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Questionnaire de Proust – Pene Pati : « J’aurais adoré chanter avec Maria Callas »

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Interview
9 juin 2023
En une poignée d’années, Pene Pati a trouvé sa place dans le cercle convoité des ténors romantiques. Il s’apprête à chanter Rodolfo dans La Bohème au Théâtre des Champs-Elysées du 15 au 24 juin prochains.

Infos sur l’œuvre

Détails

Mon meilleur souvenir à l’opéra ?

L’un de mes plus beaux souvenirs est Roméo et Juliette à l’Opéra Comique en 2021. J’ai été appelé à la toute dernière minute, alors que je chantais Alfredo à Amsterdam. Je n’avais pas chanté Roméo depuis un certain temps et j’ai dû apprendre la musique rapidement avant le spectacle. J’étais très nerveux car c’était la première fois que je chantais en français à Paris. Ce fut un grand succès et je n’oublierai jamais la satisfaction d’avoir triomphé en dépit des obstacles

Mon pire souvenir à l’opéra ?

Je ne pense pas avoir vraiment vécu de « pire » moment à l’opéra mais j’ai quelques souvenirs malheureux. Par exemple, à Aix-en-Provence pour Moise et Pharaon. J’avais travaillé si dur ce rôle. Comme c’était mon premier Rossini, je voulais vraiment prouver que je pouvais le faire. Malheureusement, j’ai contracté le Covid une semaine avant la première. Bien que débarrassé du virus, j’étais insatisfait de chanter sans être en pleine possession de mes moyens. J’ai eu l’impression d’avoir déçu. Et même si le public s’est montré très compréhensif, il m’a été désagréable de monter sur scène sans être certain d’avoir la force de terminer le spectacle.

Le film qui a changé ma vie ?

The Martian. Je sais, c’est un choix bizarre ! Mais j’ai adoré ce film parce que le protagoniste est bloqué sur Mars avec TOUTES les chances contre lui. Mais au lieu d’abandonner, il reste toujours positif et trouve un moyen d’y arriver. Cela m’a appris que, quelles que soient les difficultés rencontrées, il faut toujours se dire que l’on peut y arriver. Ce n’est que seulement après avoir tout essayé que vous pouvez accepter l’échec. En ce qui concerne le chant, il y a des bons et des mauvais jours. Il faut utiliser ces mauvais jours pour travailler votre psychisme ou pour en apprendre plus sur votre technique. Quand on veut, on peut !

La chanteuse du passé avec laquelle j’aurais aimé me produire.

Maria Callas. Tout simplement parce que Maria n’avait pas peur de mettre sa voix en danger par amour du théâtre. Oui, elle avait une belle voix, mais il y a quelque chose en plus, de vraiment magique lorsqu’un chanteur se donne entièrement à son art. On entend la vulnérabilité dans la tristesse, la puissance dans la force, la fragilité dans la mort, la passion dans l’amour. C’est ce qui rend l’opéra magique. J’aurais adoré chanter avec elle.

La ville où je me sens chez moi ?

La ville d’Auckland, en Nouvelle-Zélande. C’est chez moi. Et je connais la ville comme ma poche. Je connais toutes les rues et tous les quartiers et, chaque fois que j’y retourne, c’est comme si je ne l’avais jamais quittée.

La ville qui m’angoisse ?

Je ne suis pas vraiment une personne angoissée. J’ai donc du mal à répondre à cette question.

Qu’est-ce qui, dans mon pays, me rend vraiment fier ?

Je parlerai de mon pays natal, Samoa. Ce qui me rend fier, ce sont les traditions qui existent encore aujourd’hui. Je suis fier que ma petite île ait un grand cœur à partager.

Le metteur en scène dont je me sens le plus proche ?

Aujourd’hui, je me sens particulièrement en phase avec Laurent Pelly et Eric Ruf qui met en scène La Bohème au Théâtre des Champs-Elysées. J’ai participé à deux productions de Laurent et toutes deux étaient comiques. La mise en scène correspondait parfaitement à mon humour et au type de personne que je suis. En travaillant avec Eric en ce moment, j’apprécie vraiment les nuances dans son approche théâtrale (ce qui est sa force). Elles apportent une authenticité au personnage et un naturel scénique, contrairement au parti-pris mélodramatique de nombreuses mises en scène d’opéra.

Mon pire souvenir avec un chef d’orchestre ?

Vous savez, j’ai vraiment hésité à le dire, mais l’un de mes pires souvenirs (notez que je dis « l’un de » :P) a été avec Nicola Luisotti lorsque j’étais un jeune artiste de l’opéra de San Francisco. C’était mon premier grand rôle sur la scène d’un des plus grands opéras du monde : Il Duca di Mantova dans Rigoletto. J’ai malheureusement été très malade pendant la semaine technique, qui est une des périodes les plus importantes dans le cycle d’une production d’opéra. Je n’ai pas pu chanter l’Italienne, ni les répétitions avec orchestre, ni même la répétition générale avec piano. Les médecins ont confirmé que je devais immédiatement reposer ma voix, mais Luisotti a insisté sur le fait que mon anxiété seule, et non ma voix, était en cause. C’était difficile parce que j’avais l’impression qu’on doutait de mes capacités. J’étais très gêné par rapport à l’orchestre et au chœur. Après avoir finalement obtenu une période de repos, je suis remonté sur scène pour la générale et c’était incroyable. Mais j’ai été attristé qu’au lieu de soutenir un jeune artiste, le chef ait fait preuve d’une intransigeance qui a gâché l’excitation de chanter un rôle majeur pour la première fois. Ce qui m’amène à la question suivante…

Le chef d’orchestre qui m’a le plus appris ?

Nicola Luisotti. Malgré cette expérience, je n’ai jamais eu de rancœur à son égard. Il a été dur, sans aucun doute, et il aurait pu y avoir de meilleures façons d’aider un chanteur à grandir mais il est venu dans ma loge pour me donner des conseils et me guider. En plus, c’est un artiste fabuleux et je et je n’ai jamais entendu un meilleur Rigoletto que le sien. Il m’a dit qu’il était désolé d’avoir été sévère, mais que je ne devais pas craindre de défendre ce que je pensais être bon pour moi. Il m’a dit : « Reste respectueux, mais n’aie pas peur de te mettre en avant » et depuis lors, à chaque répétition, je mets TOUJOURS en avant ce qui est le mieux pour moi, même s’il me faut ne pas chanter pendant les répétitions. Ce qui compte, c’est la façon dont vous chantez le soir de la première. Cela dit, je chanterai volontiers à nouveau sous la direction de Nicola.

Outre le chant, quelle est la chose la plus compliquée que vous avez eu à faire sur scène ?

Hmmm, la chose la plus difficile à ce jour a été dans L’elisir d’amore mis en scène par Laurent Polly. Je devais courir le long d’une botte de foin tout en chantant. Et regardez, je ne suis pas une personne de petite corpulence ! Il a donc fallu faire du cardio. Mais c’était drôle ! En fait, tous les Elisir que j’ai fait ont nécessité beaucoup de mouvements. C’est ce qui les rend amusants ! Mon premier Elisir s’est déroulé dans une ferme… et tout en chantant le duo difficile avec Adina, je devais tondre des moutons… Ce n’était pas évident !

Si je pouvais apprendre un instrument du jour au lendemain, quel serait-il ?

Certainement le violoncelle. Ou le cor d’harmonie. Parce que ce sont les instruments les plus proches de la voix de ténor. Ils ont comme elle la chaleur, la richesse, la douceur.

Un opéra dans lequel j’aurais aimé être le créateur du rôle-titre ?

Pagliacci. J’aime les rôles qui ont beaucoup de complexité. Sur le plan psychologique, mental, vocal, émotionnel et physique. Ce n’est pas un rôle long mais on y trouve tout ce que l’on attend dans un opéra.

Quel est le chanteur du passé dont j’ai le plus appris en écoutant son travail ?

Nicolai Gedda. Je l’écoute chaque fois que j’apprends un nouveau rôle. Non seulement il a une belle voix avec toutes ses capacités chromatiques, mais c’est aussi un très bon chanteur. La prononciation est sans défaut, les rythmes sont justes, l’interprétation est parfaite. Mieux vaut avoir un bon modèle pour commencer correctement. Ce n’est qu’ensuite que l’on peut écouter d’autres interprétations.

Le chanteur actuel que je trouve d’une rare générosité ?

Asmik Gregorian. Quelqu’un qui est capable de se donner pleinement à son art est quelqu’un qui mérite d’être écouté. Elle s’engage totalement sur scène, et n’est pas seulement une bonne chanteuse, mais une très bonne interprète. Les chanteurs – c’est malheureusement compréhensible – mettent toujours la voix en premier lorsqu’il s’agit d’interprétation. Soit. Mais lorsque vous rencontrez un chanteur qui n’a pas peur de pleurer pour exprimer la vulnérabilité, de crier dans l’angoisse de la douleur, de chanter piano dans la fragilité de la mort, cela devient quelque chose qui transcende vraiment l’opéra. Cela devient de l’art. Sa Jenufa est une véritable merveille.

Si j’étais un personnage de Disney ?

Disons un personnage d’animation plutôt qu’un personnage de Disney, car je serais Po, du film Kung Fu Panda. Tout d’abord, nous sommes tous les deux de grandes personnes câlines. Mais l’important, c’est que Po avait un don qu’il ne savait pas comment utiliser. Et il a un grand cœur. Une fois qu’il a découvert comment utiliser ses capacités, il est devenu un maître… mais toujours à sa manière.

Mon plus grand moment d’embarras ?
Je chantais lors d’un concert en plein air devant des milliers de personnes. J’étais jeune et je ne maîtrisais pas encore vraiment ma technique. Ils ont insisté pour que je chante « Nessun dorma » avec orchestre. J’ai chanté le si final et j’ai craqué horriblement. Cela m’a marqué pendant très longtemps, à tel point que je n’ai plus chanté cet air pendant de NOMBREUSES années. Je n’ai pas pu dormir cette nuit-là tellement j’étais contrarié.

Le compositeur à qui j’ai envie de dire « mon cher, votre musique n’est pas pour moi » ?
J’aime écouter ce compositeur dans certaines de ses œuvres, mais je suis désolé – John Adams, votre musique n’est juste pas pour moi. Je ne peux tout simplement pas la chanter.

Si j’étais un lied ou une mélodie (ou une chanson).

« Heimliche Aufforderung » – Strauss. Je pense que c’est parce que c’est l’une des premières mélodies que j’ai chantées. Le texte est très juste. Le mouvement mélodique et le climax à la fin sont tout simplement magiques !

Mon pire souvenir historique des 40 dernières années.

C’est drôle, parce que je n’ai pas vraiment de pire souvenir. Tout ce qui a été mauvais, je l’ai toujours considéré comme un moyen de devenir meilleur, ou comme une opportunité de le transformer en quelque chose qui me conviendrait mieux.

Le rôle que je ne chanterai plus jamais.

J’ai honte de l’avouer, mais probablement Percy dans Anna Bolena. Ecoutez, je peux le chanter (enfin, certains passages peuvent vraiment me challenger) et je peux sauter le pas si un théâtre a vraiment besoin d’un Percy à la dernière minute. Mais est-ce un rôle vers lequel je me précipiterais ? Absolument pas. Je n’ai aucun lien avec Percy ou sa musique. J’adore l’opéra, bien sûr, mais Percy n’est tout simplement pas pour moi.

Ma devise

Chantez de manière à émouvoir. Le public sera séduit par votre sincérité. Invitez-le dans votre univers et laissez-le vivre, rire, pleurer et mourir avec vous. Ne chantez pas toujours conformément à la tradition, sinon nous ne grandirons jamais.

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