La belle saison 2015-2016 annoncée il y a peu par l’Opéra de Paris a au moins un défaut : la série Convergences n’y figurera plus, comme nous l’annonçait dès 2013 celui qui fut son initiateur, Christophe Ghristi.
Dans le cadre, intimiste à défaut d’être chaleureux, de l’Amphithéâtre de l’Opéra Bastille, les concerts Convergences mettent à l’honneur, depuis plusieurs saisons, un répertoire ou un interprète figurant au programme des productions lyriques de la maison. C’est ainsi qu’on applaudit des œuvres rares, les Marienleben de Paul Hindemith par Soile Isokoski, ou des artistes peu entendus en récital à Paris, comme Pavol Breslik, interprète l’an dernier d’une très sensible Belle Meunière.
Et c’est ainsi que Krassimira Stoyanova, attendue en Marguerite le mois prochain, a donné dimanche dernier son premier grand récital parisien. Il était temps : vedette des scènes allemandes et autrichiennes, la bulgare promène depuis déjà quelques années, dans les grands rôles verdiens et straussiens, une vraie grande voix, saine et homogène, pimentée d’un timbre sombre, portée par une remarquable projection. Sa Desdemone (Otello), son Elisabeth (Don Carlo), sa Rachel (La Juive), plus récemment son Ariane (Ariane à Naxos) ou sa Maréchale (Le Chevalier à la Rose), la placent aujourd’hui au rang des quelques sopranos les plus indispensables de notre époque.
Le programme établi pour l’occasion est à l’avenant d’un répertoire versatile. Il y a plus qu’un monde entre les mélodies de Puccini, d’une légèreté parfois surprenante sous la plume du compositeur de Tosca, et les Sieben frühe Lieder d’où Alban Berg contemple les derniers vestiges de la Vienne fin-de-siècle. Krassimira Stoyanova semble parfois désarçonnée par ces changements d’atmosphère, qui compte, dans un cas, sur la beauté de son instrument et son expérience du répertoire italien, et se réfugie, dans l’autre, dans une attention au texte à la fois probe et légèrement inhibée : c’est avec un soulagement visible qu’elle arrive au terme du difficile « Sommertage ».
C’est véritablement chez Tchaïkovski et Rachmaninov, aux mélodies desquelles elle a déjà consacré un beau disque, que l’art de Krassimira Stoyanova trouve sa pleine mesure. Car c’est en chanteuse d’opéra qu’elle épouse ces pièces volontiers exubérantes, osant une dimension théâtrale que tous les répertoires n’autorisent pas : la mélancolie douce de « Ni slova, o drug moj » comme la tristesse plus affirmée de « Ne poj, krasavitsa, pri mne » s’expriment aussi par les gestes, la posture du corps, les mouvements de la tête, les expressions du visage qui reflètent chaque inflexion d’une voix chez elle dans la moindre nuance. Une expérience à la fois singulière et fascinante, qui doit beaucoup au piano valeureux de Jendrik Springer, bravant, dans « Son » et « Notch’ju w sadu u menja », des difficultés que Rachmaninov semble avoir directement puisé dans ses redoutables concertos.
En avril, Convergences accueille Franz-Josef Selig et Annick Massis : vous savez ce qu’il vous reste à faire !