Le chant s’est-il mieux porté que de nos jours ? Il est permis d’en douter, tant l’abondance des jeunes chanteurs que leurs qualités nous rassurent quant à la pérennité de l’art lyrique. L’observation est générale, et se confirme au fil des concours, dont le niveau d’exigence ne cesse de croître. Ainsi, les finalistes, quels que soient les règlements propres à chaque compétition, se signalent-ils le plus souvent par des CV impressionnants, ayant déjà glané des récompenses couronnant des formations riches et de très haut niveau, mais aussi par un début de carrière réjouissant.
Ceux du Concours international de chant baroque de Froville ne dérogent pas. Les six finalistes – une soprane et une mezzo, deux contre-ténors, un ténor et un baryton – ont déjà le pied à l’étrier, voire se sont déjà signalés au travers de productions et d’enregistrements remarqués. Fait rare : les hommes y sont majoritaires.
Pour cette dixième édition, les candidats extra-européens furent peu nombreux, mais la soixantaine de postulants a permis à ces six élus de rivaliser de talent et d’engagement pour accéder aux récompenses. Nouveauté bienvenue, la finale s’est déroulée avec le Concert de l’Hostel-Dieu, formation fidèle à Froville, dont le chef n’est autre que le président du concours, Franck-Emmanuel Comte, auquel la fonction a interdit toute intervention avec ses musiciens. Il était assisté de deux directeurs d’opéra (Mathieu Dussouliez et Mathieu Ritzler, Nancy et Rennes), d’Anaïs Bertrand, 1er prix du concours de 2018, et de Charlotte Blin, en charge du Jardin des Voix, à Thiré.
Le règlement de la finale imposait aux candidats le choix de trois œuvres (une de Bach, une de Vivaldi ou Haendel, un air du XVIIe siècle anglais ou italien). Floriane Hasler, mezzo de 27 ans, emporte le premier prix. Voix d’exception, sonore, colorée de l’irisation aux accents les plus puissants, aux graves aisés et solides, conduite avec la plus grande intelligence musicale, nous avons là une belle promesse. En attendant sans doute Elektra d’ici quelques années, elle nous a gratifiés d’une Didon poignante (celle de Purcell), les traits, la virtuosité, la projection étant illustrés magistralement dans un air de l’Orlando furioso de Vivaldi. C’est par le « Vergnügte Ruh » qui ouvre la cantate BWV170 de Bach qu’elle acheva sa prestation, dans la lumière sereine, évidence de la béatitude. Le tirage au sort l’avait placée en première position. Chacun de ses successeurs s’efforcera de relever le défi, et aucun de déméritera. Kieran White, ténor anglais, qui passera le dernier, fera forte impression lui-aussi. Le « Deposuit » du Magnificat de Bach a-t-il été aussi bien chanté ? Il est permis d’en douter. La plénitude radieuse du « O quam pulchra » de Monteverdi (SV 317), où la voix est soutenue par la basse continue, est touchante. Enfin, « Every Valley », du Messie, confirme le talent du chanteur. L’émission, bien timbrée, puissante, le soutien, la longueur de voix, l’articulation, tout est là, avec une appropriation du texte digne des plus grands. Il sera récompensé par le deuxième prix. Le troisième, tant dans l’ordre de passage qu’au palmarès, est Nicolas Kunzelmann, jeune contreténor français, au timbre coloré. Il se joue des traits de l’Orlando furioso, déjà illustré par la première candidate. Autre contre-ténor, à l’émission d’une rare pureté, le Belge Logan Lopez Gonzales rafle le prix du public, pleinement mérité, voix large, égale, agile, avec un sens dramatique exceptionnel, toujours juste. Un nom à retenir. Sans vouloir énumérer les mérites de chacun, il faut mentionner la prestation d’une soprano allemande, Johanna Pommranz. La maitrise technique, servie par une voix au riche ambitus, et un tempérament indéniable nous auront valu un spectaculaire « In furore » de Vivaldi (RV 626), suivi de la plus rare Canzonetta de Barbara Strozzi. Beau programme, illustré avec maestria, qui aurait pu lui valoir un accès au podium… Imanol Iraola, beau baryton de 25 ans, ne démérita pas davantage, mais c’est le propre de tout concours de sélectionner.
Le nombreux public, enthousiaste, ne ménagea pas ses ovations, et le bonheur de cette cuvée, comme de la formule de l’accompagnement grandeur réelle, était unanime. Quant au prochain festival, qui soufflera ses vingt-cinq bougies, il se déroulera du 21 mai au 2 juillet 2022.