À l’ère élisabéthaine, le spectateur qui se serait rendu à la première représentation de A Midsummer Night’s Dream de William Shakespeare comme nous avons fait de même pour cette première à l’Opéra de Tours, nous aurait dit qu’il allait écouter la pièce (listen) et non pas la voir (see). Il aurait pourtant été dommage d’aller à cette production tourangelle les yeux fermés. Certes, la musique envoûtante et mordante de Britten se suffit à elle-même, et cela malgré quelques couacs des cuivres à l’orchestre et des glissandi aux cordes parfois périlleux. Toutefois, Benjamin Pionnier dirige d’une main sûre l’Orchestre Symphonique Région Centre-Val de Loire. Le maestro qui va bientôt fêter son premier anniversaire à la tête de l’Opéra de Tours maîtrise cette partition difficile et sait dompter un orchestre en l’invitant aux nuances.
Avec Jacques Vincey à la mise en scène et Mathieu Lorry-Dupuy aux décors, il était évident que ces deux habitués du poète élisabéthain prendraient grand soin de la prose et de l’univers shakespearien, mais quid de Britten ?
Dès le lever du rideau le ton est donné. Un visage poupin cerné de cheveux roux bouclés nous fixe et nous invite à plonger dans ce royaume inquiétant où l’on devine la présence de petits esprits qui nous épient, cachés dans les ténèbres de la forêt. L’enfant, sujet si cher à Britten, sera le fil rouge du spectacle : innocent témoin des événements, objet de désir et de déchirement ou jouet des adultes, il est à la lisière des consciences et suscite tendresse ou terreur.
Dans cette optique, Jacques Vincey se fait un point d’honneur de mettre en valeur le chœur de la Maîtrise du Conservatoire Francis Poulenc, tant par sa force symbolique que par sa quasi-omniprésence sur scène durant tout le spectacle, même lorsque celle-ci n’est pas indiquée. Ainsi, les enfants vont assister à la Farce tragique du dernier acte avec les trois couples d’amants, leur laissant la possibilité de voir le spectacle de la scène plutôt que des coulisses. Ce passage très drôle devient alors un petit moment de fraîcheur quand certains enfants tentent de cacher tant bien que mal leurs rires sincères face aux pitreries d’un Marc Scoffoni en grande forme dans la peau d’un Bottom plutôt attachant, ou d’un Carl Ghazarossian, au jeu peut-être plus exagéré mais à la voix capable de toutes les prouesses. Les autres rustres (Éric Martin-Bonnet, Raphaël Jardin, Yvan Sautejeau et Jean-Christophe Picouleau) sont tout à fait en cohésion avec leurs deux comparses même s’ils semblent être davantage « mis en danger » par la partition, à en juger par les (trop?) nombreux regards jetés à Benjamin Pionnier pour les départs. On regrette également que Vincey se soit un peu trop « reposé » sur le texte et les situations déjà immensément drôles de Shakespeare et n’ait pas plus incorporé d’idées propres dans la mise en scène de la Farce tragique. Il est vrai que le livret se suffit à lui-même au vu des rires francs déclenchés dans la salle.
© Marie Petry
Pris à part, les décors, les costumes (Céline Perrigon) et certains accessoires – les perruques des enfants surtout – sont esthétiquement discutables mais mis en commun et juxtaposés ils se complètent et forment un ensemble harmonieux. Très vite, nos yeux prennent les lamelles de plastique noir pour des arbres et la bâche qui recouvre la scène pour de la terre boueuse. Ces trompe-l’œil ne sauraient fonctionner sans le superbe travail réalisé sur la perspective ni sur celui des lumières, dont l’ouvrage minutieux et inspiré de Marie-Christine Soma doit être particulièrement souligné.
Dans cette forêt, le plus shakespearien des adolescents, le Puck de Yuming Hey, court et vole avec aisance, parle anglais avec une verve insolente et commande aux petits soldats du chœur. Adolescent, il l’est par son regard clairvoyant sur le monde des adultes, mais reste cloisonné dans celui de l’enfance à cause de son attachement maladif pour Oberon. Ce dernier est campé par Dmitry Egorov, contre-ténor russe à la voix sûre et superbe tant dans les graves que dans les aigus, roi des fées plus autoritaire et menaçant que paternel. Dans l’impitoyable couple royal exploitant les petites fées, Marie-Bénédicte Souquet est une Tytania tyrannique aux aigus perçants qui n’est pas sans rappeler la grande méchante mozartienne de la Flûte Enchantée.
Les scènes qui se déroulent dans l’univers humain sont peut-être plus redondantes malgré la qualité des interprètes. Le couple Lysander-Hermia fonctionne toutefois moins bien que le couple Demetrius-Helena, le premier semblant moins amoureux que le second. Ceci n’enlève rien aux qualités vocales de Majdouline Zerari qui nous offre une voix généreuse et plus sensible que Peter Kirk, au timbre affirmé mais plus dur. Deborah Cachet déploie toute sa connaissance du répertoire baroque anglais en nous servant une ligne de chant toujours soignée et Ronan Nédélec est un Demetrius tantôt méprisable tantôt pitoyable dont la voix puissante souligne bien les différents sentiments dans cette quête initiatique et somnambulique. Le Theseus de Thomas Dear est physiquement imposant mais ne convainc pas tout à fait vocalement tandis que l’Hippolyta de Delphine Haidan s’impose plus dans les médiums que dans les graves tout en assurant une présence physique digne d’une reine des Amazones.
Les humains sortis victorieux de leur quête initiatique, l’opéra se ferme sur notre petit garçon joufflu, bientôt rejoint par Puck et les enfants. Tous nous fixent et chantent le dernier chœur de l’œuvre, comme pour nous rappeler la présence de cet enfant que Britten chérit tant. Celui que nous avons enfoui au plus profond d’une forêt et qui parfois, au détour d’un songe, se rappelle à nous.