Environ 800 chanteurs auditionnés dans 51 villes du monde entier ; 121 d’entre eux invités à Jurmala, dont 52 qualifiés en demi-finales pour au bout du compte ne sélectionner que 9 finalistes. Pourquoi un chiffre aussi modeste alors que les éditions précédentes convoquaient en finale une quinzaine de candidats et que le palmarès de cette 42e Belvedere singing competition distingue plusieurs demi-finalistes ? Ce n’est pas la seule question que l’on se pose à l’issue de cette édition lettone, la troisième dans l’histoire du concours.
Pour l’ultime épreuve, avantage semble avoir été donné aux grands formats vocaux, au détriment de larges pans du répertoire. Contre-ténor baroqueux, mezzo-sopranos belcantistes, coloratures aux ailes de libellule, passez votre chemin ! L’art de la nuance, la recherche de subtilités expressives, les figures de style ne sont pas cette année les premières qualités requises. C’est pourquoi Matthew Cairns, ténor canadien à la stature de Siegmund – qu’il chantera sans nul doute un jour –, dénote au sein d’une sélection que la direction offensive de Mārtiņš Ozoliņš entraîne dans une course aux décibels. Son air de la fleur ne se satisfait pas d’être articulé, intelligible du premier au dernier mot, il est conduit d’une voix égale à l’émission naturelle, assise sur un médium solide, et animée d’une somme d’intentions dictées par le texte : des contrastes, des effets de volume, une recherche de couleurs et le fameux si bémol aigu sur « une chose à toi » diminué comme il se doit. Voilà le troisième prix, le prix de la presse internationale, et notre révélation de la soirée devant Artur Garbas, baryton américain qui, en dépit de quelques syllabes écrasées, agite bravement la muleta d’Escamillo, dans un français correct, où chaque mot est non seulement compréhensible mais compris, où bravoure et séduction – les deux visages du matador – alternent sans que l’un prenne le pas sur l’autre. A se demander pourquoi il repart les mains vides. Le troisième nom à rapporter dans ses bagages est celui d’Etīna Saulīte, soprano lettone de 18 ans à la maturité vocale stupéfiante compte tenu de sa jeunesse. Il est encore trop tôt pour prétendre à un prix autre que celui de notre regrettée Jane Carthy, décerné à un jeune potentiel, mais que de promesses délivrées par une Mimi plus vraie que nature, modeste, simple, sincère. Timbre à la saveur de pêche blanche, conduite du chant soignée… Il lui reste à s’affranchir de quelques duretés et parvenir dans les hauteurs de sa tessiture à l’allègement nécessaire pour éviter l’ennui qui, on le sait, nait de l’uniformité.
© Dzintari Concert Hall – Pauls Zvirbulis
Récompensé par le premier prix, le baryton coreen Jungrae Noah Kim suscite peu de discussions. Une fois échauffée, la voix se libère, longue, saine. Le métal est noble. La technique solide lui permet d’assumer le dernier air de Posa, sans excès de sentiments cependant… C’est beaucoup. Est-ce assez pour retenir durablement l’attention ? Le jury l’a estimé.
« Che gelida manina » touche aux limites de Daniel O’Hearn, récompensé par le deuxième prix. Le chanteur américain n’est pas – à en juger sur ce seul air – ténor lyrique à la quinte aiguë rayonnante mais plutôt ténor di grazia qui doit enrichir son vocabulaire expressif, raffermir son aigu et étoffer son medium au contact de rôles moins exigeants pour prétendre à l’échelon supérieur. Nemorino assurément. Au-delà, aujourd’hui est-ce bien raisonnable ?
La faveur du public s’est portée sur le baryton swazilandais, Thando Zwane qui vocifère « Alzati, là tuo figlio » à la manière d’un sortilège vaudou. Chant impressionnant, terrifiant même, d’une puissance redoutable mais aux consonnes avalées, comme privé d’arêtes, ce qui, passées les imprécations, s’avère préjudiciable au cantabile. Souhaitons que l’engagement gagné au Staatstheater de Wiesbaden l’aide à sculpter cette matière encore brute.
Doté d’une belle voix de ténor lyrique, Hwapyeong Gwon se fourvoie dans la cavatine de Faust dont il malmène la prosodie, sans apparemment comprendre un traître mot de ce qu’il chante, plutôt bien d’ailleurs. Daniel Noyola surjoue un Leporello à l’aigu fragile et Teona Todua, que l’on a applaudie à Paris cette saison dans L’Enfant et les sortilèges et dans Street Scene, met en péril la justesse de son soprano léger en se confrontant prématurément à Micaëla.
L’année prochaine, la finale de l’International Hans Gabor Belvedere Singing Competition aura lieu en Suisse, au Stadttheater Bern.