A quelques jours de la première d’Elektra au Théâtre du Capitole, Ricarda Merbeth évoque pour Forumopéra cette nouvelle production toulousaine et le rôle-titre qu’elle interprète.
Comme beaucoup d’artistes, vous faîtes un retour progressif à la scène. Quel bonheur n’est-ce pas ?
Oui, vraiment. Pendant tout ce temps de repos forcé, je n’ai fait que deux choses : essayer à tout prix de développer une pensée positive et puis travailler. J’ai beaucoup réfléchi à cette période en essayant de m’en faire ma propre idée, et par ailleurs j’ai revu des rôles. J’ai beaucoup travaillé par exemple Brünnhilde (pour Walkyrie et Götterdämmerung ; pour ce dernier opéra c’était ma prise de rôle, que j’aurais dû chanter à Paris à l’automne). La représentation n’a pas eu lieu, le streaming non plus, il n’y a eu que l’enregistrement radiophonique. Mais tout cela m’a bien occupée.
Pour le reste, je vis à la campagne, en Mecklenbourg ; j’ai un bon pianiste qui venait me voir et nous travaillions ensemble. Il y a eu bien sûr des annulations notamment mes débuts à Covent Garden en Isolde, mais j’ai continué à me produire : Elektra à Vienne en septembre, Vérone. Je referai Elektra cet automne à Vienne avec Daniel Barenboïm.
Cette nouvelle production toulousaine d’Elektra réunit une dream team !
Oui ; d’abord je veux dire que je suis très reconnaissante à Christophe Ghristi de m’avoir invitée. La première fois que je suis venue à Toulouse c’était sous Nicolas Joel (avant qu’il parte à Paris) pour Die Kaiserin de Die Frau ohne Schatten, un magnifique souvenir. Je dois beaucoup à Nicolas Joel. Je suis revenue ici pour Le Nozze di Figaro et puis Oberon. Oui effectivement, ici la distribution est palpitante, tous les rôles, ainsi que le metteur en scène Michel Fau et le chef Frank Beermann. Pour ce qui est de la mise en scène, je ne veux rien en dire, le public doit se laisser surprendre. Je n’ai rien su de la mise en scène avant de venir mais j’ai toute confiance en Michel Fau.
© Mirko Joerg Kellner
Comment chanter Elektra après tant de Chrysothemis ?
Chrysothemis a été pour moi un rôle extraordinaire, et il l’est toujours. C’est un rôle que j’ai énormément travaillé. Et je me rends compte, maintenant que je chante Elektra, que j’ai beaucoup de difficultés à m’abstraire du rôle de Chrysothemis. Cela a été pour moi la première difficulté et cela m’a pris deux ans. Une année pour « désapprendre » entièrement Chrysothemis et une année pour mémoriser Elektra. Et un jour c’est venu, j’ai remplacé dans ma tête Chrysothemis par Elektra. En comparaison, j’ai mis une année pour m’approprier le rôle de Isolde. Maintenant je sais que je ne reviendrai jamais au rôle de Chrysothemis. Mais savez-vous que dans cet opéra j’ai chanté un troisième rôle ? Celui de la Vierte Magd, c’était à mes débuts à Vienne, il y a longtemps !
Pour Elektra, j’ai beaucoup travaillé au piano le rôle pour en déceler toutes les harmoniques, me les approprier. Aussi longuement pour qu’au final, j’aie tout intégré du rôle, l’aie intériorisé, et cela avant même que je commence à en chanter les premières notes. Il y a des harmoniques d’une extraordinaire richesse dans la musique de Richard Strauss. Strauss possède tellement de couleurs dans ses rôles que c’est ceux-là que je préfère.
Ceci dit, il y encore des passages dans la partition où je dois faire attention à ne pas mélanger les deux rôles ; donc je compte parfois les temps dans les mesures pour m’aider, pas dans les passages dramatiques bien sûr mais dans les passages plus calmes. Aujourd’hui, je chante ma troisième production de Elektra, après celle notamment de Patrice Chéreau.
Elektra ne serait-il pas en train de devenir votre rôle de prédilection ?
Complètement. Je ne sais pas pourquoi en fait. J’aime beaucoup Isolde bien sûr, la Teinturière aussi que je n’ai chanté qu’en version concert. C’est d’ailleurs le seul vœu qui me reste : chanter ce rôle de la Teinturière sur scène. Un peu comme Elektra, ce rôle est parfait pour ma voix. Ces rôles ne sont ni trop graves, ni trop hauts. Au départ, n’oublions pas que je suis une soprano lyrique (j’ai beaucoup chanté Mozart).
Votre voix évolue n’est-ce pas ?
Au début j’ai beaucoup chanté Mozart ; j’ai en fait toujours travaillé plutôt les graves que les aigus ; les aigus je les ai naturellement ; en revanche les graves, il m’a fallu les travailler et du coup j’ai aussi amélioré les aigus ! Tout au long de ces 30 dernières années, ma voix s’est progressivement déplacée vers le soprano dramatique. Cette musique de Strauss me fait du bien ; elle est difficile, parfois terriblement difficile, il faut toujours faire attention, être très concentrée. Il faut être humble devant cette musique. Daniel Barenboïm m’a dit un jour : « Il faut en chantant le rôle d’Elektra se dire que… » (elle cherche la suite, ne se souvient pas puis fouille dans son sac et en extrait la partition d’Elektra, griffonnée de partout ) ; voilà il m’a dit : « il faut chanter Elektra comme si elle avait peur d’elle-même ». C’est une phrase incroyable, à laquelle je pense souvent. Mais quand je vais le revoir cet automne je lui demanderai quand même de me l’expliquer à nouveau (elle rit aux éclats). Ceci dit tous les rôles ont leur difficulté, même chez Mozart, même Daphne. Mais Elektra est certainement le rôle le plus intensif. 1h45 sur scène ! Il faut véritablement ménager ses forces et les répartir tout au long de la pièce. Par exemple il faut avoir de l’eau dans différents coins de la scène ! Là, dans cette production j’ai trouvé deux ou trois endroits où je vais pouvoir boire discrètement ! Après, il faut arriver à se détendre à certains moments pour reprendre des forces.
Il y a un secret pour réussir ces rôles ?
Le secret de la réussite c’est de ne jamais penser qu’on en a fini, que l’on sait tout du rôle ; il faut toujours tout reprendre à zéro et suivre la dynamique de la partition, en refaire en permanence une relecture critique.
Et puis, pour réussir il y a aussi mon entourage ; mon mari qui m’aide beaucoup, mon professeur, Wolfgang Milgram avec lequel je travaille depuis 10 ans, chez qui je vais régulièrement à Berlin. J’aime aller le voir : il effectue en quelque sorte un contrôle régulier de ma voix.
Des rôles difficiles, des rôles qui font encore rêver ?
Oui, Mozart : l’air de Pamina en sol mineur [« Ach, ich fühl’s »], je le chante à la maison, pour moi c’est le plus difficile pour un soprano lyrique. La Nourrice de La Femme sans ombre me fait rêver aussi ; sinon Elektra et Isolde me comblent entièrement. Pour l’italien, Turandot seulement mais je préfère en rester au répertoire allemand.
Où vous sentez-vous bien ?
Au Berliner Staatsoper où j’ai fait un remplacement de dernière minute avec Daniel Barenboïm en 2020. Pourtant je chante davantage au Deutsche Oper où j’ai de très beaux souvenirs. Sinon j’aime beaucoup Paris (Bastille et Garnier), Tokyo, Milan bien sûr et Madrid… et puis Toulouse évidemment !