Même si ce n’est l’aspect de son œuvre qu’on connaît le mieux, Ralph Vaughan Williams a composé plusieurs opéras, dont Sir John in Love (1929), qui traite la même intrigue que le Falstaff de Verdi. Ils ne se sont guère exportés hors des pays anglophones, à l’exception récente de Riders to the Sea (1937), donné à Reims et en région parisienne en 2006, puis repris à Rennes en 2008. En dehors d’une production brésilienne en 2006, The Pilgrim’s Progress a surtout été joué en Angleterre, un peu aux Etats-Unis, et une fois en Australie, en 2008, cette dernière version étant due à la passion qu’avait pour cette musique le regretté chef britannique Richard Hickox, à qui l’on doit l’un des deux enregistrements de l’œuvre et sa trois dernières grandes interprétations au Royaume-Uni. Dans la plupart des cas, le dernier des cinq opéras de Vaughan Williams fut donné en version de concert, ou sous une forme semi-scénique, alors que le compositeur jugeait son Voyage du pèlerin « absolutely theatrical », inimaginable sans décors et costumes. A d’autres moments, il concéda qu’il s’agissait sans doute « plus de cérémonie que de théâtre », invoquant l’exemple de Parsifal. De fait, c’est bien la question qui se pose au spectateur au terme de ces représentations à l’English National Opera : ce Pilgrim’s Progress est-il vraiment un opéra, au même titre que The Rake’s Progress, pour citer une œuvre à peu près contemporaine mais avec lequel il n’a que le mot de Progress en commun ? Et si belle que soit la musique, la réponse risque fort d’être négative, tant cette œuvre semble pouvoir, ou même devoir se dispenser de réalisation scénique.
La faute n’en incombe sans doute pas à Yoshi Oïda : l’homme de théâtre japonais, qui s’est fait connaître à l’opéra avec un splendide Curlew River à Aix, et qu’on a retrouvé il y a peu à l’Opéra-Comique pour Les Pêcheurs de perles, a fait de son mieux pour animer le spectacle. Certains morceaux de bravoure sont particulièrement réussis, comme la scène de Vanity Fair, l’un des rares passages réellement théâtraux de l’œuvre, ici devenus un grand moment carnavalesque qui prend pour principe la confusion des sexes, avec un Lord Lechery arborant un costume mi-homme mi-femme (bravo à Sue Willmington). La lutte contre le géant Apollyon est également réussie, le monstre tombant des cintres sous l’aspect d’un monticule de déchets qui s’anime lors que les figurants-machinistes omniprésents en deviennent les marionnettistes. En dehors des ces deux scènes, il n’y a pas grand-chose à se mettre sous la dent. Même si les décors de Tom Schenk – de grandes parois métalliques rouillées qu’on croirait empruntées aux Troyens de David McVicar, percées de portes et surmontées de hautes grilles – ne cessent de bouger pour se reconfigurer différemment, il n’y a tout simplement pas d’action dramatique à montrer.
Ne reste alors qu’à savourer les beautés de cette musique ; par bonheur, elles sont grandes. Y brille au premier plan le chœur de l’ENO, magnifique, sonore, soutenu par un orchestre lui aussi en grande forme, d’où se détache un trompettiste qui apparaît en scène au début de l’acte II. Vaughan Williams a composé là un superbe oratorio, où il n’y a rien à jeter. Plus qu’à la prestation d’Ann Murray, qui revient sur la scène de ses triomphes de jadis par une toute petite porte (bien que cumulant trois rôles, elle n’a guère à chanter, et la voix semble désormais beaucoup bouger dès qu’on s’élève sur la portée), on s’intéressera à toute l’équipe qu’a su réunir l’ENO autour de Roland Wood, vigoureux pèlerin à la voix puissante, dans un rôle qui sollicite beaucoup le bas de la tessiture. Beaucoup de voix graves autour de lui, à commencer par l’Evangéliste également baryton, incarné avec une belle sobriété par Benedict Nelson, au timbre distinct de celui de son confrère. Aidé par un porte-voix, Mark Richardson n’a aucun mal à faire forte impression en Apollyon, alors que George von Bergen étonne par un vibrato qui, dans les aigus, semble beaucoup trop prononcé pour un jeune chanteur. Parmi les ténors, à côté de Timothy Robinson, habitués aux rôles de caractère, on admire surtout la prestation impressionnante d’autorité de Colin Judson en Lord Lechery. Les voix féminines ont moins l’occasion de camper un personnage, sauf Kitty Whately à qui échoit le bel air du Woodcutter’s Boy, ici devenu une cantinière de prison distribuant la soupe aux détenus.
Version recommandée :
The Pilgrims Progress | Ralph Vaughan Williams par Richard Hickox