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Rapprocher Rennes et Angers-Nantes Opéra : « fastoche ! »

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Interview
3 juin 2019
Rapprocher Rennes et Angers-Nantes Opéra : « fastoche ! »

Infos sur l’œuvre

Détails

Après 13 ans à la tête de l’Opéra de Rennes, Alain Surrans a été nommé l’an passé à Angers-Nantes Opéra avec, dans ses missions, le rapprochement entre les deux structures de l’ouest. Matthieu Rietzler, quant à lui, a pris la direction de l’opéra de Rennes il y a un an, l’occasion d’un premier bilan à deux voix.


Comment construisez-vous vos saisons ?

Matthieu Rietzler (MR) : Nous avons un socle commun de quatre grandes productions annuelles avec orchestre créées pour les deux maisons. Chacun de nous est producteur délégué de deux d’entre elles. L’orchestre des Pays de Loire à Angers-Nantes et l’orchestre de Bretagne à Rennes suivent ces deux productions sur l’ensemble des dates – entre 10 et 12 – à Rennes, Nantes (et Angers pour 2 d’entre elles).

Alain Surrans (AS) : Le partenaire premier pour chacun de nous, c’est l’orchestre. En Bretagne comme en Pays de Loire, il ne s’agit pas d’orchestres maison mais de structures avec leur vie propre, pourvues d’un cahier des charges lyrique. La construction de la saison commence par cette réflexion sur leur implication.

MR : Nos choeurs, les ensembles en résidence  – Mélisme (s) et le Banquet Céleste à Rennes  – , notre intérêt commun et convergent pour la danse… Tous ces éléments entrent ensuite en ligne de compte pour étoffer la collaboration, mais ce qui structure l’année ce sont ces quatre productions communes.

Et quelles sont-elles, la saison prochaine ?

AS et MR : Hamlet d’Ambroise Thomas, L’inondation de Joël Pommerat et Francesco Filidei, la Clémence de Titus de Mozart et Madama Butterfly de Puccini.

MR : L’intérêt majeur de notre collaboration est que chaque production n’est pas jouée seulement à quatre ou cinq reprises, mais pour une dizaine de représentations, ce qui est évidemment formidable au vu de l’énergie investie par chaque maison, ses équipes et ses artistes.

AS : Cela induit également quelques économies d’échelle puisque nous partageons les frais de répétitions, les salaires des concepteurs… C’est vertueux ! Mais attention, les économies ne sont pas énormes lorsque l’on coproduit. En revanche, Cela permet également d’attirer des artistes intéressants parce qu’il y a plus de dates. Ainsi on atteint de très beaux objectifs, comme cette coproduction de L’inondation avec l’Opéra-Comique.

MR : Cela nous offre également une boite à outils renforcée puisque nous avons deux orchestres avec des formats différents, deux choeurs très différents dans le tempérament également (un permanent à Nantes, un intermittent à Rennes) des ateliers de décors et costumes de part et d’autres. La situation nous permet surtout de gagner en ambition.

Il semble également y avoir plus de levers de rideau qu’auparavant ?

MR : Effectivement, séparément les maisons ne pourraient pas enchaîner autant de productions. En terme de force artistique, la collaboration est un vrai plus. A Rennes, nous offrons une soixantaine de levers de rideaux sur l’ensemble de la saison. Quinze de plus que l’année dernière !
La raison en est simple : en partageant le montage des productions, nous libérons du temps de plateau (le temps des répétitions sur scène pour les productions maison), ainsi nous pouvons accueillir des spectacles extérieurs et faire plus de levers de rideau.

AS : Cela fait partie de mon cahier des charges à Nantes où nous sommes passés de 50 à 80 levers de rideau cette saison. Nos théâtres ont besoin de vivre or le lyrique est très cher, chaque soirée coûte enviton 50 000 euros. En partageant les productions entre Nantes et Rennes, nous pouvons diversifier un temps de production qui pèse moins sur le temps de la maison et réinvestir en manifestations alternatives. Il y a là une vraie convergence d’intérêt entre les deux maisons.

MR : A Rennes, l’an prochain, de très belles propositions comme Le Journal d’un disparu de Janacek, mis en scène par Ivo van Hove, ne peuvent être accueillies qu’à cette condition. L’écueil serait de n’être plus qu’un lieu d’accueil mais nous sommes très attentifs à ce que, même dans les projets communs, il y ait du made in Rennes et du made in Nantes. Nous cherchons à trouver un juste équilibre entre les productions et l’accueil.

Avez-vous des collaborateurs communs ?

AS : La seule fonction exercée par Nantes pour les deux structures, concerne les distributions. Christophe Delhoume, qui travaillait à Rennes auparavant, s’en charge pour les quatre productions communes. En revanche, nos équipes collaborent activement : les directeurs techniques, les responsables de production, les administrateurs-trices… Cette mise en commun permet d’alléger certains postes et de les redéployer partiellement sur de nouvelles missions plus près du plateau. Ce qui est valorisant pour eux. Le premier test grandeur nature pour les équipes a été le Vaisseau Fantôme. Il y a bien entendu des ajustements à faire mais l’organisation générale s’est révélée cohérente : le régisseur général suit le spectacle sur l’ensemble des dates et les techniciens de la structure qui crée le spectacle, eux, font les passations à leurs collègues pour la tournée.

MR : Ce que je trouve passionnant c’est que l’on tente ainsi de répondre à l’une des problématiques de l’opéra qui est moins celle de la production que de la diffusion. Cela déstabilise certes une sorte d’écosystème mais c’est passionnant à interroger.

En mutualisant, se pose la question délicate du maintien d’activité des équipes, notamment des chœurs. Travaillent-ils moins ?

MR : Dans le cahier des charges des collectivités, il nous est demandé de maintenir le volume horaire du chœur. Cette année, le chœur ne travaille pas moins, même s’il travaille sur moins d’ouvrages lyriques mais pour un plus grand nombre de représentations puisqu’on ne change pas de chœur en changeant de lieu. Le chœur a également du temps pour travailler sur de nouveaux formats, de nouveaux projets : C’est aussi pour cela que Rennes rejoint la Co(opéra)tive, pour inventer des formats lyriques qui sortent du théâtre comme La Petite Messe Solennelle de Rossini mise en scène qui sera diffusée à Rennes, Dunkerque, Compiègne, Besançon, Sète et interprétée par le chœur Mélisme(s), en résidence à Rennes.

Et qu’en est-il des ateliers décors et costumes ?

MR : Nous travaillons à maintenir l’activité dans les deux maisons en dépit de la mutualisation. Le temps dégagé nous permet de développer les projets satellites, de diversifier.

AS : A Rennes, où j’ai longtemps œuvré, il fallait inventer sans cesse pour donner du travail à nos intermittents, comme à nos permanents. La revue des ambassadeurs, Rita ou le mari battu, le Directeur de Théâtre… Autant de projets au budget modeste mais exigeants artistiquement, qui ont permis de conserver l’énergie des équipes en restant dans la sphère de la production. J’applique la même recette à Nantes aujourd’hui. Nous nous devons d’être des inventeurs, et pas nous contenter de programmer de grands ouvrages. Il nous faut croiser le lyrique avec d’autres univers et ainsi aller à la rencontre d’autres publics. Quand on crée une petite forme de chambre d’1h30 maximum, elle peut voyager. L’Italienne à Alger par exemple a été une vraie réussite pour ce format.

MR : La mutualisation c’est de la contrainte créative, c’est un peu un casse-tête, mais qui n’a rien d’effrayant. Surtout, cela crée de nouvelles opportunités : l’an prochain, par exemple, nous pouvons proposer un projet aussi réjouissant que Maria de Buenos Aires parce que l’Orchestre de Bretagne nous fournit un certain nombre de lever de rideau chaque année et que, l’Orchestre des Pays de Loire assumant une partie de la saison, cela libère des soirées pour une nouvelle proposition.

AS : et puis on s’amuse en faisant cela ! Se forcer à être imaginatif, c’est toujours une excellente chose !

Vos deux programmations sont ambitieuses ; Il y a certes un Mozart et un Puccini, mais également des œuvres beaucoup plus confidentielles. Vous faites manifestement confiance à votre public?

AS : On a de l’énergie à reconvertir dans de nouvelles formes…

MR : …de nouveaux projets, des programmations de concerts…

Vous êtes donc sereins, le public va vous suivre ?

AS : Pour moi, le risque est à Angers, où il y a un retard à rattraper. Quand je suis arrivé, Angers ne bénéficiait pas de suffisamment de représentations in situ, ces longues périodes blanches avaient beaucoup nui à la fréquentation. Mais le public a tout de même doublé cette saison par rapport à la saison précédente ! Nous allons vraiment dans le bon sens.

Et quelle a été votre recette ?

AS : J’ai fait plus de propositions ; pas seulement du lyrique afin qu’il y ait plus d’une vingtaine de soirées proposées aux angevins. Les concerts ça va mieux en le chantant par exemple, ou encore les voix du monde permettent de faire venir de nouveaux publics sous la bannière de l’opéra. Au théâtre Graslin, également, la fréquentation a augmenté de 35 %

Qu’en est-il à Rennes ?

MR : A Rennes, c’est la question de la diversité des propositions qui m’intéresse : Je suis convaincu qu’à proposition monolithique répond un public tout aussi monolithique. Cette saison, le public habitué retrouve exactement tout ce qu’il connaît de l’opéra. Simplement, il y aura des propositions supplémentaires. Le public rennais me semble de nature curieuse, il est habitué aux musiques des XXe et XXIe siècle. Trouver les points de dialogues, de convergence avec les musiques actuelles – puisque Rennes est une ville de musiques actuelles – m’intéresse également. Nous avons des propositions fédératrices comme The Pajama Game, une comédie musicale réjouissante sur le monde du travail ; des propositions plus exigeantes dans la forme comme Le Journal d’un disparu. Mais les balises sont là et il y a aussi de la diversité qui existe depuis longtemps et dont les Rennais se saisissent.

Nous avons plutôt évoqués les atouts de ce rapprochement de vos deux maisons, quels freins identifiez-vous ?

AS : La gestion des pré-carrés de chaque équipes techniques est un point qui demande de l’attention.

MR : Oui et d’autre part, on nous demande plus de levers de rideaux sans que le budget n’augmente.

AS : Et même, dans mon cas, le budget baisse avec la ville d’Angers qui a réduit la voilure de 320 000 euros en 2018 et 100 000 euros cette année. Une mauvaise surprise à mon arrivée ! L’idée est de passer en régie métropolitaine après les élections municipales.

Se mettre d’accord sur les programmes communs, n’est-ce pas difficile ?

MR : Il y a tellement de contraintes que c’est facile ! Une fois que l’on pose la question de la langue, les effectifs, les projets des un et des autres…Les titres s’imposent d’eux-mêmes. On travaille actuellement sur 2021, 2022 et 2023 sans aucune difficulté de ce point de vue. Evidemment, impossible de proposer un titre qui a été récemment donné dans l’autre maison, mais il s’agit moins d’une concession que d’un ajustement

AS : C’est fastoche ! Il y a tant de chefs d’oeuvres à proposer ! D’autant plus que l’on souhaite aussi une diversité scénique sans se cantonner à une seule vision pour proposer des univers différents aux spectateurs en piochant dans quatre siècles de musique. Cette année, Pommerat s’annonce formidable et très loin de Madame Butterfly, superbe, qui sera, elle, très italienne.

Vous échangez beaucoup tous les deux ?

AS : Tous les jours !

MR : Connaitre les projets de l’autre est aussi une force. Cette année par exemple, nous sommes allés au-delà du socle commun avec notre projet danse autour de Preljocaj car notre intérêt y convergeait. Dans l’autre sens, il n’y aura cette année que trois séances ça va mieux en le chantant à Rennes car j’avais besoin d’espace pour d’autres projets. Ce type d’ajustement ne pose pas de problème et permet de préserver les équipes.

Quel est le coup de coeur impulsé par chacun pour la saison prochaine ?

MR : Alain a plus impulsé sur cette saison puisque les titres étaient déjà choisis, mais c’est moi qui, pour la Clémence de Titus, par exemple, ai engagé Nicolas Kruger. Ce chef est un mozartien à l’approche assez chambriste qui a ainsi l’opportunité de se faire entendre pour la première fois dans nos maisons, ce qui est toujours réjouissant. Il me semble d’ailleurs que Rennes est une maison idéale pour se positionner à un endroit charnière pour de nombreux artistes. Pour la mise en scène de la Clémence, j’ai proposé Pierre-Emmanuel Rousseau, spécialisé dans le répertoire bouffe sur le réseau – vous avez vu son Comte Ory récemment – qui avait envie d’aller vers le seria et nous propose effectivement un projet fort et intéressant.

Qu’entendez-vous par « endroit charnière », un lieu tremplin pour les carrières ?

MR : Tout à fait, Rennes est un lieu où les équipes – formées par Alain Surrans et auparavant par Daniel Bizeray – savent accompagner les artistes. C’est la bonne taille de maison : l’exposition, la prise de risque n’est pas immense. Les artistes seront repérés dans le réseau, il y aura une exposition médiatique réelle sans pour autant être trop dangereuse.

La mutualisation va-t’elle déboucher sur une fusion comme c’est le cas entre Angers et Nantes ?

AS : Il n’en n’a jamais été question . J’ai proposé la convergence dans mon projet avec l’accord de Nathalie Appéré, maire de Rennes. La fusion serait une étape politique qui n’est absolument pas à l’ordre du jour.

MR : Dans le préambule de notre convention cadre, il est d’ailleurs précisé que le travail en commun est une fin en soi et pas un préalable à autre chose.

La différence de taille et de budget entre vos deux structures ne posent pas problème ?

AS : Le budget de Rennes est à plus de 4 millions, celui de Nantes à 10 millions effectivement et il y a plus de personnel administratif à Nantes mais nous coproduisons tout à deux, ce qui est déjà un force en soi.

MR : Pour coproduire à l’extérieur, nous sommes également plus solides et plus crédibles, d’autant plus que nous n’avons pas tout à fait le même réseau, une richesse supplémentaire !

Pour terminer, d’un mot, quel est le plus passionnant dans vos missions ?

MR : Pour moi, c’est très clair, être le lien entre le public et les artistes, créer les bonnes conditions de cette rencontre. Ce côté médiateur me passionne.

AS : Moi, ce que j’aime c’est être dans le service public. j’aime que les collectivités territoriales soient directement employeurs des artistes. On a dit des horreurs sur les régies municipales pendant des décennies. Moi, j’y ai travaillé à Lyon puis ici et j’ai totalement changé d’avis sur cette question. Les politiciens aujourd’hui cherchent à tout tenir à distance, refusant certaines responsabilités. En régie, la responsabilité est là de facto. C’est pour cela que l’on a des directives sur le maintien des emplois, et c’est une bonne chose. De la même manière, le fait que 40 musiciens d’un orchestre habitent une ville, c’est important. Le fait qu’ils y soient à la fois professeurs au conservatoire et membres de l’orchestre fait qu’ils sont considérés comme des artistes, ce qui n’est pas toujours le cas des professeurs de conservatoire dans d’autres communes. C’est d’ailleurs ce que je vais aller défendre prochainement à Avignon dans une formation pour les élus.
Outre cette relation aux élus, je m’intéresse également à la relation aux populations en direct. Les gens qui financent l’opéra par leurs impôts mais n’y viennent pas. Nous avons un devoir envers ces gens. C’est le sens des opéras sur écrans : le 13 juin prochain, notre Vaisseau Fantôme sera rediffusé sur grand écran dans près de 40 municipalités, tant en Bretagne qu’en Pays de Loire !

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