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Rafael R. Villalobos : « une société qui répète ad nauseam la même manière de faire de l’art est une société morte »

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Actualité
8 octobre 2020
Rafael R. Villalobos : « une société qui répète ad nauseam la même manière de faire de l’art est une société morte »

Infos sur l’œuvre

Détails

Le metteur en scène sévillan Rafael Rodriguez Villalobos a le vent en poupe après plusieurs productions en Espagne et plusieurs prix et récompenses. Celui qui fera ses débuts au Teatro Real en janvier 2021 et qui doit mettre en scène à Barcelone le récital de Sondra Radvanovksy autour des reines de Donizetti nous a accordé une interview lors de ses débuts en France à l’Opéra de Montpellier où il réalisait Il barbiere di Siviglia.  

Il barbiere di Siviglia est l’un des opéras les plus représentés au monde, comment être original quand on est un jeune metteur en scène qui fait ses débuts en France ?

C’est un chef-d’œuvre en effet et parmi les plus joués dans toutes sortes de mises en scène. Le projet est aussi un peu particulier puisque je n’ai été contacté qu’en juin par l’Opéra de Montpellier quand ils ont réalisé qu’ils ne pourraient pas faire Aida. Je n’avais pas beaucoup de temps, mais comme je suis Sévillan je connais bien l’atmosphère de la ville et son folklore. Le Barbier est aussi le premier opéra auquel j’ai assisté quand j’avais 11 ans. Je connais très bien l’œuvre. Mon rôle en tant que metteur en scène est tout d’abord de réaliser ce que le librettiste, le compositeur, le commanditaire ou le théâtre de création ont voulu faire. Donc j’explore toujours de manière assez large le contexte de l’œuvre, je vois ce que je peux en faire et quelle touche je peux y apporter pour un public d’aujourd’hui. Le Barbier est écrit juste avant la révolution française, dans un contexte « chaud ». C’est aussi une des premières pièces qui met en scène les maîtres et les serviteurs, quelque chose de révolutionnaire en soi. Je n’essaie jamais de forcer une lecture contemporaine des œuvres. Chaque époque ou œuvre a son propre référentiel. Avec le Barbier ce qui est intéressant c’est que tout est basé sur des archétypes qui perdurent. C’est impossible de vouloir lutter contre ces archétypes dans une mise en scène, donc j’ai choisi d’aller le même sens et de les emmener plus loin.

C’est là que la Movida arrive ?

Oui, j’ai décidé de transposer l’atmosphère prérévolutionnaire du Barbier à celle qui l’était tout autant en Espagne juste avant la mort de Franco, l’époque de la Movida, première période de liberté artistique après la dictature. Il se trouve que tous les artistes de la Movida (Almodovar, Costus, Nazario etc.) utilisent énormément les archétypes notamment pour illustrer ces transitions entre deux époques. Je fais donc appel à des archétypes sévillans (la bonne sœur qui fait la quête, le barbon conservateur, le toréro) et je les mets tous en scène. J’ai ajouté à ces comparaisons de folklores, une comparaison littéraire en faisant appel à Jean Genet et à Les Bonnes pour retrouver la trame révolutionnaire. Cela met permet de questionner les rapports entre les femmes dans la maison de Bartolo. On se rend ainsi compte que Rosina, que l’on retient comme l’une des premières héroïnes féministes à cause de son aria, ne fait jamais appel à l’aide de Berta, qui pourtant doit avoir les clés de la maison, mais plutôt à Figaro. Son féminisme ne va pas encore jusqu’à la notion de sororité. « Una voce poco fa » et son message libertaire ne concerne en somme que les femmes, jeunes, blanches et riches. Introduire les citations de la pièce des Genet remet le focus sur les autres femmes de la maison. L’époque de la Movida porte aussi ces questions notamment pour les LGBT, et on va aussi les retrouver sur scène.

Justement, Berta chanté par un contre-ténor, les références à la Movida : il y a un jeu sur le genre et un arrière-plan LGBT à votre mise en scène, comment est-ce que cela se marie avec le livret et n’avez-vous pas peur de perdre votre spectateur avec toutes ces références ?

Quand je mets en scène, je le fais toujours à deux niveaux de lecture. C’est pourquoi il y a beaucoup de références, notamment à la filmographie d’Almodovar (La mauvaise éducation, Femmes au bord de la crise de nerf etc.) mais aussi à Pilar Albarracin… mais pas besoin de tout comprendre pour profiter de la représentation. Je dis souvent que je ne suis pas un metteur en scène post-dramatique, je suis un metteur en scène d’action. Pour moi l’intrigue, la fabula et les relations entre les personnages sont ce qu’il y a de plus important. Je ne peux pas aller contre cela, déconstruire. Tout le deuxième niveau lecture que je viens de décrire ne change rien à l’action. Parfois cela renforce même le comique des situations, comme le fait que Almaviva arrive en torero éméché plutôt qu’en soldat et va se lancer dans une corrida avec Bartolo. De même pour Don Alonso qui devient une bonne sœur pour ne pas éveiller les soupçons du vieillard. Donc si vous faites une lecture au premier degré de cette mise en scène, vous vous amuserez et si vous comprenez toutes les références alors vous découvrirez autre chose.

Vous savez qu’avec ce choix de la Movida on vous appelle « le jeune Almodovar » de la mise en scène en France. Vous acceptez ce titre ?

C’est le jeu des circonstances. Almodovar n’est qu’une référence parmi tant d’autres qui me nourrissent. Ce que j’aime chez lui en tant qu’artiste ce sont justement toutes les références qu’il fait lui-même dans son travail : Genet, Sartre, Cocteau, au monde de l’opéra bien sûr… c’est un maître ! D’ailleurs vous remarquerez que ce que je prends de lui ce n’est pas l’époque de la Movida. Ce n’est pas une reconstitution historique. Mon décor est très naïf. Ce que je prends ce sont les personnages, les archétypes. Donc non je ne revendique pas le titre, même si je comprends pourquoi on m’a donné ce surnom.

Les conflits sociétaux sont un des axes forts de vos mises en scène. Est-ce une obligation ? Pour vous la mise en scène se doit d’aller au-delà du divertissement, de porter un message ?

Oui, cette dimension doit être présente. Je l’ai compris en assistant au travail de Peter Sellars. Pour moi l’opéra d’aujourd’hui doit occuper la même place que celle que le théâtre occupait dans la Grèce antique. Un pilier de la démocratie, la première étape vers le débat. Quand vous mettez des aspects de votre société sur la scène vous déclenchez la réflexion. C’est pourquoi j’essaie de le faire avec chaque mise en scène d’opéra que l’on me confie. Je me suis intéressé à ces aspects avec le Barbier je vous l’ai expliqué : Rossini et les femmes, l’homosexualité refoulée et l’homophobie de Bartolo, etc. Mais je ne crois pas au théâtre politique. Je mets des éléments sur scène, c’est au spectateur de s’en saisir s’il le souhaite. En Europe, à notre époque traversée par tous ces conflits (le Brexit, Viktor Orban, la Pologne etc.), l’Opéra est l’Esprit de notre continent : un chef français et un metteur en scène espagnol travaillent avec des chanteurs anglais, polonais, allemands dans un théâtre en Lettonie. C’est enthousiasmant ! Toutes ces nations qui s’essaient à faire quelque chose de signifiant ensemble. Il n’y a rien de plus européen que l’Opéra.

Vous parlez des conflits en Europe, mais les Etats-Unis sont encore plus divisés et pourtant leur théâtre lyrique est principalement illustratif ?

On voit bien comment le modèle des USA fonctionne ou plus exactement ne fonctionne plus avec la Covid. Les donateurs privés sont frileux à l’idée d’associer leur nom avec des œuvres polémiques. Ils ne veulent pas le faire, ne veulent pas prendre de risque d’une manière générale. A mon sens, l’annulation de la saison du Met est autant une question sanitaire qu’une question de risque que l’on ne veut pas prendre. En Europe, le financement public protège à la fois le fonctionnement des institutions et la liberté artistique. J’espère que cela aura vacciné ceux en Europe qui voulaient se rapprocher du mode de fonctionnement américain.

Revenons à la scène : on le voit depuis quelques années, les metteurs en scène ont du mal à renouveler leur vocabulaire, ce qu’on a appelé le Regie radote bien souvent. Comment un jeune metteur en scène conçoit-il les dix prochaines années ?

Je dis souvent qu’être respectueux du compositeur dépend de chaque compositeur : ce qu’il voulait, l’époque où il composait… Je pense que Rossini aurait été ouvert à certains changement que je peux effectuer comme par exemple Berta (chantée par un contre-ténor) car cela épouse les archétypes espagnols qu’il utilise lui-même. Je pense qu’aujourd’hui nous sommes entrés dans ce que j’appelle le « persona regie ». Ce que nous allons questionner ce sont les rapports entre les personnages sous un nouveau jour, en y portant notre regard de maintenant pour un public et une représentation qui ont bien lieu aujourd’hui. Mais en faisant cela, nous nous donnons la possibilité de revenir vers la « Beauté » dans un sens classique. Je l’ai compris lorsque j’étais en résidence d’artiste à Rome. En regardant les Maitres baroques et autres grands peintres j’ai compris que c’est grâce à la beauté formelle qu’on peut représenter les aspects de la vie les moins reluisants à la manière d’un Caravage qui peint la tête coupée d’Holopherne, des images terribles que l’on ne pourrait pas regarder même en photographie mais que l’art permet de faire passer. Nous avons eu le théâtre trash et brutal pendant des années, il a eu son importance et son message. Pour moi c’est important de revenir à la beauté. C’est par la beauté que nous pourrons parler de toutes les atrocités de notre époque, j’en suis convaincu. Je veux hypnotiser le public par l’enchantement de ce qu’il voit sur scène – j’admire Romeo Castellucci pour cela – qu’il ne veuille pas détourner le regard, et là, j’irai placer les éléments pour le sortir de son confort. C’est déjà ce que disait Brecht quand il affirmait que l’opéra est plus fort que le théâtre. Le degré de complexité de l’opéra oblige le spectateur à décoder ce qu’il voit. C’est par exemple ce que j’avais fait avec Orphée et Eurydice, une des mises en scène dont je suis le plus fier (à Jerez en Andalousie en 2019 NDLR).

La Covid, les progrès technologiques… est-ce que vous ne pensez pas qu’on peut se passer de mise en scène et même de théâtre live ?

La Monnaie vient de présenter « Is this the end ? » et je trouve que le travail vidéo y est incroyable ! Mais je ne pense pas que les technologies étouffent la scène ou le besoin de faire travailler et de voir des artistes faire de l’art maintenant devant nous. Bien entendu, ce qui fonctionne avec une création, une œuvre d’Ades ne marchera surement pas avec Rossini. Encore une fois, je pars de l’œuvre et ensuite je déploie un vocabulaire propre à faire ressortir ce que j’estime important. Je suis ouvert à essayer plein de choses et à me tromper 95% du temps. Une société qui répète ad nauseam la même manière de faire de l’art est une société morte. L’Opéra est un art contemporain, un art d’aujourd’hui et de maintenant. Faire de l’Opéra c’est vouloir aller de l’avant et créer.

Quels sont vos projets alors ?

J’ai fini d’écrire un livret moi-même et j’espère voir naître cette œuvre prochainement. Je veux continuer ces allers-retours entre le contemporain et la mise en scène des classiques. Je pense sincèrement que lorsque l’on se concentre sur les rapports entre les personnages, il faut explorer les classiques. Le public en est plus familier. Aussi, j’aimerais bien mettre en scène Elektra de Strauss. Après Montpellier, je rentre chez moi à Séville pour une nouvelle production de Così fan tutte et, dans le même temps, je prépare un projet très moderne au Teatro Real de Madrid. C’est une création de German Alonso autour du personnage de Wozzeck, « la tragédie de l’homme moderne » mais vue cette fois-ci du point de vue de Marie. Lola Blasco, la librettiste, a voulu que cela devienne la tragédie de la femme moderne qui endure tout, y compris Wozzeck qui finit par la tuer. Une histoire affreusement contemporaine… qui sera représentée en janvier.

Propos recueillis à Montpellier le vendredi 2 octobre 2020. 

 

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