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Roselyne Bachelot : « Transformer cette crise en une opportunité »

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Actualité
1 septembre 2020
Roselyne Bachelot : « Transformer cette crise en une opportunité »

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Détails

Pour cette rentrée, encore sous le signe de la pandémie, le Gouvernement a annoncé un engagement de l’Etat pour la culture absolument sans précédent, de 2 milliards d’euros dont 432 millions d’euros pour le spectacle vivant. La ministre de la Culture, Mme Roselyne Bachelot, nous a accordé un entretien pour exposer ses plans pour le sauvetage de l’art lyrique en France.


Mme Bachelot, pourriez-vous, pour nos lecteurs, développer vos ambitions pour la musique classique et le spectacle lyrique et, au premier chef, l’Opéra de Paris ?

L’Opéra de Paris a vécu une série d’événements proprement incroyable : de multiples représentations annulées à cause des mouvements sociaux, les manifestations des « gilets jaunes », la grève sur la réforme des retraites, puis le confinement, et enfin les travaux de rénovation… Il faut bien comprendre que le vaisseau amiral de la culture française qu’est l’Opéra National de Paris est en extrême danger de naufrage. Ajoutons à cela et surplombant cette affaire, un problème de transmission de pouvoir tout aussi inédit puisque Stéphane Lissner a avancé son départ au 31 décembre 2020 tandis qu’Alexandre Neef n’était attendu qu’au 1er août 2021 : donc, au moment où le bateau risque de sombrer, il n’y avait plus de capitaine ! A l’origine, il avait été prévu que Stéphane Lissner dirige à la fois l’ONP et le San Carlo de Naples où il a été nommé, et c’était tout à fait possible dans des circonstances normales, d’autant qu’il y avait les travaux de rénovation de Bastille et Garnier qui entrainaient leurs fermetures provisoires jusqu’à la fin de l’année. Dans les conditions présentes, les solutions d’intérim qui avaient pu être envisagées n’avaient plus aucun sens. Fort heureusement, chacun de mes interlocuteurs a su prendre ses responsabilités. Compte tenu de la situation, j’ai demandé à Stéphane Lissner d’accélérer son départ, et il l’a tout à fait accepté, ce dont je le remercie. Obtenir l’arrivée anticipée d’Alexander Neef était plus difficile. J’ai négocié avec le président du conseil d’administration de l’Opéra de Toronto, Jonathan Morgan, en visioconférence. La discussion a été forte, mais nous avons pu mener la négociation à bien : Alexander Neef aura toujours un oeil sur l’administration de l’Opéra de Toronto en attendant que son remplaçant soit prochainement nommé, la chose étant facilitée par le fait que la salle est actuellement fermée en raison de la pandémie. Finalement, Alexander Neef est arrivé à Paris le 17 août dernier et il est en train de s’installer avec sa famille. 

Quels moyens avez-vous décidé de mobiliser pour remettre l’ONP sur les rails ?
Evidemment l’Etat apportera un soutien financier significatif à l’ONP.  Pour que ce soutien trouve toute sa cohérence et s’inscrive dans une perspective de moyen terme, j’ai décidé de confier une mission « flash » à deux spécialistes de l’Opéra de Paris, Georges-François Hirsch et Christophe Tardieu. Georges-François Hirsch a été directeur de l’ONP par deux fois. Christophe Tardieu en a été le directeur adjoint. Tous les deux connaissent admirablement bien la maison et surtout, aiment l’Opéra de Paris. Ils ont l’expertise de la machine, sans avoir, comme on dit, les mains dans le moteur. Ce que je leur demande, ce n’est pas un audit, mais des propositions opérationnelles concrètes, avec une remise rapide de leurs conclusions, d’ici le 15 novembre.  Il s’agit de transformer ce qui pourrait être un désastre si on ne fait rien, en une réelle opportunité. Je leur ai demandé de ne pas multiplier les auditions, et de mener celles qui sont absolument indispensables.

Ce qui inclut les organisations syndicales ?
Absolument. Vous connaissez la citation de Nelson Mandela : « Ce qui est fait pour nous, que d’autres ont décidé sans nous, est en réalité contre nous. Soyons des êtres actifs ».
  
Qu’en est-il des autres lieux lyriques de France ?

C’est un point très important. Le premier ministre veut bâtir sa gouvernance sur la France des territoires. Il y a eu trop longtemps une opposition entre l’Opéra de Paris et les opéras de régions, c’est pourquoi j’ai décidé d’inviter au ministère l’ensemble des directeurs des opéras subventionnés par la puissance publique, afin d’échanger sur leurs perspectives. Je veux qu’il y ait un vrai travail d’équipe qui se mette en place, qu’il y ait davantage de porosité entre les régions. C’est pourquoi je vais également créer une mission sur l’art lyrique en France. [ cette mission est confiée à Caroline Sonrier (ndlr) ]
Il faut toutefois sortir de cette dichotomie largement fantasmée et qu’on a vu d’ailleurs à travers certains débats politiques. La pauvreté serait en région et la richesse à Paris : ce n’est pas si simple. Et puis, c’est aussi la renommée de la France que d’avoir la Comédie-Française, l’Opéra de Paris, la Philharmonie. Notre pays a besoin de cet affichage. En revanche, ces grandes institutions doivent réfléchir à développer une capacité d’entraînement au niveau national, créer des liens, diffuser dans les régions, assumer ce rôle de tête de pont d’une animation culturelle globale. Ça, c’est un vrai enjeu. 
Ce sentiment d’abandon que pourraient avoir les régions n’est pas reflété par la réalité de l’argent public qui est mobilisé. Et il y a aussi beaucoup d’institutions culturelles qui sont portées par les collectivités locales : c’est le sens même de la décentralisation. 

Peut-on profiter de la fermeture temporaire de l’ONP pour faire se produire la compagnie en région ?
C’est en effet une piste. A Paris, l’ONP peut également jouer hors les murs. Mais attention, je suis Ministre de la Culture, et je ne suis pas là pour jouer les directeurs bis à l’Opéra de Paris ! Mon rôle est un rôle de tutelle et il n’y a qu’un directeur général, Alexander Neef.

L’avez-vous rencontré et quelles sont les qualités que vous appréciez le plus chez lui ?
En général, il y a des gens flegmatiques dont on peut penser qu’ils sont dépourvus de sensibilité, et inversement. Chez Alexandre Neef, j’ai perçu la coexistence de ces deux caractéristiques : la maîtrise de soi et une très grande sensibilité. Ce sont les qualités qui conviennent dans la mission extrêmement délicate qui va être la sienne.

Les objectifs qui lui ont été confiés à sa nomination vont-ils être modifiés ?
Non, sa mission, c’est de diriger l’Opéra de Paris et de lui permettre, avec l’appui de l’Etat, de traverser les tempêtes qui sont là : tempête financière, tempête organisationnelle…  Va-t-on pouvoir rouvrir Bastille fin novembre ? Philippe Jordan pourra-il donner le Ring et dans quelles conditions ? C’est là qu’il va prendre la mesure des choses. C’est aussi à cela que va lui servir la mission « flash ». Il y aura aussi très vite la question du choix d’un directeur musical sur laquelle les discussions avancent.

L’Opéra de Paris, c’est aussi son ballet.
Je n’oublie pas le ballet, qui est l’un des trésors de l’Opéra de Paris. J’ai obtenu du conseil de défense que les normes de distanciation physique ne s’appliquent pas au ballet ainsi qu’à l’ensemble des activités artistiques de plateau pour lesquelles elles ne sont pas adaptées, moyennant bien sûr le respect des procédures sanitaires, les tests, la désinfection des locaux, etc. Il était quand même curieux que l’on puisse être autorisé à pratiquer la lutte gréco-romaine mais pas le ballet classique ! 

Il faut aussi que le public suive.
Effectivement. L’Etat peut donner de l’argent, mais si les gens ne reviennent pas dans les salles, ça ne résoudra pas le problème à long terme. D’autant que nous ne sommes plus dans ces temps où la subvention publique représentait 80% du budget et où, finalement, la billetterie était une sorte de complément : aujourd’hui, l’Opéra de Paris s’autofinance à près de 60%. La question de la confiance est donc absolument fondamentale. Nous devons démontrer aux spectateurs que leur santé est garantie dans les salles de spectacle. C’est un sujet sur lequel nous travaillons avec les professionnels, dans une vision collaborative. Je ne veux pas d’un cahier des charges qui soit un engrenage d’obligations, mais plutôt un guide de bonnes pratiques dans lequel chacun puisera ce dont il a besoin et ce qui lui correspond. Le petit Théâtre de Poche à Montparnasse n’a pas les mêmes contraintes que l’Opéra Bastille, ça ne me semble pas très difficile à comprendre. Et puis, nous regardons attentivement des expériences comme celle du Festival de Salzbourg. 
Je veux que ce travail soit fait très rapidement parce qu’il y a évidemment une grande urgence. 

Qu’en est-il du mécénat ?
On peut saluer l’action de Stéphane Lissner qui a été tout à fait remarquable sur ce sujet. Il a vraiment su dynamiser le mécénat en faveur de l’ONP. Mais les entreprises sont également très affectées par la crise actuelle, ce qui ne devrait pas être sans conséquences sur leurs contributions. Ce n’est d’ailleurs pas qu’un problème parisien. Dans toutes les entreprises de France il y a des difficultés, et le mécénat peut être une variable d’ajustement. Il y a des marges de manœuvre qui ont disparu. 

Nous avons essentiellement évoqué l’art lyrique au cours de cet entretien. Craignez-vous que votre passion pour l’opéra ne vous soit un peu reprochée par les autres acteurs de la culture ?
Je dois reconnaître que c’est un procès qui m’a été fait au départ. Ça n’a pas tenu longtemps. Je dois dire que cette question a été très rapidement réglée, tout simplement parce qu’elle ne reflète pas la réalité. Je suis une femme de culture, de toutes les cultures, et dans ma vie antérieure, j’ai toujours cherché à équilibrer mes centres d’intérêts culturels : cinéma, concerts, expositions… Surtout, j’ai le sentiment qu’il y a des oppositions qui sont factices : quand on réfléchit sur les normes sanitaires, ça concerne aussi bien les cinémas que les salles de concert ou les musées. C’est quelque chose qui fait réfléchir sur l’ensemble du système. Les enjeux sont clairement déterminés par la remarquable étude qui est récemment parue sur les pratiques culturelles des Français, et qui montre que, finalement, tous les secteurs sont concernés, et parfois même menacés. Le nombre des spectateurs de moins de 25 ans qui fréquentent les salles est passé de 38% à 27% en dix ans. Les offres numériques sont en train de bouleverser toutes les pratiques culturelles des Français : le cinéma, le lyrique, le ballet, les concerts classiques, le théâtre… Comment garder une culture vivante et pas seulement patrimoniale ? Comment faire en sorte que les grands outils culturels, l’Opéra de Paris, le Théâtre de l’Odéon, tous les établissements de région, soient en phase avec ce bouleversement des pratiques ? Comment expliquer aux jeunes habitués à  « consommer » du contenu sur Internet, que rien ne remplacera l’émotion du spectacle vivant, le fait de vibrer dans une salle de spectacle, de voir les reliefs, la pâte, d’une toile ? C’est ça l’enjeu, et c’est un enjeu global.

Le confinement a dynamisé les offres de spectacles en streaming.
Je crois qu’il faut aussi réconcilier les choses. Il y a toutes sortes de personnes qui, du fait de leur éloignement géographique, de certaines incapacités physiques, ne peuvent pas avoir accès au spectacle vivant ou aux films en salle. Le numérique n’est pas un adversaire et son offre est complémentaire. Mais il faut concilier le numérique et le spectacle vivant. Le numérique peut aussi être un premier pas avant de se décider à aller au spectacle. Le prix des places est aussi un point à avoir à l’esprit, car il peut éloigner un public, notamment populaire, qui apprécie déjà l’opéra. Il ne faut pas perdre de vue toutefois que le prix des places pour le lyrique est souvent bien moins élevé que celui de concerts de stars de rock ou de musiques actuelles qui font pourtant le plein.

Comment peut-on alors accentuer la démocratisation du lyrique ?
La démocratisation, ça s’accompagne. Ce n’est pas une simple proclamation. Ce n’est pas qu’une question de prix d’accès. On peut baisser les tarifs des salles lyriques, mais ça n’a aucun intérêt si c’est juste un effet d’aubaine pour ceux qui y vont déjà. Il faut donc s’adresser à cet autre public et lui donner envie de s’offrir une place. Il y a beaucoup de choses qui ont été faites, mais beaucoup de choses restent encore à faire. Posons-nous les bonnes questions et, là aussi, transformons cette crise en opportunité. 

 

Propos recueillis le 31 août 2020 au Ministère de la Culture.

 

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