Des trois reprises qui occupent l’Opéra de Paris en cette rentrée, voici assurément la plus réussie : Platée, la comédie lyrique de Jean-Philippe Rameau mise en scène par Laurent Pelly. Platée, vue et revue sur scène et en DVD depuis 1999 – l’année de sa création –, connue jusque dans les moindres recoins de son décor – réplique de la salle du Palais Garnier, rongée par la moisissure saumâtre des marais au fur et à mesure de la représentation – et pourtant inoxydée. Inoxydable ? Voire. Dans un tout autre genre, une semaine auparavant, Madama Butterfly selon Bob Wilson que l’on pensait inusable montrait combien elle était en fait dépendante de ses interprètes. Rien de tel ici puisqu’en plus de tout ce qui a fait la réussite scénique de cette production – l’imagination, l’humour, la poésie aussi, l’intelligence de la scénographie, la fantaisie débridée des ballets, les grenouilles farceuses… –, on retrouve Marc Minkowski à la tête de ses chœurs et orchestre des Musiciens du Louvre Grenoble, tous animés de la même verve, inspirés par l’originalité de la partition, exaltant les trésors d’harmonie et d’orchestration, valorisant les dissonances, soulignant les traits comiques pour le plus grand bonheur du public qui jubile et s’esclaffe, surpris une fois encore de trouver Rameau si moderne.
© Agathe Poupeney
Platée ridicule, vaniteuse, piteuse et pourtant attachante. C’est une des forces de l’approche de Pelly de donner à comprendre si intimement le personnage. Platée interprétée par Philippe Talbot qui, à la suite de Jean-Paul Fouchécourt et de Paul Agnew, contraint sa voix de ténor rossinien, virtuose et légère, à épouser une tessiture de haute-contre, aussi inconfortable que le costume dont il est affublé. De l’une comme de l’autre, il s’accommode avec une science scénique et musicale dont l’exactitude est le dénominateur commun. Le chant tendu inévitablement jusqu’à ce que du son, il ne reste que l’os, mais articulé et phrasé avec l’exagération toujours aussi cocasse du phonème « oi » destinée à rappeler les origines batraciennes de la nymphe des marais.
Platée vitaminée – on ne veut pas écrire régénérée parce que cela sous-tendrait qu’elle ait pu ces dernières années accuser son âge –, dopée par une troupe de jeunes chanteurs tous plus talentueux les uns que les autres. Et si l’on emploie le mot troupe, c’est volontairement, afin de souligner l’esprit complice qui les anime et le plaisir contagieux qu’ils ont à jouer ensemble. Tous français, cela s’entend par la qualité de la prononciation et le juste poids qu’ils savent donner aux mots. Comment, après son air, ne pas applaudir cette Folie à laquelle Julie Fuchs prête sa fantaisie, sa fraîcheur et son timbre fruité ; irrévérencieuse, sans excès d’aigu mais sans rien aussi de cette acidité qui peut rendre le personnage décapant ; bonne fille finalement, cruelle certes mais malgré elle. Comment ne pas citer Florian Sempey, Momus décomplexé qui s’amuse comme un petit fou des tours qu’on lui fait jouer et parvient à occuper toute la scène avec le peu qu’il a à chanter ; Alexandre Duhamel, non moins joyeux Citheron ; Julien Behr, Mercure punk et grinçant dont l’émission haute laisse présumer la Platée qu’il pourrait un jour oser ; Francois Lis, bel indifférent en Jupiter clairement dessiné et Aurelia Legay qui, le temps d’une courte scène, campe une Junon marâtre et acariâtre comme on se plait à l’imaginer. Comment enfin ne pas céder au charme de Frédéric Antoun : la beauté intrinsèque de la voix, la qualité de la projection, le naturel avec lequel il conduit un chant limpide et l’ombre romantique dont il cercle Thespis. Malheureusement Rameau a cantonné le rôle au seul prologue. C’est l’unique défaut d’une soirée que l’on recommande beaucoup, passionnément, à la folie évidemment.