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Avec Samstag aus Licht, le Balcon dévoile le deuxième volet de son odyssée stockhausenienne, qui vise à présenter les sept opéras du cycle Licht d’ici 2024. Le voyage s’ouvrait en fureur, avec Donnerstag aus Licht présenté à l’Opéra comique. Pour le Samedi, c’est à la Philharmonie que revient le défi d’assurer la représentation de cette œuvre.
Quand on s’appelle Karlheinz, et qu’on pense être né sur l’étoile Sirius, on n’écrit pas un opéra comme tous les autres. Outre sa durée (une trentaine d’heures tout de même), Licht franchit définitivement les limites de ce qui nous semblait être l’art lyrique jusqu’à présent. Si Donnerstag pouvait faire émerger quelques vestiges de l’opéra « old school », Samstag casse les codes pour de bon.
La première partie a lieu dans la salle de concert (ici, la Cité de la musique). On y chante assez peu : le rôle de Lucifer est bien moins bavard qu’auparavant, celui-ci se contentant de jouer les maîtres de cérémonie, introduisant chaque action musicale. On savoure tout de même la noirceur et la profondeur du timbre de Damien Pass, à qui la figure de l’ange déchu convient tout à fait. Pour la dernière partie de cette soirée, le public est invité à se rendre dans l’église Saint Jacques-Saint Christophe, à quelques rues de la Philharmonie. Cette dernière scène (d’une heure environ) fait intervenir un chœur d’hommes, sept trombones et un orgue dans un rituel effrayant, certes, mais assez séduisant à la longue. Sur des sons tenus qui ne sont pas sans rappeler Stimmung, le Chœur de l’Armée française récite les Vertus de Saint François en rythmant le discours de percussions ou de coups de sabots au sol. Profitons-en pour signaler l’excellente qualité des solistes du chœur, qui ne disposent pourtant que de quelques mesures à peine pour mettre en avant leurs qualités vocales.
© Claire Gaby / J’adore ce que vous faites
Bien entendu, le spectacle n’est pas sans quelques longueurs, mais celles-ci sont un peu la règle du jeu chez Stockhausen. Malgré le jeu virtuose et ultra-précis d’Alphonse Cemin, le Klavierstück XIII fait trouver le temps un peu long. Plus intéressante musicalement est le « Chant de Kathinka », pour flûte seule et six percussionnistes. Dans un rituel sonore inspiré des musiques de cour japonaises, le compositeur déploie une palette de techniques flutistiques admirablement servie par Claire Luquiens.
Enfin, c’est dans la gargantuesque « Danse de Lucifer » que Maxime Pascal entre en scène, dirigeant avec toujours autant de passion l’orchestre d’harmonie du Conservatoire régional de Paris. Dans cette immense pantomime instrumentale, les interprètes sont disposés en hauteur, selon la forme du visage de Lucifer (sourcil, bouche, œil etc.). Exigeant des instrumentistes comme du chef une coordination entre jeu et geste assez inédite, c’est bel et bien un visage monstrueux et grimaçant qui ondule sous nos yeux.
La mise en scène de Damien Bigourdan, et les vidéos de Nieto viennent se greffer sur la trame scénique déjà millimétrée de Stockhausen, en soulignant les points importants du spectacle. On appréciera aussi les costumes fantasques de Pascale Lavandier, qui révèle la dimension onirique de chaque personnage.
Face à cette débauche de moyens, on ne peut s’empêcher de se poser quelques questions. Est-ce bien la musique de Stockhausen que l’on applaudit ? N’est on pas avant tout enthousiasmé par la virtuosité instrumentale des interprètes (qui jouent tous par cœur, bien entendu) ? Est-ce aussi le tour de force logistique de cette soirée que l’on salue ? Peut-être un peu des trois, n’en déplaise au compositeur.