Alors qu’il répète le rôle du désopilant Don Gerionio dans Il Turco in Italia à l’Opéra Royal de Wallonie, le légendaire baryton italien Bruno De Simone se soumet à la déclinaison lyrique du Questionnaire de Proust. Il tient néanmoins à préciser ceci :
Je crois que dans la mission d’un artiste, doit impérativement figurer le devoir moral de transmettre son expérience aux jeunes collègues : ceux qui n’ont pas eu la chance, comme moi, de connaître les grands du siècle dernier ou même de chanter avec eux? Voilà vingt ans que je parviens à réserver à l’enseignement un espace dans mon calendrier artistique. Il me semble primordial de le faire quand dans la pleine possession de sa tonicité et avec la juste communication !
Mon meilleur souvenir dans une salle d’opéra ?
J’ai fait mes débuts aux Arènes de Vérone en 2007 en chantant Don Bartolo. Mon plus beau souvenir est quand je suis entré sur scène à la première et que j’ai vu environ 17.000 lumières s’allumer : une expérience extraordinaire et inoubliable. Aussi parce que j’ai été le deuxième Don Bartolo de l’histoire à chanter dans l’arène : le premier avait été Enzo Dara. J’ai, depuis, recu le Prix Enzo Dara.
Mon pire souvenir sur scène ?
Par bonheur, en 42 ans de carrière, je ne me souviens de rien qui mérite d’être relaté ici.
Le livre qui a changé ma vie ?
Outre les grands ouvrages de la littérature grecque (j’adore le culture humaniste), j’aimerais évoquer les livres de Deepak Chopra, l’un des plus grands esprits du siècle dernier : Indien, neuro-endocrinologue américain, il combine les deux milieux culturels dans une synthèse d’une valeur énorme, dans une vision holistique de la santé et de la vie parfaite.
Le chanteur du passé avec lequel j’aurais aimé me produire.
J’ai eu la grande chance d’avoir pu chanter avec certains des plus grands du passé : Alfredo Kraus, le premier qui a entendu et jugé ma voix à l’âge de douze ans et avec lequel j’ai également chanté Werther, Jaime Aragall, Montserrat Caballé, Nicolai Ghiaurov et bien d’autres. Mais tout aussi satisfaisant fut de gagner six concours de chant avec des jurys où j’ai rencontré : Carlo Bergonzi, Renata Tebaldi, Mario Del Monaco, Nicola Rossi Lemeni, Aldo Protti et bien d’autres encore… Je regrette toujours que les jeunes d’aujourd’hui ne puissent pas avoir des chances analogues.
Mon plus grand moment de grâce face à une œuvre d’art.
Ces moments sont nombreux. Par exemple, visiter les différents musées de Berlin, une ville que j’aime beaucoup, qui compte 160 musées.
La ville où je me sens chez moi ?
La ville où j’ai pu le mieux m’exprimer sur scène.
Ce qui, dans mon pays, me rend le plus fier ?
La culture et son histoire, sans aucun doute, qui sont malheureusement de moins en moins valorisés, tout comme sa langue, qui est la plus phonogène de toutes, bien qu’elle soit le moins parlée au monde.
Le chef ou la cheffe qui m’a le plus appris ?
Actuellement, je pourrais en citer quelques-uns, mais j’aime me souvenir du passé : Peter Maag, un maestro d’une valeur extraordinaire, tant artistique qu’humaine : le seul à avoir toujours été accompagné au moins deux jeunes assistants qui l’accompagnaient et apprenaient constamment de lui.
Mon pire souvenir avec un chef ?
Une fois, pour un Barbiere di Siviglia, à la première répétition musicale, un chef m’a demandé la signification des paroles chantées par Fiorello : nous étions dans un grand théâtre…
À part chanter, ce que j’ai dû faire de plus compliqué sur scène ?
Il en existe plusieurs, notamment faire trempette dans la piscine de la scène en chantant et en plongeant dans…
Si je pouvais apprendre un instrument du jour au lendemain, lequel serait-il ?
Mon instrument préféré : le violoncelle !
Un opéra dont j’aurais voulu être le créateur du rôle-titre ?
Rigoletto.
Le chanteur du passé dont l’écoute m’a le plus appris ?
Ceux déjà évoqués, mais surtout Mario Del Monaco que j’ai entendu dans au moins sept rôles.
Le chanteur du présent que je trouve d’une générosité rare ?
Malheureusement, il n’y en a pas beaucoup… mais mon préféré est Ludovic Tézier, avec qui j’ai eu le plaisir de chanter dans La Forza… et j’ai pu constater sa grande valeur et aussi sa grande humilité, typique des grands et, hélas, de plus en plus rare…
Mon plus grand moment d’embarras ?
Il accusait toujours les autres : les collègues en difficulté…
Le compositeur auquel j’ai envie de dire « mon cher, ta musique n’est pas pour moi » ?
Aucun.
Ma personnalité historique préférée.
Il y en a tant. Charlemagne ?
Mon pire souvenir historique des 40 dernières années.
Ce que nous vivons maintenant, à cause de l’absurdité méchante qui découle également de l’obtuse prévention.
Le rôle que je ne chanterai plus jamais.
J’en ai chanté 76 et je les rechanterais tous !