Après un passage à Royaumont en septembre dernier, la Platée dirigée par Alexis Kossenko a élu domicile au Théâtre des Champs-Elysées avec la même distribution, et toujours réduite à une version de concert.
Voici donc la nymphe Platée privée de son bocage et Jupiter privé de ses métamorphoses : difficile de rendre la fantaisie et la farce qui animent l’œuvre.
Les chanteurs se démènent de leur mieux pour ramener le théâtre sur scène, et en premier lieu Nicholas Scott en Thespis puis Mercure. Vraie voix de haute-contre, à l’aigu homogène et sonore, au français presque irréprochable, il campe un dieu virevoltant et fantasque avec ce qu’il faut de comique sans pour autant sacrifier à la beauté du chant. En termes de rires du public, il remporte la mise haut la main.
Mais la Folie de Chantal Santon-Jeffery bat tous les records à l’applaudimètre : tantôt diva capricieuse, femme outragée, chanteuse qui s’ennuie, usant et abusant de son téléphone portable sur scène – allant jusqu’à faire un selfie avec un spectateur du premier rang –, son personnage a l’excentricité attendue. La voix est certes moins légère que ce dont on a l’habitude, mais elle se sert fort intelligemment de son grave pour obtenir la même efficacité dramatique que ses collègues au suraigu facile.
La Platée d’Anders J. Dahlin est quant à elle plus en retrait dramatiquement. Le chanteur prend des poses, joue du texte pour incarner la nymphe batracienne et la voix ne lui fait jamais défaut – usant d’ailleurs peu de la voix de tête. Mais on regrette qu’une mise en scène n’ait pas pu déployer les talents d’acteur qu’il possède sans aucun doute, accompagnés, de plus, d’une excellente diction qui rend superflus les surtitres.
Thomas Dolié confère à Jupiter une voix d’une autorité indéniable, sombre, sonore, mais campe un dieu flegmatique et bien peu imposant. A ses côtés, Arnaud Richard est un Cithéron à l’émission claire et à la prononciation limpide, et Victor Sicard joue plus qu’il ne chante Momus, délaissant le beau chant au profit de l’expressivité.
Seul bémol à une distribution tout à fait satisfaisante, la Junon d’Hasnaa Bennani. Si la voix, très peu ancrée dans le corps, convient bien au personnage de Clarine – notamment grâce à une bonne maîtrise de l’ornementation –, elle ne permet pas de rendre la jalousie de la femme trompée et jalouse : trop désincarnée, et manquant de l’énergie dramatique dont on aurait besoin.
La version de concert aurait pu, à travers les efforts des chanteurs, ne pas trop faire sentir le manque d’une mise en scène. Mais malheureusement, l’orchestre passe à côté de tous les figuralismes de la partition : la superbe entrée de Mercure descendant du ciel, le chœur des grenouilles, les chants d’oiseaux… Les musiciens sont sans conteste d’une grande précision dans leur jeu et respectent scrupuleusement les nuances qui leur sont indiquées ; pourtant il leur manque de l’inspiration, et la parodie ne prend pas.
Ce n’est pas faute, de la part d’Alexis Kossenko, d’insuffler toute l’énergie possible à l’orchestre : dansant presqu’autant qu’il dirige, le chef est investi sans relâche et participe même au jeu des chanteurs. Mais les musiciens sont bien sages pour une partition qui ne l’est pas du tout. « Essayons du brillant, donnons dans la saillie ! » ordonne pourtant la Folie.