucoup de choses à faire. 

D’autant que le contre-ténor semble bien être devenu un chanteur lyrique à part entière.

Oui, une tessiture à part entière, qui a retrouvé ou qui a découvert ses lettres de noblesse. Il y a de plus en plus de chanteurs avec un excellent niveau technique, qui connaissent à fond leur instrument. 

En même temps, la vogue est telle qu’on entend dire ici et là que certains chanteurs renoncent délibérément à leur voix de baryton, par exemple, parce qu’ils feront une meilleure carrière comme contre-ténor…

Je ne le savais pas. Les parcours sont très différents de l’un à l’autre, mais je pense qu’on se sent contre-ténor à partir du moment où on se sent bien dans cette tessiture-là. Est-ce parfois un choix par défaut ou un choix calculé ? En tout cas, le fait est qu’il y a de plus en plus de contre-ténors et qui chantent bien. Il y en a sans doute eu de tout temps, mais peut-être que certains n’osaient pas aborder cette tessiture.

 

 

 

 

 

 

 

 

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