Voici un concert donné le jour de la Saint Sébastien, mais en l’honneur de la patronne des musiciens depuis le XVIe siècle, Sainte Cécile autour de laquelle est construit le programme. Marc Minkowski s’offre d’ailleurs le plaisir d’introduire brièvement chacune des œuvres avec bonhomie, et de souligner l’inexorable marche du temps et des styles musicaux. Le tryptique est si différent qu’il convient d’apprécier quasi séparément les pièces. Quitte à rompre le suspens, les Musiciens du Louvre – Grenoble ont été superlatifs chez Haendel et Haydn, et peu dans leur tasse de thé chez Purcell.
La vaste ode Hail! Bright Cecilia de 1692 a quelque peu éclipsé les autres odes à Sainte Cécile, de moindre ampleur, que Purcell composa tels Raise raise the voice (vers 1685), Welcome to all the pleasures (1683) ou Laudate Ceciliam (1683). Marc Minkowski a pris le parti d’une largesse monumentale qui se révèle vite pesante, gommant les subtilités de la partition au profit d’une fresque pompeuse. La Symphony d’ouverture, aux tournures musclées, débouche sur un « Hail! Bright Cecilia » digne d’accueillir de royaux passagers descendant de la coupée du HMV Victory. On ne reconnaît guère l’écriture contrapuntique et délicate de Purcell dans ses phrasés d’une certitude envahissante, gonflé d’une ardeur triomphante presque effarante que l’on retrouve dans le chœur conclusif. Entre-temps, les airs souffrent d’une sophistication artificielle et d’un orchestre hypertrophié que les excellents solistes ne parviennent pas à sauver. Ajoutons que les instruments obligés, notamment les hautbois, se révèlent d’une justesse approximative. Et l’on oubliera très vite ce faux départ, d’où ne réchappe que le ténor puissant et noble d’Andres J. Dahlin (superbe « ’tis Nature’s voice »), décidément prédestiné à des rôles de haute-contre de tragédie lyrique au vu de l’élégance de sa diction et de son émission stable.
Heureusement, passé ce moment de déconvenue, Marc Minkowski se lance corps et âme dans l’Ode for Saint Cecilia’s Day de Haendel, confirmant une fois encore l’incroyable aisance et l’indéniable affinité que le chef entretient avec l’écriture rythmée du caro Sassone. L’orchestre, surdimensionné et boursouflé chez Purcell, sied alors comme un gant à Haendel, avec une ouverture d’une vitalité communicative, où les Musiciens du Louvre font preuve d’une cohésion sans faille qui ne les quittera plus. La marche qui suit l’air guerrier « The trumpet’s loud clanger », d’une puissance d’airain, les instruments obligés joueurs – notamment le violoncelle virtuose du continuo – concourent à une impression de fluidité sonore, où les timbres rivalisent de couleurs. Le livret, quoique contemplatif et allégorique, donne l’occasion à Minkowski de s’adonner à une lecture d’une musicalité très théâtrale. Et le chef ne se prive pas d’insuffler une énergie peu commune à « The trompet’s loud clangor » ou « Orpheus could lead the savage race ». A l’inverse, les contrastes sont accentués, insistant sur la douceur alanguie de « The soft complaining flute » (à la cadence du flûtiste assez décevante) et surtout l’aérien « But oh! What art can teach » où Lucy Crowe capture l’auditeur dans les charmes d’une voix veloutée et agile, bien qu’avare de couleur et un peu crispée dans les aigus. « What passion cannot music raise and quell! » accompagné d’un violoncelle élégiaque fait valoir son beau médium, même si la projection gagnerait à être plus stable. Richard Croft, imperial, laisse quant à lui admirer un timbre chaleureux et rond, doté d’une rayonnante humanité. Dès le premier récitatif « From harmony » déclamé avec la componction d’un Evangéliste bachien, la technique est sans faille, la projection forte sans être forcée, les articulations naturelles. Si « Orphée commandait aux bêtes féroces » par les pouvoirs de sa lyre, Croft pourrait faire de même avec cette voix rassurante et inébranlable, même dans les affres de pacotilles du « Sharp violins proclaim ».
Enfin, changement d’époque avec la Missa Cellensis de Haydn, interprétée avec ferveur et enthousiasme dans la version du Manuscrit de Turin (où figurent uniquement le Kyrie et le Gloria, sous forme de Missa Brevis donc). Exit la basse continue, les flûtes et les hautbois, les instruments obligés et le dialogue constant entre les voix et l’orchestre pour une palette qui fait la part belle à la mélodie. Si le « Kyrie » a manqué de liant entre les pupitres du chœur, ce dernier s’est rattrapé dans le « Cum Sancto Spiritu » impressionnant de certitude monolithique. Visiblement plus à l’aise dans ce répertoire, Lucy Crowe livre un « Laudamus te » élégant et très orné, de même qu’un « Quoniam tu solus Sanctus » aux coloratures virtuoses. La courte intervention de Nathalie Stutzmann dans le « Domine Deus » laisse le souvenir d’une voix cuivrée, flottante, plutôt tournée vers la scène que l’autel. Enfin, l’ « Et incarnatus est » offert en bis, chanté comme dans un souffle immatériel par un Richard Croft en totale lévitation valait à lui seul les applaudissements nourris qui conclurent cet hommage à une martyre mal décapitée.