Premier Prix au Concours Corneille 2021, la soprano Israélienne apparaît comme l’un des jeunes talents les plus incontestables de sa génération.
Comment avez-vous personnellement vécu la période de la pandémie ? Quelles conséquences sur votre travail ?
Du point de vue professionnel, j’ai fait partie des privilégiés. Du mois de mars au mois d’août 2020 j’étais à la maison à me croiser les doigts tout en continuant à toucher mon salaire de l’Opéra de Wiesbaden. Ensuite, il y a eu quelques semaines à l’entame de l’automne pendant lesquelles nous avons été autorisés à nous produire sous certaines conditions. Je suis alors retournée à Wiesbaden comme invitée pour chanter Musette dans La Bohème. Des deux représentations données avant le nouveau lockdown, la seconde a dû l’être dans des conditions incroyables : parce que les tests PCR n’étaient pas revenus à temps, nous avons dû chanter avec masques, ce qui constitue à ce jour l’une des choses les plus dures qui me soient arrivées sur scène.
Après être restée à la maison pendant à peu près cinq mois, j’ai fait l’une ou l’autre audition. Ensuite, début mars 2021 j’ai pu retourner au travail. Les répétitions du Tour d’écrou à l’Opéra National de Lorraine furent autorisées. Étrangement, la production débuta au moment précis où elle était prévue deux ans auparavant. Cet opéra a été composé pour six solistes est treize instrumentiste, une formation idéale pour la pandémie. Nous avons été très chanceux que cette œuvre soit inscrite à nos calendriers. Quand il devint clair que le public ne serait pas admis dans la salle, le directeur de l’opéra, en accord avec l’équipe du metteur en scène, ont décidé que la production serait filmée et présentée sur certaines plates-formes à travers le monde.
Depuis lors, je n’ai pas vraiment cessé de travailler. Les auditions sont redevenues possibles et peu après, les festivals d’été sont revenus. J’ai eu la chance de chanter un tout petit rôle dans Rigoletto sur la Seebühne de ce qui semble être la production la plus discutée du fantastique Bregenzer Festspiele. J’ai également remplacé une collègue malade pour chanter La Création de Haydn avec les Wiener Symphoniker et le maestro Andrès Orozco-Estrada. Après cela, il s’est passé une chose que je n’imaginais que dans mes rêves les plus fous : j’ai participé au Concours Cesti à Innsbruck, en Autriche et je l’ai remporté. Un mois plus tard, j’ai remporté un autre premier prix au Concours Corneille en Normandie. Ces événements, qui sont devenus réalité, n’ont pas seulement été très satisfaisants sur le plan émotionnel, mais ils m’ont aussi assuré que ma vie professionnelle post-pandémie serait assurée et active pendant un certain temps.
Sur le plan personnel, je dirais honnêtement que je n’ai pu voir que rétrospectivement à quel point c’était difficile et quel impact cela a eu sur mon esprit, d’être éloignée de la scène pendant si longtemps. Sachant la chance que j’avais d’avoir déjà construit une carrière avant la pandémie et d’être relativement à l’abri financièrement (du moins pour les premiers mois), j’ai décidé de me concentrer sur le positif, de croire aux fins heureuses et d’attendre que les choses soient à nouveau sûres. J’avais l’impression de flotter. Je ne faisais pas de grands mouvements dans une direction quelconque. J’ai très peu travaillé, j’ai passé beaucoup de temps avec mon compagnon et je n’ai pas laissé s’installer la peur de tout perdre pendant plus d’un jour ou deux. Je pense que j’étais dans le déni. Au moment où j’ai été autorisée à remonter sur scène pour une audition, cela m’est tombé dessus. J’étais tout d’un coup si peu sûre de moi. La scène, qui m’était apparue comme un espace si sûr auparavant, un espace que je connaissais si bien et où j’étais en grande confiance, m’a soudain semblé redevenir ce qu’elle était au début de mes études. Gênante, effrayante, inconnue, et tout cela a fait chuter ma confiance et mon assurance. Cette audition ne s’est pas déroulée de manière horrible, mais elle ne s’est pas non plus bien passée et ce qui m’a le plus effrayée, c’est que je n’étais même pas capable de savoir comment ça s’était passé avant de recevoir le feedback. À partir de là, j’ai essayé de transformer mon besoin d’avoir un but en écrivant le livret d’un opéra pour enfants (qui sera joué en Israël dans un an environ), et j’ai essayé de sentir que j’avais à nouveau le contrôle de ma vie, de sorte que si personne ne voulait m’engager à nouveau et si j’avais vraiment « perdu la main », je ne serais pas totalement en situation d’échec, ni malheureuse.
J’admets que les mois suivants ont été durs mentalement. Les quelques auditions que j’ai passées ont fait ressortir mes peurs et le fait de remonter sur scène est passé de ce que je préférais à ce que je craignais le plus. J’ai essayé d’en parler avec les personnes dont je me sentais proche et j’ai demandé l’aide d’un coach mental pendant un certain temps. Tout cela a été un bon soutien immédiat et important, mais à long terme, la chose qui m’a le plus aidée et remise sur les rails (et même plus haut qu’avant), c’est d’être à Bregenz. C’est la combinaison brillante de travailler autant (28 représentations en un mois) et de me sentir appréciée et vue qui m’a redonné confiance et m’a permis de briller sur scène. C’est avec ce sentiment que j’ai remporté les deux concours et que j’entre dans la prochaine phase de la pandémie, celle où nous apprenons à vivre avec elle.
Avez-vous tiré des enseignements particuliers de cette période, d’un point de vue personnel ou artistique ?
Il m’a été prouvé une fois de plus ce que je savais déjà : aucune profession ne me correspond mieux que celle-ci. Avec tous ses hauts et ses bas, tant que je peux être sur scène, être en répétition avec des personnes partageant les mêmes idées, créer et raconter des histoires, je suis heureuse. Je peux prendre plaisir à faire d’autres choses aussi, mais ce niveau de satisfaction ne peut apparaître qu’en travaillant sur une production ou en y participant. Je suis peut-être un peu naïve, mais je veux croire que voir le positif dans les choses n’est pas irréaliste. Je suis une personne très privilégiée, pour de nombreuses raisons, et peut-être que cela me permet de continuer à croire que nous ne serons jamais forcés de quitter la scène pour toujours. Je crois que la flamme sacrée brûlera en nous pour créer, même si certaines personnes placent les arts au bas de la chaîne alimentaire, il y a suffisamment d’humains qui en ont envie et pour eux, nous sommes là pour toujours.
Comment abordez-vous la période post-pandémique ? Quels sont vos projets et souhaits en tant qu’artiste ?
Tout en gardant un espoir prudent, je suis extrêmement excitée et je suis émotionnellement prête à ce que cette saison se poursuive comme elle a commencé pour moi ! Mes projets à venir comprennent Le Journal d’Anne Frank au Teatro Regio di Torino, où je ferai mes débuts dans le rôle-titre, Solomon de Händel à Utrecht et au Concertgebouw avec l’Orchestre symphonique et le Chœur de la Radio néerlandaise et Peter Dijkstra qui dirigera, et Susanna dans Le Nozze di Figaro à l’Opéra d’Israël. Puis, en été, je jonglerai avec deux productions, l’une au festival de Znojmo et l’autre à l’Innsbrucker Festwoche