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HAENDEL, Silla — Halle

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Spectacle
4 juin 2016
Italians can do it better

Note ForumOpera.com

3

Infos sur l’œuvre

Opéra en trois actes sur un livret de Giacomo Rossi

Peut-être créé dans le cadre d’une représentation privée au Queen’s Theater (Londres) le 2 juin 1713

Détails

Mise en scène

Stephen Lawless

Décors et costumes

Frank Philipp Schlößmann

Vidéo

Anke Tornow

Dramaturgie

André Meyer

Lucio Cornelio Silla

Filippo Mineccia

Metella

Romelia Lichtenstein

Lepido

Jeffrey Kim

Flavia

Ines Lex

Claudio

Antigone Papoulkas

Celia

Eva Bauchmüller

Scabro / Il Dio

Ulrich Burdach

Händelfestspielorchester Halle

Direction

Enrico Onofri

Opéra de Halle, dans le cadre du Händel-Festspiehle Halle, 4 juin 2016, 19h30

Ecrit dans la foulée de Teseo et probablement pour les mêmes solistes, Silla aurait été donné en l’honneur du nouvel ambassadeur de France, le 2 juin 1713, au Queen’s Theater loué pour l’occasion. Mais rien n’est moins sûr… Hormis des concerts à Cologne, Halle (1993), Londres (2000) – lequel fit l’objet du seul enregistrement intégral de l’œuvre – et Rome (2004), il n’a connu que deux productions scéniques, à Paris (1990) et Karlsruhe (2004). Espérons qu’il connaisse, grâce au zèle du Händel Festspiehle de Halle, un regain d’intérêt, car, nonobstant d’indéniables carences dramaturgiques, il le mérite à plus d’un titre.   

Le pire livret jamais mis en musique par Händel, une construction maladroite et incohérente, une caractérisation invraisemblable, un rôle-titre ridicule… Winton Dean n’a pas de termes assez durs pour épingler les faiblesses de Silla. Et Anthony Hicks d’asséner le coup de grâce : la réutilisation d’un matériau substantiel dans son nouvel opéra, Amadigi, démontre que le compositeur lui-même ne considérait guère Silla que comme « une pièce d’occasion », autrement dit une œuvre de circonstance qui n’était pas digne d’être remontée. Le spectacle créé en 2015 dans le cadre du Händel Festspiehle de Halle et repris cette année tiendrait-il alors du miracle ? Généralement fidèles à la partition et infidèles seulement par amour du théâtre, Stephen Lawless et Enrico Onofri rendent justice aux éclairs de génie qui émaillent Silla et nous invitent à nuancer, voire à contester le bien fondé de certaines critiques. La rareté de l’ouvrage et cette louable tentative de réhabilitation justifient que nous nous y arrêtions davantage que sur une énième production de Rinaldo ou de Giulio Cesare.

Giacomo Rossi s’appuie sur Plutarque pour dépeindre l’ascension, les crimes et turpitudes de Lucius Cornelius Sulla – ou Sylla – (138 -78 AC), général et homme politique romain dépravé et dévoré par l’hubris. Après avoir défait les troupes de son rival Marius, le consul fait une entrée triomphale à Rome et s’autoproclame dictateur à vie, au grand dam de son épouse Metella et de son ami, le tribun Lepido. Sylla harcèle également, au vu et au su de tous, la compagne de Lepido, Flavia, ainsi que Celia, la fille d’un de ses lieutenants, secrètement amoureuse du chevalier Claudio, ennemi juré du tyran. Obéissant aux ordres d’une divinité qui lui est apparue en rêve, Silla massacre des réfugiés pris au piège dans un temple. Résolu à anéantir tous ceux qui lui font obstacle, il fait emprisonner Flavia, qui se refuse toujours à lui, ainsi que Lepido avant d’ordonner à son favori, Scabro (rôle muet), de poignarder ce dernier et de jeter Claudio aux lions. Ils ne devront leur salut qu’à l’intervention de Metella, dont Scabro est également le serviteur. Après une ultime et vaine tentative de séduire tant Flavia que Celia, à qui il annonce la mort de Claudio, Silla décide de se retirer en Sicile, mais il réchappe de justesse au naufrage de son navire et, pris de remords, fait acte de repentance.

Desservi par une structure fragile et des personnages souvent à peine ébauchés, Silla manque assurément de cohésion et de lisibilité. Toutefois, certains épisodes recèlent un vrai potentiel dramatique : le songe de Silla, la terreur de Celia qui croit entendre le fantôme de Claudio ou encore le désespoir de Flavia en prison, convaincue qu’elle ne reverra jamais Lepido. En outre, Silla se révèle une figure passionnante, ambiguë, mais sans doute trop complexe pour les esprits manichéens. Ainsi Winton Dean juge la brève et délicate aria où il implore le dieu du sommeil d’apaiser sa douleur, après que Flavia et Celia l’ont éconduit, complètement incongrue dans son chef. Pourquoi vouloir le réduire à une brute épaisse ? C’est précisément cette vulnérabilité qui rend Silla beaucoup plus intéressant que nombre de créatures trop uniment malfaisantes. Difficile également pour l’éminent chercheur de « gober » (dixit) le repentir du despote à la fin de l’opéra ; sauf que son modèle, le véritable Sylla, a lui-même abdiqué, peu de temps après s’être arrogé les pleins pouvoirs, des historiens émettant l’hypothèse qu’il aurait senti le vent tourner. Rossi s’en fait justement l’écho, puisque dans l’opéra, l’autocrate, écrasé par ses responsabilités, a également appris que les partisans de Marius (son ancien rival) étaient prêts à se soulever contre lui. Or, cette mauvaise nouvelle, il la tient de Metella, dont l’indéfectible attachement a pu également lui ouvrir les yeux, sa douleur stoïque lui inspirant d’ailleurs des remords. Bref, les contempteurs de Silla semblent avoir un peu vite jeté le bébé avec l’eau du bain…


Ulrich Burdack (Scabro), Antigone Papoulkas (Claudio), Romelia Lichtenstein (Metella), Filippo Mineccia (Silla), Jeffrey Kim (Lepido), Eva Bauchmüller (Celia) © Falk Wenzel, Theater Oper und Orchester GmbH Halle

Souvent perçu, et à raison, comme un poncif de la mise en scène contemporaine, la transposition de l’action sous un régime totalitaire des années 30 retrouve ici toute sa pertinence et sa force d’évocation. Alors qu’un habile montage incruste les chanteurs dans de vieilles actualités cinématographiques pour évoquer le triomphe de Silla – « déjà vu », siffleront les blasés en manque d’originalité, oui, mais le plus important, c’est que la proposition fonctionne –, les décors s’habillent eux aussi d’un noir et blanc oppressant, où seuls un billard et les soieries de robes du soir apportent une touche de couleur, mais au luxe glacé. Ce choix scénographique a l’avantage de contourner les difficultés, insolubles, posées par des effets spectaculaires probablement conçus pour les machineries du Queen’s Theater : le char tiré par des dragons à bord duquel surgit le dieu sanguinaire du II ou la tempête qui, au III, engloutit le vaisseau de Silla, des passages dont, par ailleurs, la musique n’a pas survécu, Händel ayant peut-être envisagé de reprendre des pages antérieures.

Le vrombissement de bombardiers, autre projection vidéo réussie, se substitue au tonnerre plusieurs fois sollicité par les didascalies et une tentative d’assassinat par noyade remplace le tableau maritime, prêtant aux victimes de Silla une pulsion vengeresse absente du livret. Hormis cette licence, discutable, Stephen Lawless ne supprime qu’une poignée de récitatifs et réussit, de concert avec Enrico Onofri, ce qui s’apparente à un tour de force : atténuer les solutions de continuité et fluidifier l’enchaînement des fragments au travers d’un élan irrépressible, celui d’une course à l’abîme, vertigineuse, à l’image des mouvements giratoires du plateau et des protagonistes qui le traversent fiévreusement en passant d’une pièce à l’autre. Silla file d’une traite, sans entracte, manière d’OVNI, tantôt déroutant, tantôt stupéfiant, qui dure moins de deux heures.  

La composition n’aligne certes pas que des pépites – la partie de Lepido se voit ainsi cantonnée à une virtuosité gratuite et routinière – et certaines idées musicales auraient pu être mieux développées, mais les haendéliens en reconnaitront un certain nombre que le Saxon devait quand même tenir en estime, puisqu’il les a réutilisées dans Amadigi et, dans une moindre mesure, Radamisto. Tout est une question de perspective, n’en déplaise à Anthony Hicks… Déjà admirés la veille dans Sosarme, les instrumentistes du Händelfestspielorchester Halle semblent galvanisés par Enrico Onofri. L’ex star d’Il Giardino Armonico offre à cette partition inégale, à la charpente précaire, exactement ce dont elle a besoin : non pas seulement un souffle salutaire et de vigoureux contrastes, mais également une intelligence du théâtre et des affects qui dans ce répertoire, aujourd’hui comme hier, fait encore souvent défaut aux chefs anglo-saxons. Il faut entendre Onofri phraser et respirer sur le lancinant lamento de Metella « Io non ti chiedo » (II, 16), exaltant l’expressivité des rythmes pointés et lui conférant une ampleur inédite par rapport à la lecture scrupuleuse et sans imagination de Denys Darlow à la tête du London Handel Orchestra en 2000.

Si elle semble d’abord fatiguée et en retrait, il apparaît bien vite que Romelia Lichtenstein a tout ce qui sied à Metella : la noblesse du port, de l’étoffe, des accents. Artiste en troupe à Halle, le soprano bulgare chantait aussi bien Despina que Leonora ou Adriana Lecouvreur cette saison, toutefois, Metella rejoint une belle galerie d’héroïnes haendéliennes (Rodelinda, Alcina, Romilda, Alceste, …) et elle n’a certainement pas volé le Händel-Preisträger que la Ville de Halle vient de lui décerner après avoir couronné Philippe Jaroussky, Magdalena Kozena ou Cecilia Bartoli. Crâne rasé et maquillage luciférien, Filippo Mineccia (Silla), occupe tout l’espace et déploie un jeu très physique qui rend ses menaces quasi palpables, quoi qu’il ne surjoue pas le sadisme et sache fendre l’armure, mais c’est d’abord son chant, très incarné et paré de vertus rarement réunies chez un contre-ténor, qui nous emporte. Nous sommes en premier lieu séduit par la rondeur du timbre, sombre et d’une richesse que nous n’avions plus rencontrée depuis Gérard Lesne et Max-Emanuel Cencic, et ensuite par la franchise, la puissance de l’émission, alliée à une parfaite intelligibilité du texte, des qualités que possèdent rarement les falsettistes cisalpins. Seul regret, inévitable, la brièveté du rôle nous laisse sur notre faim.

Principalement élégiaque et tourmentée, mais sans doute un peu grave pour le soprano d’essence légère d’Ines Lex, Flavia sollicite par contre moins une souplesse mise à mal la veille en Elmira (Sosarme) et nous permet d’apprécier la sensibilité de la musicienne comme de l’actrice. Sopraniste ductile, sonore et sans la moindre acidité, Jeffrey Kim (Lepido), après quelques cabrioles superficielles en solo, se tire avec honneur de superbes duos avec Ines Lex, en particulier « Ti lascio », ultra court et d’autant plus saisissant Adagio où les amants se disent adieu. Celia n’a que deux airs et, en vérité, un seul digne d’intérêt : « Sei già morto », plainte délicate et impeccablement servie par Eva Bauchmüller. Travesti ravissant et parfaitement crédible, Antigone Papoulkas (Claudio) doit malheureusement lutter contre un organe rétif, mezzo en mal de focus et instable dont la vocalisation laborieuse nous donne le mal de mer (le vaste « Con tromba guerriera » avec trompette en paraît interminable). Clichés (ou fantasmes ?) obligent, nous nous attendions à ce qu’une voix de stentor sorte d’Ulrich Burdack (Scabro/Il Dio) mais, sans pour autant démériter, l’impressionnant colosse prête une basse plutôt claire et svelte au dieu qui visite l’antihéros en songe.

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