Certains ont beau entrer dans un opéra comme dans une cathédrale, il n’en reste pas moins que les temples lyriques ne sauraient être confondus avec les lieux consacrés. Il faut d’ailleurs se souvenir du piètre et long dédain de l’Eglise catholique vis-à-vis des premiers pour ne pas se risquer à les rapprocher. Et pourtant, toute l’histoire de l’art lyrique fourmille d’invocations de toutes sortes. D’abord, pour ne fâcher aucune inquisition, ni exacerber aucune intolérance, on s’adresse aux divinités de la mythologie, aux astres ou aux éléments. Mais bientôt, au beau milieu du grand spectacle théâtral et profane, les mains se joignent, les cous se tendent et la voix s’élève vers Dieu et les « anges du paradis » dont on cherche le bienheureux halo lorsqu’on est gentil. Les poings se ferment, les yeux se révulsent ou la voix gronde pour convoquer Lucifer et les « esprits du Mal » qu’on fait accourir en ricanant lorsqu’on est méchant.
Les prières abondent donc dans les opéras du XIXème siècle, les drames bibliques précèdent les légendes sacrées et l’on ne cesse pas d’invoquer, scène après scène. Les héros et héroïnes qui prient espèrent un secours pour eux-mêmes ou pour ceux qu’ils aiment, ils réclament réconfort et justice, vengeance et châtiment. Ils ont besoin d’un astre qui les illumine et d’étoiles qui les guident, d’un souffle consolateur ou d’un soutien qui les inspire. Avec ou sans eux, le chœur, tour à tour peuple désespéré ou foule vindicative, grappes de chérubins et hordes de sorcières, vibre de lumière ou tremble de fureur. Les prières, invocations et autres incantations de l’opéra sont en réalité pour beaucoup dans le succès de nombre d’entre eux. L’émotion qu’elles provoquent souvent n’a ni religion, ni rite, ni dogme. Elles montrent parfois les Eglises sous leur jour le plus noir, font de la parole céleste un manifeste politique ou des formules magiques des armes redoutables. Finalement, elles sont un prétexte à réunir ceux qui croient et ceux qui ne croient pas dans la religion du beau, notion subjective et dont le sens n’appartient qu’à soi. Comme la foi.
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