Il était déjà bien dans les 18 heures, voire 18h10 bien tassées. Je venais de souffler mon unique bougie. Tandis que je quittais ma robe de chambre pour enfiler ma chemise de nuit en flanelle, sous le regard énamouré de mon Sacré de Birmanie stratégiquement blotti sur la bouillotte, au moment précis de l’exposition de mon anatomie la plus intime, l’appareil téléphonique retentit dans la nuit profonde et dans l’entrée. Intrigué par un tel appel à une heure si tardive, je décrochais et reconnus immédiatement l a voix mélodieuse et outre-quiévrainoise de mon vénéré directeur de la publication, Camille De Rijck (prononcer « de Raïk »). « Professeur ! » commença-t-il, m’interpellant par une discrète flatterie. « Savez-vous, une foué, nous rédiger une petite chronique en nous proposant chaque semaine de découvrir quatre ou cinq cabalettes ? ». Comme à son ordinaire, il avait ce ton de commandement impérieux adouci par un timbre d’un velours quasi hypnotique auquel on ne pouvait résister. A la fois flatté et confus, je m’empressais d’accepter (aurais-je pu faire autrement ?). Tout tremblant, je répondis : « Quelle charmante idée. En ce moment j’ai pas trop la broue dans le toupet et j’vais pas rester assis sur mon steak. Moi, j’suis pas le genre à lâcher la patate et je niaise jamais avec la puck. Et puis, ça prend pas non plus la tête à Papineau ». Je réalisais soudain avec horreur que je m’exprimais en québécois. Heureusement, mon interlocuteur avait depuis longtemps raccroché le combiné, appelé par ses lourdes responsabilités au sein de la Caisse de Retraite de la Société Rodentophile Anderlechtoise. Revenu dans ma chambre, je commençais à mesurer l’ampleur de la mission que je venais d’accepter. Folie ! Et d’abord, qu’était-ce donc qu’une cabalette ? Rallumant ma bougie, je commençais par de longues heures d’études : parchemins d’Alexandrie, Enfer de la Bibilothèque Vaticane, Manuel des Castors Juniors, Minitel… Quelque heures plus tard, je recevais un nouveau message, écrit cette fois. Simplement : « Et ces cabalettes ». L’absence de ponctuation, de formule de politesse, traduisaient une impatience qui me fit frémir. César l’a écrit : « De tous les peuples de la Gaule, les Belges sont les plus braves ». Pris de panique comme un énarque devant une pandémie enflant entre deux tours d’élection, je jetais donc fiévreusement quatre extraits musicaux en oubliant toutes prétentions didactiques : soprano, ténor, basse, baryton… Ca ferait bien l’affaire et ça aurait l’air réfléchi. On veillerait à être plus rigoureux la semaine suivante. Je me servais un bol de lait chaud. Depuis longtemps, le chat dormait, loin de la bouillotte refroidie. (à suivre)
Soprano
Le belcanto romantique regorge de cabalettes et I Puritani en compte plusieurs. En avant goût de la rentrée lyrique parisienne, écoutons Jessica Pratt qui chantera le rôle en concert au Théâtre des Champs-Elysées la saison prochaine après avoir triomphé il y a quelques mois à Marseille. La situation dramatique est assez facile à résumer. L’héroïne bellinienne, la pauvre Elvira, est devenue folle car elle pense que son futur époux l’a quittée pour une autre, le jour même de son mariage. Elle se lamente (air) puis se réjouit car elle croit, dans sa folie, que son amant lui est revenu (cabalette).
https://www.youtube.com/watch?v=W9xsIk7Mm5A
Mezzo
C’est dans les vieux chaudrons qu’on fait les meilleures soupes. A 61 ans, Shirley Verrett faisait ses adieux à la scène à Madrid dans La Favorita, retrouvant pour l’occasion un vieux complice avec qui elle avait triomphé dans le même rôle près de vingt ans plus tôt : Alfredo Kraus (64 ans…). Pas de reprise avec variations dans cet extrait (nous reviendrons une autre fois sur ce sujet), mais la cabalette est tout de même superbement ornée (d’ailleurs, tout l’opéra est interprété dans ce style). Léonor, la maîtresse du roi Alphonse XI, est platoniquement amoureuse de Fernand, qui le lui rend bien. Fernand est bien entendu totalement ignorant de cette délicate situation. Jaloux, le roi accède à la demande de Fernand qui lui réclame la main de Léonor. Au désespoir, Léonor décide de tout avouer à son soupirant (air), dans une lettre qui n’arrivera jamais (ce qui fait tout le sel de la suite). Puis, exaltée, elle annonce sa mort prochaine (cabalette).
https://youtu.be/ToUigvRR2ZQ?t=4587
Basse
A la sortie du confinement, beaucoup d’entre nous se précipiteront chez le coiffeur, qui pour faire rectifier une coupe mulet, qui pour se faire tailler les rouflaquettes. D’autres prendront le chemin de la salle de sport. Le moment est donc tout indiqué pour écouter Samuel Ramey interpréter Attila. Le chef des Huns (pous faire la guerre aux autres) se réveille d’un cauchemar dans lequel un vieillard l’a attrappé par les cheveux pour l’empêcher d’attaquer Rome (air). Il chasse vite ces noires pensées et appelle ses troupes à la bataille (cabalette). Ne manquez pas le bis qui suit. Cerise sur le gâteau, les résultats des matches en cours sont affichés en direct sur l’écran (je ne vous dévoile pas les scores).
https://youtu.be/QgfIRLahaiA?t=3682
Baryton
Sans doute parce qu’il ne supportait plus les libertés prises par certains chanteurs, Verdi n’a prévu qu’un couplet à la cabalette de Nabucco. S’il est donc privé de la possibilité d’offrir des variations, Sherrill Milnes se rattrappe avec un suraigu final époustouflant. La situation est la suivante. Fait prisonnier par sa propre fille (adoptive), le roi Nabuchodonosor se repent du sort fait aux Juifs et implore leur Dieu (air). Ses fidèles viennent le libérer. Il leur promet la victoire (cabalette).
https://youtu.be/tdgrvpgioyY?t=300