Depuis combien de temps existe l’Avant-Scène Opéra ?
L’Avant-Scène Opéra a été créée en 1976 par Guy Samama après le succès des revues Avant-Scène Théâtre et Avant-Scène Cinéma. En 1979, Alain Duault reprend les rennes, puis après plusieurs rachats dans les années 1980, Michel Pazdro, alors secrétaire de rédaction, créé en 1989 les éditions Premières Loges avec une partie des auteurs et contributeurs historiques pour continuer d’éditer la revue. En 2012, Chantal Cazaux devient rédactrice en chef, puis en 2018 les éditions Premières Loges rejoignent le groupe Humensis, ce qui permet de traverser la crise Covid-19 en évitant le pire. Pour ma part, j’ai rejoint l’équipe en 2018, comme critique puis auteur de plusieurs dossiers, avant de devenir secrétaire de rédaction en 2021, puis rédacteur en chef en 2022. Depuis le 1er janvier de cette année, le groupe Albin Michel est devenu actionnaire majoritaire du groupe Humensis.
Qu’est-ce qui distingue l’Avant-Scène Opéra des autres titres de presse musicale ?
L’Avant-Scène Opéra est une revue bimestrielle, plus proche de la collection de livres que de la presse d’actualité, même si nous choisissons nos sujets en fonction de l’actualité lyrique. À chaque numéro, notre revue s’intéresse à un opéra en l’analysant selon divers points de vue. Le cœur du réacteur de l’Avant-Scène Opéra est le guide d’écoute qui accompagne le livret en version originale et traduction française, agrémenté de photographies de productions rendant compte de la diversité des propositions scéniques et de leur évolution à travers le temps. Ce commentaire, à caractère musicologique et littéraire – car on ne se contente pas de présenter le livret, mais aussi de l’analyser pour en relever les qualités (et parfois les faiblesses) – est suivi d’une section appelée « Regards » composée de plusieurs études historiques, psychanalytiques, sociologiques ou en rapport avec l’histoire de l’art, qui permettent à la fois de contextualiser l’œuvre au moment de sa création, de suivre l’histoire de son interprétation, d’éclairer sa réception aujourd’hui et d’esquisser de nouvelles pistes d’interprétation. Cet ensemble est complété par une section documentaire qui compte une bibliographie ainsi qu’une discographie et une vidéographie commentées dont le but n’est pas de dresser un palmarès des meilleures versions, mais de guider le lecteur parmi le maquis discographique ou bien de pointer l’oasis au milieu du désert ! On y compte aussi la rubrique « l’œuvre à l’affiche » qui compulse les distributions des plus importantes représentations de l’opéra traité : parfois il faut opérer une sélection (avec des titres comme La Flûte enchantée), parfois trouver la trace des représentations demande une enquête difficile, ainsi restituer le parcours des Oiseaux de Braunfels ne fut pas une sinécure, mais quel bonheur de découvrir un tel chef-d’œuvre !
C’est pourquoi l’Avant-Scène Opéra est considérée comme une publication de référence…
L’Avant-Scène Opéra constitue en effet une véritable encyclopédie en mouvement, à la fois parce qu’elle s’augmente à chaque parution et se renouvelle régulièrement grâce aux rééditions et aussi à l’exploration de nouveaux sujets, avec notamment les numéros consacrés à des metteurs en scène ou des institutions lyriques. En cela, il s’agit d’une revue de l’avenir. En outre, nous accompagnons aussi attentivement la création contemporaine. Rien qu’en 2024 nous avons publié deux numéros consacrés à des opéras d’aujourd’hui The Exterminating Angel de Thomas Adès et le doublé Picture a day like this / Into the Little Hill de George Benjamin.
Avec la cessation d’activité, une nouvelle page se tourne. Est-ce la dernière ?
Je veux croire que non, et en incurable optimiste je veux même croire que la cessation d’activité n’est pas une fatalité. C’est le sens de la lettre que j’ai adressée aux lectrices et lecteurs de l’Avant-Scène Opéra (et aimablement relayée par Forum Opéra) dès vendredi dernier après l’annonce de la nouvelle sur France Musique. Dans la foulée, j’ai reçu tant et tant de témoignages d’attachement et de marques d’amitiés à l’égard de la revue qu’il me semble impensable qu’un repreneur ne se manifeste pas. Des amis de la revue viennent d’ailleurs de publier une tribune rassemblant un nombre très impressionnant de témoignages : artistes, directeurs d’institutions, universitaires, journalistes, enseignants, lecteurs et spectateurs forment une immense polyphonie pour déclarer leur amour, mais aussi leur besoin de l’Avant-Scène Opéra. Je suis frappé par le constat unanimement partagé que l’Avant-Scène Opéra est une revue d’avenir en dépit de son catalogue déjà bien fourni. Je partage ce constat, non seulement il y a de très nombreux ouvrages à ajouter à notre bibliothèque, mais il faut aussi mettre à jour des numéros anciens. Or quand nous mettons à jour un numéro, nous ne nous contentons pas d’une actualisation, mais proposons de nouveaux regards qui témoignent de l’évolution de la connaissance, de l’interprétation et de la place des œuvres dans le répertoire. S’il y a de nombreux chantiers éditoriaux dont la pertinence est évidente, c’est qu’il y a un avenir pour la revue.
Face à l’annonce de cession d’activité, vous avez fait le choix de « résister ». Comment ?
Dans un premier temps il faut alerter sur la situation, certains repreneurs potentiels ne se sont peut-être pas encore manifestés parce qu’ils n’ont pas eu l’information de la mise en vente ou pas perçu l’attachement d’un vaste lectorat à la revue et donc son potentiel. Je veux d’abord convaincre de son intérêt éditorial car c’est mon rôle de rédacteur en chef de défendre cette ligne exigeante mais ouverte, s’adressant aussi bien aux mélomanes qu’aux professionnels du secteur. Je souhaite aussi alerter les pouvoirs publics et les grands amateurs d’art lyrique philanthropes pour que de possibles repreneurs puissent être rassurés par un éventuel engagement de ces acteurs en faveur de la pérennisation de la revue. Cette crise est aussi l’opportunité d’un grand défi pour inventer une solution qui permette de projeter la revue dans l’avenir, ainsi, malgré de grandes inquiétudes, je vis ce moment comme une grande stimulation pour penser l’avenir de notre passion et sa place dans la société. Se projeter dans le futur et croire à un horizon désirable, c’est déjà résister !
De quelle manière vos lecteurs, mais aussi les amateurs d’opéra et plus largement les défenseurs de la culture, peuvent apporter leur soutien à l’Avant-Scène Opéra ?
Il faut d’abord relayer l’information pour aboutir à une prise de conscience collective et particulièrement des acteurs concernés de la perte immense que constituerait l’arrêt de L’Avant-Scène Opéra. Il faut ensuite s’engager en signant cette tribune, plus elle sera soutenue plus elle aura de poids pour convaincre les responsables publics et privés de s’engager en faveur de sa survie. Et surtout il faut continuer de lire et de faire découvrir l’Avant-Scène Opéra, pour faire valoir la nécessité de pérenniser la revue !