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Regula Mühlemann : Sans l’opéra je ne pourrais pas exister, je pense

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Interview
7 octobre 2022
Regula Mühlemann : Sans l’opéra je ne pourrais pas exister, je pense

Infos sur l’œuvre

Détails

L’actualité de Regula Mühlemann, c’est le CD intitulé Fairy Tales qui paraît ces jours-ci, où elle se montre dans un répertoire assez différent de celui qu’on lui connaît. Mais c’était aussi l’Euridice de Gluck qu’elle chantait au Théâtre des Champs-Elysées, dans la mise en scène de Robert Carsen et sous la direction de Thomas Hengelbrock, avec l’Orfeo de Jakub Józef Orliński.
Conversation à bâtons rompus, justement au lendemain d’une représentation… Première question évidente : comment ça s’est passé ?

Ça allait, j’ai une grippe depuis au moins trois semaines, avec une énorme toux… Chanter, ce n’est pas très facile en ce moment. Heureusement quand on chante Euridice, on n’est pas très exposé, alors ça va. Je ne profite pas vraiment du plaisir, mais le cast est magnifique, la production fantastique, donc ça va !… Je pense que le public ne réalise pas toutes ces difficultés [ici, une toux déchirante…] Il y a des phases comme ça dans la vie de chanteur, mais il faut continuer… C’est une chose magnifique de monter sur scène, de s’exposer, de prendre des risques, mais quand on ne se sent pas très bien…. (Rires)


Euridice au TCE avec Jakub Jozéf Orlínsky © D.R.

Le prétexte de cette conversation, c’est l’album Fairy Tales, qui sort en ce moment-là, avec de nombreuses pièces qui n’appartiennent pas à votre répertoire, comme si vous vouliez donner des idées aux directeurs d’opéras… Vous chantez par exemple l’Hymne à la lune de Rusalka que vous n’avez jamais chanté sur scène, il me semble…

Oui, ça me plaît de montrer différentes facettes de moi. J’ai chanté et je chante beaucoup Mozart, donc les gens pensent « Ah, elle ne peut chanter que Mozart ». Si vous chantez du baroque, c’est pareil, on vous classe baroque et c’est fini. Alors que pour moi, c’est la variété qui rend la vie d’une chanteuse intéressante. Par exemple, j’adore Verdi, je vais faire ma première Gilda à Bâle en janvier, et puis il y a le répertoire romantique qui m’intéresse beaucoup. Bien sûr que je ne chanterai peut-être jamais Rusalka. C’était possible au disque avec un petit ensemble, sinon l’orchestre de Dvořák est énorme et il faut une voix plus grande que la mienne, mais l’expérience m’intéressait.

C’est une liste de vos envies ?

Non, c’est une liste de choses qui s’accordent avec le thème des « Contes de fées ». Des organisateurs de concert m’avaient suggéré que ma voix irait bien à ce répertoire, à cause de sa couleur, de sa clarté, alors j’ai recherché la littérature musicale autour des fées et de fil en aiguille c’est un programme que j’ai donné avec cet ensemble Chaarts dans les arrangements de Wolfgang Renz.

Mais il y a là beaucoup de choses que l’on vous voit très bien chanter en scène, Titania du MIdsummer Night’s Dream de Britten, ou Nanetta du Falstaff de Verdi… Vous êtes un soprano lyrique léger, donc vouée à un certain répertoire. Est-ce que vous êtes heureuse avec cette voix-là ?

Hmm, bonne question… Au début, je n’étais pas très contente d’avoir cette voix, j’aurais préféré une voix qui ressemble à un vin rouge (rire), une voix sombre, mais un jour quelqu’un m’a dit que j’avais une voix plutôt champagne que vin rouge ! Le Guardian a écrit que j’avais le genre de timbre cristallin que vous pourriez verser sur de la glace et boire… C’est le genre de choses que les gens pensent quand ils entendent ma voix, maintenant je suis très contente de l’avoir ! J’ai commencé à aimer cette couleur, parce que je crois que c’est aussi une qualité… Il y a aussi que maintenant j’ai davantage de force, donc je peux m’intéresser à des œuvres plus grandes et par exemple au répertoire romantique, je pense à Lucia di Lammermoor par exemple, mais j’ai encore la clarté, donc je peux faire beaucoup de répertoire lyrique, j’ai les colorature, et puis au bout d’un certain temps on sait ce qui est bien pour soi, les rôles qu’on peut chanter, et ceux qu’il faut éviter.


Pamina à Salzburg. Capture d’écran

Il est sûr que les notes hautes vous les avez… Dans l’air « Vorrei spiegarvi », vous faites un saut incroyable du si au contre-ré et c’est impressionnant, mais chez Mozart ce que vous chantez souvent maintenant c’est Susanna bien sûr, et puis Pamina, que vous venez de donner à Salzburg dans une très jolie mise en scène. Susanna est écrit relativement bas, plus bas que Pamina…

Susanna, la première fois que je l’ai chantée, c’était à Genève dans la mise en scène de Tobias Richter, je l’ai chantée aussi il n’y a pas longtemps à la Staatsoper de Vienne. C’est un rôle qui est vraiment proche de mon caractère, mais il est vrai que la Pamina de Salzburg, qui était ma première vraie Pamina (je l’avais chantée une fois à Bâle) m’a montré que le rôle était vraiment parfait pour ma voix. Alors que Suzanne est un peu trop bas, et Euridice aussi ! C’est un bon training (rire) mais je pense que les qualités de ma voix sont un peu plus haut.


Susanna dans les Noces de Figaro à Genève  © Magali Dougados

Il me semble que vous êtes comme beaucoup de chanteuses qui ont la chance d’avoir une voix claire et des suraigus aisés et qui ont envie de chanter des rôles psychologiquement plus intéressants, donc un peu moins dans les hauteurs… Mais la voix évolue avec les années…

Oui, c’est vraiment rassurant de voir qu’on parvient à faire des choses qui semblaient hors d’atteinte quelques années auparavant, et c’est vraiment un des beaux côtés de ce travail.

Ce qui est frappant quand on regarde la vidéo de cette belle Zauberflöte salzbourgeoise, c’est qu’il se passe quelque chose de particulier pour vous sur scène, au théâtre, devant le public, que c’est là que vous vous épanouissez le mieux.

C’est vrai (rires), j’adore faire des disques, mais bien sûr j’adore… Comment dit-on ? Jouer ? J’aime beaucoup interpréter un personnage. En ce moment, avec Euridice, je m’engage avec mon corps entier, je trouve ça très beau. J’aime le concert et les disques, j’aime tout, mais sans l’opéra je ne pourrais pas exister, je pense. Il me semble que quand on chante en jouant un rôle, la voix gagne en couleurs, en variété, parce qu’on reste dans l’émotion. Quand on chante en récital, la mélodie par exemple, on raconte de petites histoires, mais se plonger dans un personnage pendant une ou deux ou trois heures, cela donne par exemple le courage de montrer des moments de faiblesse, et le public comprendra très bien que le personnage est bouleversé et que tout à coup il a moins de voix… La palette des émotions et des couleurs vocales s’enrichit. A part ça, la technique est la même, que ce soit au concert ou à l’opéra.

Je retiens le mot « courage » que vous avez prononcé, celui de laisser s’exprimer des choses que par pudeur on cacherait…

Oui, des choses sortent parce qu’on devient vraiment quelqu’un d’autre… Si on chante un air séparé, on peut arriver au même degré d’émotion, mais c’est plus difficile qu’à l’opéra.


Adèle dans la Chauve-Souris à Vienne. Capture d’écran

Du côté des vidéos, il en existe une de la Chauve-Souris à l’Opéra de Vienne le 31 décembre 2020, où vous chantez Adèle, et là on vous voit montrer une fantaisie ou des couleurs comiques que vous n’avez pas forcément l’occasion de montrer dans vos rôles habituels…

Ça, c’est ma nature ! Je suis comme ça ! Les rôles sérieux ou tristes, c’est un peu plus dur pour moi, mais heureusement quand on a une bonne imagination on peut tout faire. Mais il est vrai que ma nature est plus proche d’Adèle que de Pamina !

Est-ce que vous avez découvert votre voix très jeune, est-ce que vous venez d’un milieu où on faisait de la musique ? Je sais bien qu’en Suisse tout le monde chante, toute le monde ou presque fait partie d’une chorale…

J’ai commencé par le piano, à Adligenswil, à côté de Lucerne, où j’ai grandi, et puis je suis entrée dans un chœur à Lucerne et ç’a été magnifique pour moi, une révélation, mais j’avais déjà treize ans à peu près. Ma grand-mère maternelle avait chanté dans un petit théâtre dans la campagne où on faisait des opérettes en semi-professionnel. Ma mère aussi a beaucoup chanté, mais c’était plutôt des chansons folkloriques ou celles de Beatles, elle jouait de la guitare et on chantait ensemble. C’est une famille musicienne, mais pas trop du côté classique. Il y avait des disques à la maison de Bach, mais des Beatles aussi… J’écoutais de tout, pop ou classique, je n’avais pas de distance avec le classique, c’était aussi naturel d’écouter l’un que l’autre, c’est quand je suis entrée dans le chœur que j’ai pris conscience vraiment du grand répertoire. Un jour, ma marraine m’a emmenée à Opéra de Zürich voir les Noces de Figaro, j’avais quatorze ou quinze ans, et je suis tombée amoureuse de Barbarina ! Je pouvais imaginer que c’était moi, c’est la première fois que j’ai fait une projection en voyant quelque chose sur scène..

Et justement Barbarina a été un de vos tout premiers rôles ? Rôle idéal pour commencer avec Mozart : il y a le chant mais il y a aussi le personnage qu’il faut suggérer, avec sa sincérité et sa fraîcheur, alors que c’est très court…

C’est magnifique. Le rideau s’ouvre, et on est seule sur scène. C’est une grande responsabilité, c’est l’un des plus beaux airs, et ça ne dure qu’une ou deux minutes. J’ai beaucoup profité de ça. J’admire Mozart de savoir créer un personnage entier, de donner toutes ses facettes, et même si Barbarina est un tout petit rôle on a la possibilité de créer quelque chose.


Adina dans L’Elisir d’amore à Vienne © D.R.

On dit que chanter Mozart c’est ce qu’il y a de mieux pour la santé de la voix…

J’ai toujours dit qu’il est un de mes meilleurs professeurs, parce que si on le chante, et qu’on veut le faire juste, on voit ce sur quoi il faut encore travailler, la musique est tellement naturelle et honnête que s’il y a des problèmes on les sent immédiatement. Et c’est un bon travail, parce que la musique est belle, et que c’est facile de travailler avec elle. J’ai toujours profité de tous ces rôles et de tous ces airs que j’ai chantés de Mozart. J’y apprends beaucoup, pour moi, pour le rôle que je dois jouer, pour ma personnalité comme chanteuse et aussi pour la technique.

Qu’est-ce que vous voulez dire quand vous dites que sa musique est tellement honnête ?

Le mieux pour le voir, c’est vraiment dans les opéras, parce que tous les caractères y sont comme des caractères réels. Et ce sont des personnages complexes, de sorte qu’un soir on peut montrer telle facette d’un personnage, et un autre soir ou dans une autre production on peut faire voir un autre aspect. Et puis on ne peut pas se cacher. Si on compare avec d’autres compositeurs, on en voit qui créent des personnages qui ne sont pas complets. Quand on a des problèmes avec un personnage, quand il y a une tricherie, le public le sent immédiatement, c’est comme s’il y avait un coup de projecteur sur ce qui ne va pas. Mozart, dans sa musique, dans ses librettos, crée des caractères qui peuvent exister. Je connais des personnes qui sont comme ça. Il le fait ensemble avec ses librettistes. Les librettistes sont là bien sûr, mais on sent la main de Mozart.

On a parlé de Suzanne mais vous avez chanté aussi Despina, Blonde, et puis aussi Ilia d’Idomeneo avec Thomas Hengelbrock, vous avez donné deux disques d’airs de Mozart avec des extraits de Zaïde ou Lucio Silla notamment, mais tout à l’heure vous disiez que le rôle qui était le plus proche de vous c’était Pamina…

Je parlais de la tessiture du rôle, mais il est vrai que j’ai beaucoup parlé avec la metteuse en scène à Salzburg, Lydia Steier, parce que je trouve important que Pamina soit une femme forte, qu’elle sache ce qu’elle veut, qu’elle soit courageuse. On voit parfois des Pamina faibles, et même un peu ennuyeuses. Là, j’ai pu donner une Pamina qui me semble juste, en tout cas telle que mon imagination la voit, et peut-être que oui, elle était assez proche de mon propre caractère ! Un peu trop sérieuse, un peu trop compliquée peut-être ! (Rires)


Pamina à Salzburg, avec Mauro Peter © D.R.

Avec de surcroît, un de vos compatriotes en Tamino, puisque c’était Mauro Peter…

C’était drôle, oui, parce que j’ai chanté avec presque tous les ténors, mais jamais avec lui ! Et on se disait « Mais quand est-ce que ça arrivera ? » D’autant plus qu’on est tous les deux de Lucerne !

Et puis il ne faut pas oublier le Lied que vous chantez beaucoup, vous avez donné tout un disque, Lieder der Heimat où on trouve notamment Schubert, avec bien sûr Der Hirt auf dem Felsen et Auf dem Strom.

J’aime la variété dans ce que je fais. J’aime l’opéra bien sûr, mais c’est une vie dure : j’étais à Salzburg et je suis venue directement à Paris pour Orfeo ed Euridice, et puis il y a des concerts, je suis allée à Londres avec La Folia, je vais y retourner pour la Symphonie des Mille de Mahler, je vais aller à Barcelona, bref ça fait quatre mois sans rentrer à la maison. L’opéra c’est magnifique, mais c’est aussi très intensif, alors j’aime beaucoup avoir la possibilité de faire du Lied ou de la mélodie, de ne porter l’attention que sur la voix, sur la sincérité, l’intimité, de retrouver ma partenaire pianiste, Tatiana Korsunskaya, avec laquelle je travaille depuis presque vingt ans. Et pour la voix c’est une autre approche : à l’opéra il faut que la voix se projette, il faut porter son attention sur les résonances, alors cela fait du bien de ne s’intéresser qu’aux détails, aux couleurs. J’ai beaucoup aimé participer cet été à la Schubertiade de Schwarzenberg où j’ai chanté moitié Schubert moitié Schumann. Certains disent que c’est Schubert qui me convient le mieux d’autres que c’est Schumann, moi je ne peux pas décider entre les deux… J’y retournerai l’année prochaine. C’est un répertoire immense, je suis loin d’avoir tout découvert, mais j’aime aussi chanter en anglais, j’aime la mélodie française, et puis chanter Grieg en norvégien… J’aime toutes les langues.


Suzanna dans les Noces de Figaro à Zürich © Toni Suter

De quoi avez-vous envie à ce moment de votre parcours ?

J’ai très envie de faire Gilda dans Rigoletto à Bâle en janvier. La mise en scène sera de Vincent Huguet. Et je vais donner un récital qui m’intéresse beaucoup où je chanterai Lucia et Manon… Ce sont des portes qui s’ouvrent vers le répertoire du dix-neuvième siècle, Donizetti… J’ai chanté Adina de l’Elisir d’Amore, mais il y a Lucia… Ce sont des choses qu’il faut que je découvre, j’ai fait une Juliette de Gounod, mais dans un petit théâtre, alors il faut voir… Mais j’ai envie de ce répertoire, je vais faire aussi Giulietta dans I Capuleti et i Montecchi de Bellini, je suis curieuse de tout ça !

Et le baroque, vous le chantez peu ? Alors que vous avez donné sur CD un récital brillant dédié à Cléopâtre et à tous les compositeurs qui s’y sont intéressés, les Haendel, Hasse, Vivaldi… Les directeurs d’opéra ne pensent pas à vous pour le faire ?

J’ai quand même chanté l’année dernière dans Il Trionfo del tempo e del disinganno de Haendel, que Robert Carsen avait mis en scène comme un opéra. C’était le festival de Salzburg qui m’avait invitée et il y avait Cecilia Bartoli ! Mais oui, c’est comme ça, on en revient à ce que je disais au début : on vous met dans une boîte. « Elle, c’est Mozart ! » Et voilà ! Alors que moi, dans la vie, je n’aime que la variété !


La pochette de « Lieder der Heimat »  © D.R.

 

 

 

 

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