L’Opéra de Paris présente, à la veille de l’automne, la production de Pelléas et Mélisande de Robert Wilson, désormais iconique. Septième reprise, d’un spectacle déjà largement commenté par nos chroniqueurs (ici et là), elle retrouve certains des chanteurs qui ont marqué les soirées parisiennes et quelques nouveaux venus. Ainsi, Elena Tsallagova endosse de nouveau la robe à longue traîne blanche. La voix a gagné en épaisseur dans le médium sans perdre le cristal et les éthers des aigus, encore rehaussés de belles demi-teintes. Familière de la gestuelle hiératique de l’américain, elle parvient à s’en extraire et à saupoudrer d’un rien d’espièglerie et de caractère cette femme mystérieuse. Etienne Dupuis lui donne une réplique élégante et passionnée, riche en couleurs et en nuances. Dès le premier duo, la voix se fait sensuelle et envoutante quand le timbre clair et l’aisance du baryton canadien lui permettent de se jouer des écueils du rôle. Le dernier duo et l’aveu de l’amour seront le point culminant de la soirée. Luca Pisaroni compose un Golaud d’un épais bloc de marbre noir. La voix est autoritaire, le personnage colérique et mordant mais au final peu inquiétant. Surtout, les phrases les plus tendues de ses longs monologues touchent aux limites de la tessiture de l’italien. La diction française, enfin, souffre de quelques voyelles exotiques. Des limites que Franz-Josef Selig ne semble pas connaître. Interprète « historique » d’Arkel dans cette production, il inquiète pour commencer, la faute à une diction pâteuse et une ligne cahotante. Mais bien vite la voix se réchauffe et se pare de la profondeur et de la rondeur qu’on lui connaît. Anna Larsson en revanche est handicapée par une voix sous-dimensionnée et un français incompréhensible sans l’aide du surtitrage. La lecture de la lettre se fait sur deux registres qui finissent de nuire tout à fait à cet exercice difficile où rares sont les contraltos qui parviennent à y briller. Thomas Dear est un Berger et un Médecin satisfaisants et Jodie Devos, invitée pour la première fois, fait plus que convaincre. La soprano sait moduler à souhaits les accents pour épouser toutes les facettes du petit Yniold.
Philippe Jordan retrouve le chef d’oeuvre de Debussy qu’il dirigeait déjà en 2012 et en 2015. Entre temps il aura gommé certains des reproches adressés par Brigitte Cormier et Laurent Bury. Certes, certains tempi sont toujours trop rapides, surtout pour les interprètes les moins aisés avec la langue de Molière mais le volume de l’orchestre est bien maitrisé sans que cela nuise à la facture globale de l’orchestre. Le son est toujours aussi capiteux, et certains solos (le violoncelle, les harpes) sont un régal. En revanche la recherche de couleurs et la palette de nuances restent assez sommaires et la représentation y perd en magie. La peinture impressionniste ne sera que pastel à l’exception de quelques fulgurances comme la scène Golaud/Yniold ou le dernier duo entre les amoureux.
Enfin, sans recompter les forces et les faiblesses de la vision wilsonienne, il nous semble qu’un des atouts de ce travail réside justement dans le carcan qu’il impose. Une chrysalide qui contraint les chanteurs à se focaliser sur leur voix et leur expressivité pour faire éclore tous les élans discrets, nécessaires à la musique de Debussy.