Les derniers attentats parisiens sont encore trop récents pour ne pas continuer de rendre au début de chaque concert un hommage aux victimes. A la Cathédrale Saint-Louis des Invalides en ce jeudi soir, le choix s’est porté non sur La Marseillaise mais sur Pavane pour une infante défunte, « la musique la moins violente du compositeur français le plus joué au monde », commente Raphaël Merlin, jeune chef d’orchestre, transfuge du Quatuor Ebène. Auparavant, le directeur du Musée de l’armée, le Général Christian Baptiste avait pris la parole pour expliquer qu’après s’être posé la question d’annuler ou non la soirée, il avait été décidé de la maintenir, pour ne pas jouer le jeu des terroristes, pour « prendre du plaisir », en signe de résistance.
Prenons alors du plaisir avec ce programme joyeusement axé sur Rossini, Donizetti étant l’exception qui confirme la règle. Existe-t-il musique plus pétillante pour conjurer les affres de ces derniers jours ?
Prenons du plaisir avec Karine Deshayes qui aime ce répertoire, en connaît les codes et sait en surmonter les difficultés comme peu d’artistes en France. Cenerentola et Rosina font partie de son ordinaire scénique depuis plusieurs années ; elle fut Elena dans La donna del lago en alternance avec Joyce DiDonato à l’Opéra de Paris. Elle a éprouvé ces rôles dans leur moindre contours, cela se voit, cela s’entend. Les reprises des airs sont variées. L’ornementation, intelligemment adaptée à ses possibilités, s’avère flatteuse pour un aigu radieux. La voix n’a jamais paru aussi épanouie, veloutée, colorée, épurée, souple d’une souplesse acrobatique lorsque dans les passages les plus véloces, elle s’autorise des roulades savamment contrôlées ou d’intrépides sauts d’octave. Que la musique s’apaise et c’est la plastique du son qui frappe, la rondeur avec laquelle chaque note se détache, galbée, précise, dût la prononciation en souffrir, dût l’expression parfois en pâtir. « Bel raggio lusinghier » peut sembler placide, s’agissant de l’élan amoureux d’une reine de Babylone, et les paroles de L’Ame délaissée, l’une des quelques mélodies composées par Rossini après sa retraite prématurée, ne sont pas faciles à comprendre pour qui ne les connaît pas déjà. Mais la grande scène de Desdemona au troisième acte d’Otello étirée sur le souffle, soutenue par une harpe éloquente, a des vertus consolatrices et une canzonnetta spagnuola, flamboyante, apporte la preuve d’un tempérament dont Semiramide précédemment avait pu faire douter.
Prenons du plaisir lorsque Sébastien Droy laisse couler sincèrement la « furtiva lagrima » de L’elisir d’amore. De Nemorino, le ténor français a la simplicité débonnaire et le respect d’une ligne que Donizetti exige tracée sans trembler. Rossini avec ses soubresauts est moins sa tasse de thé.
Prenons du plaisir enfin en découvrant les Forces Majeures, jeune orchestre à « géométrie variable » qui rassemble des non moins jeunes instrumentistes de premier plan. Leur force réside précisément dans cette jeunesse incarnée par leur directeur musical, Raphaël Merlin, 33 ans tout de même mais une silhouette de gamin et une direction à son image, svelte, délicate, élancée, fragile apparemment. Méfions-nous des apparences : les deux tempêtes symphoniques extraites de La Cenerentola et du Barbiere di Siviglia montrent que cette baguette encore tendre peut si elle le veut déchaîner les éléments.