Dans un Théâtre de l’Athénée Louis-Jouvet récemment rénové, Cyrille Dubois et Alphonse Cemin ressuscitent la passion amoureuse de Schumann, les mélodies de Venise de Fauré, les hymnes à l’amour de Britten. Si le ténor et le pianiste font partager leur enthousiasme pour la puissance et le charme de ces musiques, c’est aussi la beauté de la langue, et la diversité des langues, que nous donne à entendre Cyrille Dubois. Avec une diction et une articulation aussi virtuoses dans les lieder allemands que dans les mélodies françaises et les sonnets chantés en langue italienne, le jeune ténor voyage et nous fait voyager d’un univers sonore à un autre, d’une époque à une autre, d’une culture à une autre. Les poètes (Heinrich Heine, Paul Verlaine, Michel-Ange) sont à l’honneur autant que les compositeurs.
Dans le cycle Dichterliebe de Robert Schumann, l’osmose entre le pianiste et le chanteur nous plonge d’emblée dans la tonalité intimiste de ces fragments étincelants, contrastés, où la voix claire de Cyrille Dubois, brillante dans les aigus, caressante dans les piani (particulièrement émouvante dans « Ich will meine Seele tauchen »), se fait impétueuse lors des accès de douleur (« Ich grolle nicht ») ou de déclamation solennelle (« Im Rhein, im heiligen Strome »). Avec une attention constante à la dimension narrative du cycle, les deux artistes font dialoguer leurs instruments dans un redoublement de fraîcheur juvénile qui peut en un instant se muer en insondable douleur (« Ich hab’ im Traum geweinet », moment tragique pour lequel l’importance des silences, des ruptures, est magnifiquement démontrée).
Le contraste que présente le cycle des mélodies dites de Venise de Gabriel Fauré est non seulement dû au changement de langue – mettant en évidence les particularités du français par rapport à l’allemand – mais aussi au climat poétique et musical, de la légèreté de « Mandoline » au recueillement de la mélodie « À Clymène » – barcarolle pour laquelle le piano aurait toutefois gagné à être plus discret, comme une réminiscence lointaine plutôt qu’au premier plan –, dans une cohérence d’ensemble qui suscite là aussi émotion et admiration.
Alphonse Cemin, qui a programmé les récitals des « lundis musicaux » de l’Athénée, est au demeurant un partenaire idéal pour Cyrille Dubois, qu’il remercie chaleureusement d’avoir « sauvé la soirée » initialement prévue sur un autre programme avec Stanislas de Barbeyrac, contraint d’annuler pour raisons de santé.
Avec les Sept Sonnets de Michel-Ange, l’engagement vocal prend une intensité particulière, à l’image des premières mesures, énergiques, au piano : la diction lyrique italienne transforme à nouveau le chant de Cyrille Dubois, dont le volume prend une ampleur considérable. La beauté du timbre se double d’une puissance de projection remarquable, rendant perceptible la dimension dramatique, quasi opératique de ce cycle de Benjamin Britten.
À ces rencontres avec trois poètes et trois compositeurs, à ce voyage à travers trois langues et cultures, Cyrille Dubois ajoute en bis une autre langue, celle du compositeur britannique dont il rappelle l’attachement qu’il porte à son œuvre, et nous fait passer du texte littéraire au chant populaire. Le concert se conclut ainsi avec des arrangements de chants traditionnels par Britten, « The Salley Gardens », puis « Quand j’étais chez mon père, apprenti pastouriau », et enfin « The Last Rose of Summer », ouvrant la perspective d’autres facettes linguistiques et musicales, donnant le sentiment d’entendre constamment un bonheur de chanter qui transcende les genres et les langues.