Dire que Platée est un éloge de la folie, c’est enfoncer des portes déjà assez grandes ouvertes. Ce personnage principal qui ne dit pas son nom est pour beaucoup dans l’orchestration de cette fête étrange qui nous enchante deux heures durant. Mais au-delà du loufoque, Platée est avant tout un merveilleux numéro d’équilibrisme à la frontière des genres et des registres.
Cet équilibre formidable, on le retrouve dans la mise en scène quasi-culte de Laurent Pelly, qui fait peu-à-peu sombrer un décor rappelant Garnier dans une fange marécageuse. On oscille en permanence entre raison et folie, entre outrance et juste ce qu’il faut, dans un tour de malice et d’inventivité scénique. Les fantastiques décors et costumes, mais surtout la chorégraphie jouissive de Laura Scozzi servent le propos musical et dramaturgique avec avec fantaisie et subtilité.
Plus de vingt ans après la première, Marc Minkowski officie à nouveau à la tête de l’Orchestre de Musiciens du Louvre. La partition est défendue avec la même ferveur, avec une aisance qui n’a fait que s’affirmer au fil des années. L’orchestre ramiste est un festival instrumental radieux et implacable, que les membres de l’orchestre restituent avec tout le brio nécessaire. Le chœur de l’Opéra de Paris n’est pas non plus en reste, particulièrement savoureux dans toutes les interventions batraciennes qui lui reviennent.
© Guergana Damianova / OnP
Au fil des décennies, la distribution a su proposer tout ce que le chant baroque français avait de plus éclatant, et cette nouvelle mouture ne fait pas exception. Si tous les rôles plus modestes sont excellents, saluons avant tout le Momus désopilant de Marc Mauillon, et la force de caractère de Jean Teitgen en Jupiter. Avec sa dégaine d’Elvis chromé, Reinoud Van Mechelen est un Mercure de luxe, dont le timbre solaire se prête tout à fait au messager des dieux. Mathias Vidal fait preuve de vaillance dans les vocalises redoutables de Thespis, et si Nahuel di Pierro n’est pas encore un francophone impeccable, il est vocalement tout à fait à propos en Cithéron.
Reprenant un de ses rôles fétiches, Julie Fuchs met la salle dans sa poche. Il faut dire que sa Folie est aussi drôle que virtuose, et qu’elle n’a pas son pareil pour nous faire goûter à tous les paradoxes musicaux de la partition.
On attendait Lawrence Brownlee au tournant dans cette prise de rôle. Intrigués par ce qu’un ténor avant tout rossinien pouvait apporter au rôle, on ne pouvait s’empêcher de craindre un peu pour le texte. On constate dès les premières mesures qu’il n’en est rien, et que tout le rôle sera déclamé dans un français parfait, avec toute la conscience du mot nécessaire au style de l’époque. A cette diction irréprochable, le chanteur américain allie son aisance vocale confondante et un naturel scénique qui laissent espérer que cette production sera la première d’une longue série pour lui.