Alors que les productions du Songe d’une nuit d’été semblent se multiplier, sans doute est-il difficile pour chaque metteur de renouveler le propos. Certains y parviennent néanmoins : à Genève, à l’automne dernier, Katharina Thalbach avait proposé une lecture personnelle, aidée par le décor monumental d’Ezio Toffolutti. Pour sa troisième version du chef-d’œuvre shakespearien de Britten (après Buenos-Aires en 2006 et Nice en 2008), Paul-Emile Fourny ne semble pas avoir échappé à l’emprise de la version Carsen, désormais référence incontournable, reprise l’été dernier à Aix et bientôt exportée en Chine. On a même l’impression qu’il a voulu se montrer plus carsénien que Carsen : sol vert d’où sortira un drap blanc à la fin du deuxième acte pour couvrir les couples d’amant, ciel bleu (qui ne remplace le fond noir qu’à certains moments de l’action, sans que l’on comprenne exactement pourquoi), mais en plus, accumulation de chaises comme dans la Semele aixoise du Canadien, rangées ou en désordre. Avec peut-être une touche plus spécifiquement propre à Louis Désiré : ces chaises entassées forment un monticule en fond de scène, avec le berceau de Tytania à mi-hauteur, et un perchoir au sommet pour Oberon et Puck. Mais si l’identité visuelle du spectacle doit beaucoup à Carsen, Paul-Emile Fourny s’en éloigne pour sa direction d’acteur, qui prend soin de distinguer les trois groupes de personnages : magie du théâtre pour les esprits, bouffonnerie pour les artisans, et sans ironie aucune pour les couples d’amoureux, alors que la mythique production aixoise pimentait ceux-ci d’une bonne dose de dérision. Cette dérision était sans doute salutaire car les affrontements des amants paraissent bien longs dès qu’ils sont pris au premier degré. Et ce n’est pas non plus des interprètes que viendra le salut, car ils peinent à conférer une véritable personnalité à leurs personnages. Si Isaiah Bell possède un charmant timbre de ténor, Igor Gnidii compose un Demetrius un peu trop sérieux. Quant aux deux demoiselles, le mezzo court, aux graves peu sonores, de Mariana Rewerski ne se distingue pas assez du riche soprano de Valérie Condoluci (et l’on note une fois encore, après les tenues dont il avait affublé Carmen à Orange, que Louis Désiré costumier ne flatte guère la silhouette de ses héroïnes).
Du côté des artisans, les silhouettes sont croquées de manière plus saillante, entre le Bottom remuant de Gustavo Gibert et le Flute à la Jean Benguigui d’Osvaldo Perroni (deux chanteurs argentins déjà présents en 2008 dans le Songe niçois de Paul-Emile Fourny), sans oublier le Starveling aux jambes perpétuellement serrées d’Antoine Chenuet. Mischa Schelomianski est un Quince aux graves généreux, et Thomas Roediger un Snug ahuri à souhait, mais curieusement, leur représentation ne suscite pas chez le public l’hilarité que d’autres versions avaient su inspirer.
© Arnaud Hussenot / Opéra-Théâtre de Metz Métropole
Vocalement, la distribution est incontestablement dominée par le roi et la reine des fées. Avec Fabrice di Falco, le rôle d’Oberon retrouve toute l’étrangeté qu’on aurait pu croire perdue du fait de la banalisation des voix de contre-ténor par rapport à l’époque de la création de l’œuvre : sa diction fielleuse et sa maîtrise du vibrato lui permettent de composer un esprit inquiétant. Avec une grâce de ballerine digne d’une Audrey Hepburn, la Tytania de Mélanie Boisvert est un enchantement, par ses vocalises ciselées et l’élégance de son incarnation (il est à noter – c’est devenu si rare – que cette production s’abstient de toute gesticulation graveleuse autour de la transformation de Bottom en âne). Jadis Comte Ory à l’Opéra-Comique du temps de Pierre Médecin, Scott Emerson évolue désormais surtout dans le monde de la comédie musicale, mais sa présence en Puck nous vaut une diction impeccable du texte shakespearien ; on est moins convaincu par l’idée de le faire changer de costume quasiment à chaque nouvelle apparition.
A la tête d’un Orchestre national de Lorraine précis dans ses interventions, dans une partition qui fait la part belle aux cuivres et aux percussions, le chef américain David T. Heusel sait admirablement faire respirer la musique de Britten, soulignant des détails ici et là, amenant avec maestria tel crescendo (pour le réveil de Tytania au troisième acte, notamment), et impose un rythme exceptionnellement rapide au final, qu’on entend soudain bien différemment, avec les voix admirablement préparées du Chœur d’enfants du Conservatoire de Metz.
On espère que ce spectacle connaîtra une seconde vie, repris dans d’autres maisons d’opéra, ce qui permettrait d’en approfondir certains aspects tout en en préservant les qualités.