Etrangeté du calendrier, c’est la deuxième distribution qui est affichée ce samedi soir au Teatro Communale de Bologne, alors que la presse et les spectateurs bruissent encore de la performance semble-t-il coup de poing d’Ausrine Stundyte la veille. Manuela Uhl dont le nom figure pour les brochures annuelles ne sera pas présente, une autre soprano est présentée sur les flyers trimestriels eux-mêmes démentis par le site internet du théâtre qui donne Elisabet Strid dans le rôle-titre… ce qu’une annonce devant le rideau viendra confirmer. Che confusione !
© Andrea Ranzi – Studio Casaluci
Heureusement pour la soprano suédoise, la reprise de la mise en scène de Gabriele Lavia ne présente pas de difficulté : des terrasses de terre rouge, un trou vers la citerne du prophète, une lune blafarde omniprésente en fond de scène et une direction d’acteur assez peu présente, n’était-ce cette volonté de faire écarter les jambes en quasi permanence à l’adolescente pour caricaturer le texte d’Oscar Wilde, autrement plus subtil. On pourrait s’en contenter si le monologue final ne sombrait pas dans le ridicule : le corps décapité de Jochanaan est hissé par les pieds et pendouille depuis les cintres ; le sol se craquèle pour voir émerger une tête d’homme géante en albâtre sur laquelle Salome vient se tortiller pendant 15 minutes. On cherche encore la justification ou esthétique ou théâtrale d’un tel choix.
Le drame aura migré dans la fosse où l’orchestre ne présente pas de faiblesse, héritage des années de direction Mariotti. Juraj Valcuha, jeune chef slovaque et déjà directeur de l’orchestre de la Rai et du San Carlo de Naples, joue donc sur du velours. Sa direction s’attache à caractériser chaque ambiance et à laisser chaque soliste déployer sa propre palette. Ce soin du détail ne nuit pour autant pas à la conduite de l’action. La tension flue et reflue au rythme des scènes tout comme les nuances se succèdent au gré des capacités des solistes.
Les seconds rôles ne brillent guère sans démériter : si les cinq juifs ne sont pas très caractérisés tout occupés qu’ils sont à suivre le tempo de leurs interventions, les soldats tiennent eux leurs postes avec déjà plus de conviction. Enrico Casari (Narraboth) frôle l’accident à l’aigu à deux reprises. En conséquence, il s’en remet à la seule puissance pour venir à bout de ses interventions ce qui nuit au portrait d’un jeune chef de la garde enamouré. Ian Storey lui aussi bataille ferme avec les exigences rythmiques des répliques et jappements d’Erode. La voix disparait, pour ainsi dire dans un medium réduit au sprechgesang, et ne retrouve qu’éclat et volume sur certains morceaux de phrases et à l’aigu. Il en résulte une performance à trou à peine rachetée par un charisme scénique certain. Lioba Braun présente des qualités toute inverses avec une voix égale sur toute la tessiture, puissante et au timbre juste ce qu’il faut de nasal aux extrêmes pour colorer l’hybris de la reine débauchée. Elisabet Strid affiche un registre supérieur à l’épreuve de tout. Seulement Salome n’est pas un rôle qui le sollicite tant que cela. Aussi, a-t-on l’étrange impression qu’elle passe la soirée en grenouille presque aussi grosse que le bœuf, que quelques faiblesses viennent trahir dans le médium alors qu’il lui faut rendre les armes dans le grave réduit au chuchotement et certainement pas au sol grave. Dommage car l’engagement scénique et la crédibilité de la soprano sont au rendez-vous. Au final, la vraie confirmation de la soirée on la doit à Sebastian Holecek dont on sentait bien ce que les signatures en troupe à Munich laissaient présager. Son Jochanaan possède déjà tout : puissance, souffle et moelleux jamais mis en défaut, ni par les phrases les plus longues ni par l’orchestre le plus touffu. Il surclasse le reste du plateau et ce rôle court mais éprouvant. C’est la règle que de sortir progressivement de là où l’on fait ses classes pour voler de ses propres ailes. Gageons que celle du baryton-basse autrichien le porteront tôt au tard vers le Walhalla.