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Samuel Hasselhorn : « un récital de Lieder est la chose la plus belle et la plus difficile qu’un chanteur puisse faire »

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Interview
16 mai 2022
Samuel Hasselhorn : « un récital de Lieder est la chose la plus belle et la plus difficile qu’un chanteur puisse faire »

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Au concours Reine Elisabeth de Bruxelles en 2018, Samuel Hasselhorn a paru, et une évidence s’est imposée : une autorité vocale naturelle faite d’un mélange fascinant de velouté et de noirceur, une expressivité farouche et violente, une technique superlative, tout cela désignait le jeune natif de Göttingen comme l’un des barytons les plus prometteurs entendus depuis longtemps. Quatre ans ont passé, autant dire une éternité. Mais ni le Covid ni la fermeture des salles n’ont entravé la marche de Samuel Hasselhorn, passé entre temps par la troupe de l’Opéra de Vienne. Après un récital consacré à Schumann acclamé par la critique, il revient avec un disque consacré à Schubert, accompagné par le pianiste Joseph Middleton et publié par Harmonia Mundi : « Glaube, Hoffnung, Liebe »*. 


Vous êtes né et avez grandi en Allemagne, que l’on regarde parfois depuis la France comme un pas où l’éducation musicale est particulièrement avancée. Comment avez-vous appris la musique ?

Je ne dirais pas vraiment que j’ai appris à « chanter », j’ai appris à faire de la musique avec ma voix et avec mon corps, et à aimer ça. Le chant à proprement parler, je l’ai appris un peu plus tard. Au départ, quand j’ai intégré un chœur d’enfants vers l’âge de 7 ans, il y avait simplement la joie de faire de la musique. Nous ne faisions rien de bien compliqué, mais c’est là que j’ai appris à aimer faire de la musique avec ma voix. Il y a un aspect social à la musique, avant que cela devienne un besoin, et éventuellement un futur métier : vous êtes avec des amis, vous passez un bon moment, avant d’être un besoin.

Quand avez-vous commencé à écouter de la musique classique ?

A cause du chœur d’enfants, j’étais en quelque sorte entouré par la musique classique. Mais je ne sortais pas énormément voir des opéras ou des concerts. Ce que j’écoutais le plus, c’était la musique chorale de Bach, que ce soient ses oratorios ou sa musique a cappella, celle de Brahms aussi. En vérité, je n’écoutais pas une quantité incroyable de musique car j’en faisais déjà beaucoup moi-même. Tout cela a pris plus d’importance vers 16 ans, quand j’ai étudié de façon plus approfondie la musique et le chant.

Généralement les carrières de chanteurs prennent leur essor grâce à une victoire à un concours important, ou après une longue expérience en troupe. Vous avez vécu les deux : votre victoire au Concours Reine Elisabeth de Bruxelles a attiré beaucoup d’attention, et vous avez également été membre de la troupe de l’Opéra de Vienne. Que vous ont appris ces deux expériences très différentes ?

Ce n’est pas évident de répondre à cette question, parce vous ne savez pas toujours pourquoi on vous appelle à tel endroit, pourquoi vous avez tel engagement. Ce qui est sûr, c’est qu’avant le concours, j’étais avant tout un chanteur de Lieder, puisque je n’avais participé qu’à deux productions d’opéra à Lyon. Alors bien sûr, les concours aident énormément : vous avez un jury de professionnels qui vous écoute, des directeurs d’institutions dans la salle… C’est comme faire une grande audition devant plein de personnes à la fois. Et plus le concours est important, plus cet effet est amplifié. Dominique Meyer m’a ensuite proposé de rejoindre la troupe de l’Opéra de Vienne, où j’ai pu chanter dans beaucoup de productions. Je pense que je suis encore au début de mon apprentissage de l’opéra. J’ai maintenant davantage d’expérience, parce qu’en deux saisons à Vienne vous chantez énormément et apprenez beaucoup de rôles, environ 25 rôles pour moi en comptant les fois où j’étais une doublure. Finalement, je pense que la combinaison du concours et de la troupe s’est avérée idéale pour moi.

Le fonctionnement d’un théâtre de répertoire comme l’Opéra de Vienne est très exigeant pour les chanteurs en troupe : peu de répétitions, de courtes séries de représentations qui s’enchaînent vite… Comment vous êtes-vous adapté à cet environnement ?

J’ai déjà appris que j’étais capable de le faire ; il est vrai que ce fonctionnement ne peut pas convenir à tout le monde. La question n’est pas de savoir si ce mode d’organisation est bon ou mauvais, mais si vous pouvez vous y adapter, et faire vos débuts dans un rôle important après seulement quatre jours de répétitions, en découvrant l’orchestre le soir de la première, lorsque vous êtes sur scène. Cela vous demande d’avoir confiance en vous et en ce que vous faîtes. J’ai beaucoup appris, mais parce que j’avais envie de me développer, pas seulement comme chanteur mais aussi comme artiste, j’ai aussi senti au bout de deux saisons que j’avais besoin d’autre chose. Par exemple, j’ai chanté à Vienne mon premier Barbier de Séville après quatre jours de répétitions. Or, je pense que c’est un rôle qu’il vaut mieux chanter au bout de cinq semaines de répétitions, pour avoir le temps de bien cerner le personnage et de sentir comment la partition s’intègre à votre corps et à votre voix, faute de quoi vous vous retrouvez sur scène en vous disant : « j’aurais dû faire ce passage différemment » ou « mince ! pourquoi je me sens fatigué après cet air ? », etc. Comme dans tous les sports, il est important de savoir à quel moment vous devez tout donner et quand est-ce que vous pouvez vous économiser un peu. Les répétitions sont essentielles pour cela : essayer des choses, progresser. C’est pour cela que j’ai quitté la troupe de l’Opéra de Vienne afin de me concentrer sur des projets avec des rôles que j’aurais le temps d’approfondir, dans lesquels je pourrais pleinement m’exprimer, sans être sous la pression parce que la première est dans trois jours et qu’il s’agit simplement d’être correct et de ne pas se planter.

Le monde du Lied, vous le disiez, était votre terrain principal au tout début de votre carrière. Or, ce monde peut sembler plutôt austère, comparé à celui de l’opéra. Comment l’avez-vous découvert ?

J’ai en quelque sorte plongé dedans en découvrant vraiment ma voix, vers 15 ou 16 ans. Mon professeur m’a alors fait écouter un enregistrement de Bryn Terfel et Malcolm Martineau dans des Lieder de Schubert, et également quelques mélodies anglaises. J’ai été fasciné par cette capacité à créer des moments magnifiques, juste avec un piano et une voix. C’était à la fois simple et superbe, et si coloré, si imaginatif. Je pense qu’un récital de Lieder est la chose la plus belle et la plus difficile qu’un chanteur puisse faire : tout repose sur vous, vous n’avez pas la possibilité de sortir de scène comme à l’opéra. Et même sur scène, vous ne bougez pratiquement. Vous êtes debout et vous chantez, c’est à la fois naturel et très difficile de conserver cette posture. Je dois aussi dire que je suis tombé amoureux des textes grâce aux Lieder. A l’école, je n’étais pas passionné par les poèmes, mais en chantant des Lieder, mon regard sur eux a changé.

En Allemagne, il y a quelques modèles emblématiques de Liedersänger… dans quelle mesure vous ont-ils inspiré ?

C’est une question difficile… J’ai bien sûr beaucoup écouté les enregistrements de ces chanteurs, et continue de le faire. Mais je dois trouver ma propre voie dans ces pages, et il m’arrive d’y préférer des chanteurs qui ne sont pas allemands. Comme je vous le disais, j’ai aimé Schubert grâce à Bryn Terfel, à sa sensibilité et son attention aux mots, bien qu’il ne parle pas couramment l’allemand. Quand il chante, vous avez l’impression d’entendre son âme. A contrario, on peut penser que des artistes allemands pourraient comprendre les textes plus aisément, mais je ne suis pas certain de m’inscrire dans une tradition bien précise de Liedersänger. D’ailleurs, cette tradition n’est pas évidente à caractériser : Dietrich Fischer-Dieskau et Hermann Prey étaient très différents, comme le sont, aujourd’hui, Matthias Goerne et Christian Gerhaher. Ils sont tous excellents et profondément originaux, mais je ne me vois pas essayant de copier l’un d’entre eux.

Dans le livret de votre nouvel album, « Glaube, Hoffnung, Liebe », vous parlez de cette nécessité, selon vous, d’exprimer la sensibilité et la théâtralité de ces pièces plutôt que d’en livrer une version qui serait trop analytique. Beaucoup de chanteurs semblent en effet inhibés par ce répertoire.

Pour moi c’est important d’être très naturel. Quand Schubert a écrit toutes ces pièces, il les jouait ensuite dans des salons avec quelques amis. Ils devaient essayer des choses et d’autres. Je ne suis pas sûr qu’il n’y avait là que des intellectuels qui pesaient le sens de chaque mot. C’étaient des fêtes pendant lesquelles ils mangeaient, buvaient, discutaient, et faisaient de la musique. Il faut que la musique emporte l’âme, le corps, et pas seulement le cerveau. Vous entendez une œuvre qui vous procure une émotion, et vous n’avez pas à vous demander si cette émotion est juste ou fausse, vous la ressentez, tout simplement. C’est ce que j’essaye de faire à mon tour quand je chante devant un public. Au fond, ces pièces sont très actuelles, et parlent de choses qui peuvent toucher un public contemporain. Ce sont des pièces au fond simples et très naturelles, qui parlent de choses fondamentales. Et dans un monde où la télévision, les réseaux sociaux, vous disent sans arrêt ce qu’il convient de faire ou de ressentir, il me semble que c’est important de remettre au premier plan cette forme de naturel et de simplicité, qui laisse plus de champ à l’interprétation. Une fois, après un Winterreise, j’ai dîné avec quatre personnes qui étaient au concert et qui avaient toute une opinion différente de ce qui arrive au narrateur à la fin : est-ce qu’il meurt ? est-ce qu’il poursuit son errance ? avec ou sans le joueur de vielle ? C’est intéressant de constater que plusieurs personnes ayant assisté à la même interprétation le même jour aient des avis différents sur l’œuvre qu’ils viennent d’écouter. Et moi-même, en tant qu’interprète, je peux évoluer et changer de regard sur une œuvre entre deux représentations. C’est important de laisser libre cours à tout cela.

L’album s’intitule « Glaube, Hoffnung und Liebe » (Foi, Espoir et Amour), d’après un des Lieder de Schubert qui y figure. Mais il y a parfois des mots plus sombres qui viennent à l’esprit quand on pense à Schubert : la mort, la tristesse, la solitude,… Avez-vous voulu montré un visage lumineux de Schubert dans cet enregistrement ?

Oui et non ! J’ai choisi ce titre, bien sûr en référence au Lied éponyme, mais également parce qu’il y a beaucoup de choses horribles qui surviennent, le Covid, la guerre en Ukraine, j’avais envie de mettre en avant des choses positives. Il y a plein de Lieder dans ce récital qui sont sombres, et pour prendre l’un des plus noirs, « Erlkönig », il y est également question d’amour, l’amour du père pour son fils. Dans une autre pièce, « Die blinde Knabe », la foi et l’espérance ont une grande importance. Comme dans la vraie vie, il n’y a jamais rien qui soit totalement négatif ou totalement positif dans les Lieder de Schubert. Mais aujourd’hui, j’ai peut-être envie d’inciter le public à se concentrer sur ce qu’il peut y avoir de positif, dans ces œuvres et dans le monde.

Cet album se termine par un mélodrame, « Abschied von der Erde », qui est accompagné au piano mais ne contient aucune indication concernant le diseur. Comment avez-vous travaillé cette pièce, notamment avec votre pianiste Joseph Middleton ?

C’est étrange pour un chanteur de parler, tout simplement, dans le cadre d’un monologue assez long, ce qui est encore très différent des dialogues que l’on peut trouver dans des opéras. Cela demande beaucoup de réflexions et d’essais, notamment sur la façon de commencer et de terminer ses phrases, mais ça offre aussi beaucoup de liberté dans l’interprétation. Il faut donc essayer plusieurs choses, jusqu’à ce que le résultat paraisse naturel. C’est un travail intéressant, que l’on n’a pas l’occasion de faire très souvent. J’ai choisi de le mettre sur la dernière piste car il apporté, justement une forme de positivité et d’optimisme, et il constitue à cet égard une bonne conclusion pour l’album.

Votre précédent album, « Stille Liebe », était dédié à Schumann, celui-ci se consacre à Schubert. Qu’est-ce qui différencie, selon vous, Schubert et Schumann ?

La plus grande différence entre Schubert et Schumann, pour un chanteur, est que Schumann a écrit sa musique de façon beaucoup plus romantique et que cela se ressent sur ses partitions : on y trouve beaucoup d’indications sur les accélérations et ralentissements de tempi, sur les nuances expressives, ce qui laisse beaucoup de libertés aux interprètes. Schubert s’apparente davantage aux compositeurs classiques, laisse moins de liberté et est, à mon sens, plus difficile à jouer, car il laisse moins de marge de manœuvre aux interprètes.

Si vous décidiez que votre prochain album soit de nouveau consacré à 100% à un compositeur, ce serait lequel ?

Je suis en ce moment sur un projet au long cours consacré à Schubert, qui va nous mener jusqu’au bicentenaire de sa mort, c’est-à-dire en 2028. Entre 2023 et 2028, nous publierons chaque année un album composé de mélodies écrites 200 ans plus tôt, c’est-à-dire de 1823 à 1828. Ce cycle, qui explorera les dernières années de Schubert à travers ses créations, se terminera notamment avec Winterreise, puis Schwanengesang.

En dehors de ces enregistrements, quels sont vos projets ?

Je vais essayer de garder un bon équilibre entre les opéras, les récitals et les concerts. Je vais notamment accompagner Waltraud Meier, sur une longue tournée, qui est en quelque sorte sa tournée d’adieux, et je suis très heureux d’y participer. Je vais chanter plusieurs rôles à Nuremberg, à Berlin, à la fois à la Staatsoper et à la Deutsche Oper, notamment pour mon premier Wolfram, que j’aurais dû chanter à Rouen, mais les représentations avaient été annulées à cause de la pandémie. Je reviendrai également en France et en Belgique pour des concerts à Paris, à Aix-en-Provence, à Bruxelles. Il y aura beaucoup de Schubert, de Schumann et de Mozart au programme. J’essaye de favoriser la diversité des répertoires tout en choisissant les rôles et les pièces qui arrivent au bon moment pour ma voix.

Propos recueillis et traduits par Clément Taillia

*« Glaube, Hoffnung, Liebe », de Samuel Hasselhorn (baryton) et Joseph Middleton (piano)
disponible depuis le 6 mai chez Harmonia Mundi, 

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