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Questionnaire de Proust – Etienne Dupuis : « Le chanteur du passé qui m’a beaucoup appris, c’est Jacques Brel »

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Interview
31 janvier 2023

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Détails

Après un formidable Hérode dans Hérodiade de Massenet en novembre dernier en version de concert au Théâtre des Champs-Elysées, Etienne Dupuis retrouve le rôle du Conte di Luna dans Le Trouvère à la Bastille du 21 janvier au 17 février prochains.


Mon meilleur souvenir dans une salle d’opéra ?

Le 23 avril 2015…  Ce soir-là, je chantais mon tout premier Rodrigue sur la scène du Deutsche Oper Berlin.  Je commençais aussi les répétitions le même jour pour mon tout premier Onegin ! J’étais donc absolument inconscient de l’ampleur du rôle du meilleur ami de Don Carlos (les reprises ont très peu de répétitions) et ce soir-là, l’ovation monstre que nous avons reçu m’a complètement soufflé ! Je me souviens de la date, parce que ce même jour, je rencontrais aussi celle qui allait devenir ma femme et la mère de mon fils !

Mon pire souvenir dans une salle d’opéra ?

C’est un problème de santé…. Je me préparais à entrer sur scène dans le rôle de Germont, à Marseille.  Et 30 secondes avant de commencer le grand duo avec Violetta, j’ai été pris de crampes violentes.  Ce furent le 15 minutes les plus longues de ma vie ! Je suais à grandes gouttes et  je changeais constamment de position car aucune n’était confortable!

Le livre qui a changé ma vie ?

La série de livres des Malaussène de Daniel Pennac.  Ce mélange savoureux de personnages qui sont tous attachants et pourtant criblés de défauts !  Un personnage central qui est un bouc émissaire né !  Et des intrigues policières parfaitement construites, même lorsque complètement invraisemblables !  Je n’arrive pas à les oublier…

Le compositeur du passé avec lequel j’aurais aimé me produire.

Puccini ! J’aurai tellement voulu essayer de le convaincre d’écrire plus et mieux pour les voix graves ! Disons que les moments de grandes beauté sont limitées en comparaison aux sopranos et ténors dans ses opéras !

Mon plus grand moment de grâce face à une œuvre d’art.

Au Québec, nous avons un géant de l’humour et du monologue qui s’appelle Yvon Deschamps.  Il y a quelques années, une pièce de théâtre a été créée utilisant ses textes pour en faire une seule longue pièce.  C’était une performance d’acteur extraordinaire et transcendante de Benoit Brière, qui maniait parfaitement la comédie et le drame. Aux applaudissements, le public s’est levé d’un bond en hurlant, et moi j’étais choqué et vissé à mon siège, en pleurant à chaude larmes…. Je ne sais pas si j’en serai remis un jour.

La ville où je me sens chez moi ?

Aucune ! J’aime certaines villes plus que d’autres, mais à la seconde où je me sens chez moi, elles changent ! Et moi aussi d’ailleurs…

La ville qui m’angoisse ?

New York et Londres. Des villes où la politique crée des tensions et des dommages immenses dans les relations humaines. 

Ce qui, dans mon pays, me rend le plus fier ?

La perception qu’ont la plupart des gens de l’extérieur : un peuple et un pays accueillant !

Le metteur en scène dont je me sens le plus proche ?

Si un metteur en scène arrive à s’inspirer de ses acteurs (quand ils le sont, car ce n’est pas tous les chanteurs qui comprennent le jeu)… Alors la charge émotive, la communication avec le public est décuplée ! Ils m’inspirent confiance ! Serge Denoncourt et David McVicar en font partie…

Mon pire souvenir avec un chef ?

Le pire chef pour moi fut celui qui était aussi le plus gentil. Généreux et sympathique, il n’arrivait pas à tenir un tempo, et le spectacle ralentissait de plus en plus et à chaque soir c’était plus lent…. Ça en devenait cauchemardesque ! Après, il y a tout ceux qui pensent qu’ils vont réinventer le genre, où qui se pensent supérieur à l’œuvre ou aux autres artistes…. En général, ils disparaissent plus vite ceux-là, mais pas tout le temps.  Il y a de bons acteurs chez les chefs aussi.

Le chef ou la cheffe qui m’a le plus appris ?

Je me souviens d’Alexander Joel… C’était la première fois (car il y en a eu d’autres) que je voyais un chef arrêter de diriger, sans arrêter le spectacle, pour faire signe à l’orchestre d’écouter le chanteur (dans ce cas-ci, la grande Patrizia Ciofi) et se fier à leur écoute plutôt qu’à la baguette du chef.  C’était une leçon sur le fait qu’il ne faut pas chercher à tout contrôler!  Il faut s’écouter les uns les autres.

À part chanter, ce que j’ai dû faire de plus compliqué sur scène ?

Des « push-ups »!  Vous dites des pompes en France je crois. Dans Dead Man Walking, il y a une scène où l’on doit faire plus d’une trentaine de push-ups et tenir en planche pendant presque deux minutes, suivi d’un long air… J’ai dû m’entrainer pendant une année complète avant pour être sûr d’y arriver!

Si je pouvais apprendre un instrument du jour au lendemain, lequel serait-il ?

La batterie ! Ma faiblesse en musique, se situe plutôt dans les rythmes! Je rentre en transe quand je vois et j’entends un percussionniste qui arrive à faire des prouesses incroyables avec son instrument ! Ça me semble irréel !

Un opéra dont j’aurais voulu être le créateur du rôle-titre ?

J’ai eu la chance de créer plusieurs rôles déjà… C’est loin d’être facile, et je trouve que l’on a beaucoup moins de plaisir vu la pression de bien faire découvrir une nouvelle œuvre!

Mais bon, Verdi accordait une très grande importance au drame et adorait les chanteurs qui savaient jouer le rôle aussi.  Alors un rôle verdien pour sûr!

Le chanteur du passé dont l’écoute m’a le plus appris ?

J’aime bien écouter et voir ce qui s’est fait, mais je préfère me concentrer sur le présent.  Le chanteur du passé qui m’a beaucoup appris c’est Jacques Brel ! Sur l’intensité, sur l’implication… sur l’imperfection aussi, qui fait naître l’émotion !

Le chanteur du présent que je trouve d’une générosité rare ?

Les chanteurs aujourd’hui sont souvent très généreux, alors je n’en nommerai pas un en particulier. Mais il y en a encore quelques-uns qui pensent que la planète ne tournerait plus sans eux et ça, c’est bien dommage…

Si j’étais un personnage de Disney ?

Ha ha ha ! Je voudrais être le Génie dans Aladdin !  Avoir autant de pouvoir et chercher à l’utiliser pour s’amuser, pour aider plutôt que pour sa gloire personnelle…

Mon plus grand moment d’embarras ?

Un jour, j’ai demandé au gouverneur-général de l’Australie ce qu’il faisait dans la vie…. Ma femme s’est empressé de lui dire « Il est canadien ! »  Bon, elle était plus embarrassée que moi ! 🙂

Le compositeur auquel j’ai envie de dire « mon cher, ta musique n’est pas pour moi » ?

Il y en a beaucoup ! Mais disons que Schönberg me vient en tête rapidement !

Ma personnalité historique préférée.

Je n’en ai pas!  On dirait toujours que plus l’on creuse la vie de quelqu’un, plus on finit par trouver des choses que l’on aime moins…. Personne n’est parfait. 

Si l’étais un Lied ou une Mélodie.

Je serai « Hör ich das Liedchen klingen », dans le Dichterliebe.  Je suis très affecté par les souvenirs reliés aux chansons et à la musique.  Imaginer la perte d’un être cher, me rendrait incapable d’écouter sa voix sur un enregistrement sans m’écrouler en larmes.

Mon pire souvenir historique des 40 dernières années.

Les attentats du 11 septembre aux USA… Avec les années, on ne finit jamais de constater les ramifications politiques et militaires qui ont menés à cette tragédie. Et pire, l’histoire semble vouloir se répéter : l’humain n’a rien appris de ses erreurs.

Le rôle que je ne chanterai plus jamais.

Je serais très surpris qu’on m’offre Figaro (Rossini) à nouveau…. Mais qui sait ce que le futur nous réserve !

Ma devise

Montrer ses faiblesses et sa vulnérabilité requiert plus de courage que d’étaler ses forces.

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