Après un été 2020 silencieux, crise sanitaire oblige, les Chorégies d’Orange proposent un spectacle d’ouverture éblouissant pour leur édition 2021 avec Samson et Dalila, célébrant ainsi le centième anniversaire de la mort de Saint-Saëns. L’ouvrage n’avait guère été représenté au Théâtre antique depuis la production de l’été 1978 avec Placido Domingo et Elena Obraztsova.
Cette année, Jean-Louis Grinda a réussi l’exploit de réunir une distribution de haut vol entièrement francophone dont la diction, globalement irréprochable, permet de suivre l’action sans avoir recours aux surtitres.
Les seconds rôles n’appellent aucune réserve majeure, Christophe Berry, Marc Larcher et Frédéric Caton incarnent avec conviction et des voix assurées les trois Philistins. Dès son entrée en scène, Julien Véronèse impose un Abimélech autoritaire et sonore, Nicolas Courjal prête son timbre de bronze et ses graves profonds au vieillard hébreu. Son air « Il nous frappait dans sa colère » chanté avec ferveur et sobriété dans un silence quasi religieux, capte durablement l’attention. En Grand-Prêtre de Dagon, Nicolas Cavallier effectue une prise de rôle remarquée. Son timbre de basse, dans un rôle habituellement dévolu à un baryton, confère à son personnage toute la noirceur requise, son duo avec Dalila constitue un des temps forts de la soirée. Marie-Nicole Lemieux se montre particulièrement véhémente tout au long de cette scène qui met en valeur l’homogénéité de son timbre et la solidité de sa technique. L’étendue de ses moyens lui permet d’alterner quelques aigus acérés et puissants avec un registre grave opulent. Ses deux airs sont chantés avec goût et un style impeccable, notamment « Mon cœur s’ouvre à ta voix », subtilement nuancé. En revanche, on aurait souhaité davantage de sensualité dans son duo avec Samson, irréprochable cependant sur le plan vocal. Face à elle Roberto Alagna dont c’est le grand retour aux Chorégies dans un personnage qu’il rêvait d’incarner sur cette scène après l’avoir promené de Vienne à New-York en passant par Paris, témoigne d’une forme vocale éblouissante. Il faut dire que le rôle convient idéalement à ses moyens vocaux actuels. Dès son entrée, « Arrêtez, ô mes frères », l’auditoire est subjugué par la vaillance dont il fait preuve et l’ampleur de son medium. Tout au long du spectacle Roberto Alagna propose une incarnation subtile et fouillée qui culmine dans un air de la meule déchirant. Au salut final, sa prestation lui vaut un accueil triomphal du public local, heureux de retrouver le ténor avec une voix intacte.
Samson et Dalila. Orange 2021 © Gromelle
La production de Jean-Louis Grinda frappe par sa sobriété, le metteur en scène exploite les décors naturels du théâtre, comme par exemple les deux colonnes qui se trouvent sur la scène entre lesquelles Samson va se placer juste avant le dénouement, conduit par un angelot, sorte de messager divin présent à ses côtés dès le début du spectacle. Seuls quelques éléments supplémentaires sont ajoutés comme cette vasque dans laquelle brûle une flamme au début du deuxième acte ou au trois, ces immenses chaînes aux bras du ténor, fixées au sommet du mur. En revanche pas de meule pour Samson. En complément, de nombreuses projections vidéos habillent judicieusement le mur selon les tableaux, un ciel constellé d’étoiles pour le duo d’amour du deux, des nuages et des éclairs à mesure que la trahison de Dalila se précise et surtout l’effondrement spectaculaire de la fin de l’opéra, dû à l’ingéniosité d’Etienne Guiol et Arnaud Pottier. La direction d’acteurs, minimaliste mais efficace, est en accord avec la conception du chef tout comme la chorégraphie bien sage de la bacchanale du trois. Dans l’ensemble, les ballets échappent pour une fois au ridicule, grâce au talent d’Eugénie Andrin. Les costumes signés Agostino Arrivabene, seyants pour la plupart, évoquent tantôt les péplums tantôt les films de science-fiction.
Samson et Dalila. Orange 2021 © Gromelle
A la tête de l’Orchestre Philharmonique de Radio France, Yves Abel tire l’ouvrage vers l’oratorio en adoptant des tempi globalement lents en particulier dans le prélude, l’air d’entrée de Dalila et le ballet qui lui succède. Il dessine ainsi une arche grandiose tout en révélant les nombreuses subtilités de l’orchestration sans jamais laisser retomber la tension.
Notons également la remarquable prestation des chœurs des opéras de Monte-Carlo et d’Avignon qui ont uni avec bonheur leurs forces pour la circonstance.
France Musique retransmettra en direct la représentation du samedi 10 juillet.
France cinq diffusera le spectacle le vendredi 16 juillet à 22h10.