Vainqueure du concours Operalia en 2014, la soprano américaine Rachel Willis-Sørensen a fait ses débuts au disque en donnant la réplique à Jonas Kaufmann sur son disque d’opérettes viennoises. Un parrainage de prestige qui la faisait d’emblée remarquer. Depuis, elle enchaîne les premières, se consacrant aussi bien à l’opéra italien qu’à Wagner ou Meyerbeer. C’est au cours d’une répétition de Lohengrin à Francfort que nous l’avons interrogée sur son parcours et ses projets. Parallèlement, Sony publie son premier album solo, qui montre que Rachel Willis-Sørensen sera probablement une des grandes voix spinto dans les années à venir.
D’où vient votre nom à consonnances scandinaves ?
J’ai des origines danoises, mais qui remontent à 4 ou 5 générations. Le nom Sørensen est en fait le nom de mon ex-mari, un Danois pur jus lui, que j’ai ajouté après Willis, et que j’ai gardé après notre divorce, notamment parce que c’était plus commode pour les enfants. Je constate que le fait d’avoir un patronyme typiquement européen donne aux yeux de beaucoup une sorte de légitimité dans le monde de l’opéra. C’est stupide, mais c’est comme ça ! (Rires)
Vous êtes ici à Francfort pour répéter Lohengrin. Quel est votre rapport à Wagner ?
Quand les gens me rencontrent pour la première fois, à cause de ma taille, de mon gabarit et de ma couleur de cheveux, ils pensent voir débarquer Brünhilde ! (Rires) Mais c’est un rôle qui ne m’attire pas du tout, quels que soient ses mérites musicaux ou dramatiques. On m’a aussi proposé Sieglinde un nombre incalculable de fois. Je reconnais que cette partie est émouvante, et sans doute pourrais-je en produire toutes les notes. Mais cela correspond-il vraiment à mon tempérament vocal ? Pas sûre du tout. Surtout que ce que j’aime dans le chant, c’est travailler l’aspect lyrique, les piani, l’expressivité. Je suis donc très heureuse avec Elsa, Elizabeth ou Eva, les héroïnes « blondes ». Isolde reste une possibilité, mais sur le long terme.
On vous sent à l’aise dans des répertoires très différents : italien, français, allemand, et même tchèque. Quel est le secret de votre versatilité ?
Vous pouvez ajouter le russe, parce que je travaille en ce moment Tatiana de Eugène Onéguine. La vérité est que je m’ennuie vite dans la vie. J’ai un besoin constant de stimulation, et si je ne relève pas de nouveaux défis, j’ai l’impression de stagner. S’attaquer à des rôles chantés dans des langues différentes est tout naturel pour moi. Le monde de l’opéra est tellement vaste que se limiter à un seul pan du répertoire serait dommage, vous ne trouvez pas ? Et puis, la musique classique en général convient parfaitement à mon envie de revenir sans cesse sur ce que j’ai déjà fait : arriver à une forme satisfaisante requiert le travail de toute une vie. Exactement ce que je recherche.
Sur votre album, vous chantez un extrait des Vêpres siciliennes de Verdi dans le français original. Une rareté.
Oui, et c’est moi qui ai beaucoup insisté auprès de Sony pour que le morceau figure sur le CD. Je voulais aussi l’enregistrer avec la cadence de La Callas. Je tenais à ce que le répertoire « grand opéra français » soit présent sur ce CD, parce qu’il joue un rôle important dans ma carrière. J’ai chanté Valentine dans Les Huguenots de Meyerbeer juste avant le confinement, et ce fut une expérience fabuleuse, même si très difficile. Avec mon prénom, je pense bien sûr à aborder La Juive, mais c’est un rôle redoutable, avec beaucoup de graves puissants. D’une façon générale, je trouve votre langue très musicale, et particulièrement propice aux nuances que j’aime cultiver. Je m’en suis rendu compte tôt dans mes études, où le premier air que j’ai travaillé était « Il est doux, il est bon » extrait de Hérodiade de Massenet.
Comment se sent-on lorsque paraît un premier album en solo ?
Ciel, c’est si difficile à décrire ! D’un côté, c’est un rêve d’enfance qui se réalise. J’ai l’impression de vivre dans un conte de fées, surtout que les responsables de Sony m’ont demandé de garder le secret jusqu’au bout. Même mes proches ont été tenus dans l’ignorance du projet le plus longtemps possible. Alors vous pensez, quand j’arrive à l’improviste avec des CD’s à distribuer autour de moi … De l’autre, c’est aussi une source d’angoisse. J’ai l’impression d’être entrée dans la fosse aux lions. Désormais, chacun va pouvoir juger ma façon de chanter, même des gens que je n’ai jamais vus ou qui ne m’ont pas vue en scène. On se sent nue, notamment par rapport aux critiques. Mais c’est la règle du jeu, et je suis heureuse que ce CD existe ; j’y ai vraiment mis le meilleur de moi-même.
Quels sont vos projets ?
Je peux déjà vous annoncer que je chanterai Elisabeth de Valois à Chicago, et que ce sera la version originale française de Don Carlos, que l’on joue beaucoup trop rarement. Je travaille aussi Arabella, mais je ne peux en dire plus, parce que la maison pour laquelle cela se fera n’a pas encore révélé sa saison. Je continuerai par ailleurs à chanter Leonora du Trouvère et Rusalka dans différents théâtres. Tout cela me comble, mais mon rêve maintenant serait un grand rôle de Bel Canto : Maria Stuarda ou Anna Bolena, par exemple. Bien sûr, c’est éloigné de ce que je fais en ce moment, mais je vous ai dit que j’aimais les défis en permanence. Espérons que des directeurs d’opéra vous lisent et pensent à moi au moment de boucler leurs distributions.