Par un curieux caprice de la programmation, la saison parisienne se termine comme elle a commencé, avec le triomphe de Pretty Yende, ovationnée debout par le public du Théâtre des Champs-Elysées à l’issue de la scène de folie de Lucia di Lammermoor, rôle qu’elle interprétait en octobre 2016 à l’Opéra de Paris et dont elle est aujourd’hui une des meilleures titulaires.
Tout n’était pas gagné pour autant avant que ce numéro de haute voltige déclenche une interminable bordée d’applaudissements. Faut-il que la soprano sud-africaine aime les difficultés pour élaborer un programme composés d’airs aussi périlleux que longs, leur longueur rendant d’autant plus redoutables leurs périls. Parler de sans faute serait en commettre une. D’autant qu’aux exigences déjà présentes, la chanteuse se plait à ajouter nombre de variations qui compliquent encore la donne. Le répertoire interprété – le bel canto romantique – l’autorise. Pire, il l’exige. Les risques qu’il comporte font partie du plaisir qu’il procure. D’autres s’en effraieraient. Pretty Yende ne recule devant aucun obstacle, aucune note ne lui semble trop aiguë, fut-elle souvent prise un peu haut ou un peu bas. Ce qui pourrait passer pour une série d’acrobaties vocales réussit cependant à ne pas s’écarter du style requis grâce à un effort permanent de caractérisation. Toutes les ornementations ne sont pas justes, toutes ne sont pas bienvenues mais peu sont gratuites.
Ainsi vont ces scènes prévues par Rossini, Bellini, Donizetti à la mesure de chanteuses si exceptionnelles que la postérité les consacrera divas. Pretty Yende n’en est pas là. Son parcours est suffisamment incroyable pour ne pas déjà briguer un titre que la fraîcheur de son sourire aujourd’hui refuse. Issue d’un township, enfant de l’apartheid, bercée dès son plus jeune âge par les chants religieux, lauréate de plusieurs concours internationaux, en commençant par le Belvédère en 2009, elle est considérée en son pays comme un modèle au point d’avoir suscité de nombreuses vocations.
Point n’est besoin de connaître sa success story pour que sa personnalité suscite une immédiate sympathie. N’était sa voix charnue, riche d’une palette remarquable de couleurs et d’une étendue spectaculaire, sa détermination forcerait l’admiration. Ainsi attaquer à froid un air en français – une langue qu’elle ne maitrise pas encore – relève d’une audace proche de l’inconscience. Pourtant cette Adèle du Comte Ory mit en 2013 New York à ses pieds et on veut bien le croire à l’entendre vocaliser avec aisance et à la voir d’un regard concentré pénétrer le personnage. Rosine du Barbier de Séville : c’est cette fois le public de la Bastille qui, en février 2016, rendait les armes. Pourtant, outre les incertitudes déjà signalées, la recherche d’effet semble se limiter à l’insertion de notes stratosphériques dans une mélodie trop connue. Le vocabulaire belcantiste offre davantage de possibilités que Pretty Yende ajoutera – souhaitons-le – plus tard à sa panoplie. Linda di Chamounix, comme éteinte en début de deuxième partie, privée de trilles et d’éclat, sera alors irrésistible. Tout comme Manon devra, pour bien profiter de sa jeunesse, être toujours compréhensible.
Pour l’heure, Lucia est sans doute le rôle qui la met le mieux en valeur. La scène de la folie, non pas chantée mais vécue, en un dialogue impossible avec la flûte, galvanise le public. Fatiguée, déconcentrée, Pretty Yende chancelle ensuite dans la cabalette. « C’est toujours mieux la deuxième fois », expliquera-t-elle à la salle avant de reprendre en bis sans une faute cette fois ce « Spargi d’amaro pianto » sur lequel elle avait trébuché.
Il faut ici tirer son chapeau à Quentin Hidley, à la tête d’un Orchestre de Picardie dont on a pu trouver, dans les numéros instrumentaux, les percussions trop affirmées. Attentif, prévenant, le chef sait tout en gardant le contrôle de la partition préserver la liberté de l’interprète. La soprano, pour pouvoir donner la mesure de son talent, ne voudrait être bridée. Pour preuve, en premier bis, une « ombre légère » qu’elle anime avec brio, donnant à comprendre le dialogue entre Dinorah et son ombre au point que le public s’esclaffe comme s’il découvrait l’air, définitivement conquis. Pretty Yende reviendra à Paris la saison prochaine interpréter, toujours dans le cadre des Grandes Voix, des extraits d’opéra de Haendel et de Vivaldi. Elle est déjà attendue.