Il Barbiere di Siviglia est-il incapable d’amuser le public contemporain si on ne l’assaisonne pas de gags destinés – on le suppose – à soutenir la faiblesse comique du livret et la verve de la musique ? Cela semble la conviction de Mazzonis di Pralafera, qui signe la mise en scène de cette production venue de Liège, où il les accumule jusqu’à accaparer l’attention pendant les numéros musicaux, tant et si bien que Rossini devient son faire-valoir. Cela étonne, pour quelqu’un qui se flatte d’avoir collaboré au Festival de Pesaro. Cette référence – qui n’apparaît pas dans les archives de la manifestation – est-elle censée lui conférer l’estampille de spécialiste du compositeur ? Il est d’autant plus déconcertant que son spectacle ait si peu à voir avec l’analyse du Barbiere publiée par Alberto Zedda à l’occasion du bicentenaire de la naissance de Rossini.
Peu cohérente dans sa conception – décor et costumes affichent dès l’ouverture un parti pris de réalisme ancré dans la réalité sévillane qui sera vite oublié pour une esthétique de bande dessinée – la production semble n’avoir d’autre horizon que l’enchaînement de trouvailles scéniques, comme si texte et musique avaient besoin d’épices pour plaire aujourd’hui. Le cas n’est pas unique ; mais comme à chaque fois c’est au détriment de l’attention à la musique que s’exercent ces inventions. Ainsi on est distrait par un Ambrogio obèse à la mèche récalcitrante, par les incessantes facéties d’un Figaro qui deviendra Superman avant de coiffer Bartolo à l’Iroquois, par les grimaces d’une Rosine qui y perd sa dignité, par l’irruption du Samu venu secourir Basilio… Cela n’en finit pas, jusqu’à l’inscription lumineuse nichée dans le pantalon à pont. Cette inventivité néglige aussi le livret : comment le soupçonneux Bartolo pourrait-il accorder sa confiance à ce Basilio sulfureux ? Et comment ce dernier, voué à la dissimulation, pourrait-il avoir le look voyant d’un Freddie Mercury ? Peu pertinente aussi la queue de paon dont le costumier dote Almaviva pour qu’il fasse la roue au moment où il révèle son identité : en connaissant Rosine le séducteur volage en chasse d’une conquête de plus s’est transformé en homme qui s’engage solennellement, sans une once de vanité ou de frivolité. Quant à l’apparition de Rossini statufié semblant donner sa bénédiction au spectacle, trouvaille en soi séduisante mais ici impudente, elle nous a fait penser à La Fontaine et au Geai qui se pare des plumes du paon…
Réduite à la fonction de base rythmique aussi souvent que possible, la musique ne reçoit pas de Nicolas Krüger les ailes et la sensualité qui font de l’œuvre un régal de gourmet. Brillant naguère dans Offenbach, le chef n’est ici qu’appliqué. En outre il semble s’être résigné à ce qui parfois tourne au concours de décibels entre chanteurs, ce qui ne sert ni la musique ni le bel canto, et il a accepté un clin d’œil crûment racoleur quand le chœur – qui tire son épingle du jeu – fait son entrée au final du second acte sur l’air de « A Toulon tous les matelots … »
Dans le court rôle de Fiorello la prestation de Paolo Orecchia est satisfaisante, celle de Cécile Galois en Berta est polluée par des présences qui explicitent le sens de son air, dont tous les aigus ne sont pas sans risque. Andrea Mastroni, déguisé en avatar dérisoire du diable, est la vraie basse requise pour Basilio si bien qu’il chante sans grossir le trait. Le Bartolo d’Elio Fabbian, depuis Vicenza en 2008, est mieux maîtrisé vocalement mais la présence scénique, en dépit d’un physique imposant, n’a pas l’ambiguïté qui donne une épaisseur au personnage, traité ici en fantoche. Familier du rôle d’Almaviva, Sébastien Droy lui prête beaucoup d’élégance physique et vocale, avec un chant très nuancé ; cependant l’agilité atteint ses limites dans les passages rapides et l’épineux « Cessa di più resistere » passe à la trappe. Pour sa Rosina l’Opéra de Toulon a choisi encore une fois un soprano, Anna Kasyan. S’il n’est pas surprenant qu’elle soit à la peine pour certains graves, il n’en est pas moins vrai que dans le final du premier acte ses aigus forte sonnent stridents. Entre les deux, ce qu’on entend est joli, mais ne captive pas. Quant au personnage – on suppose qu’elle s’acquitte de ce qu’on lui fait jouer – il n’a pas la dignité qui la fait supérieure à son tuteur et la rend respectable à Almaviva. Comme en 2008, Paolo Bordogna incarne Figaro. Nous avons dit assez de bien de lui alors pour ne pas faire part de nos craintes. La voix conserve son étendue enviable mais l’émission semble souvent forcée, avec par instants une dureté du son peu agréable et hors de propos dans ce répertoire. En outre le chanteur semble plus soucieux de performance que de musicalité, en particulier dans les ensembles. Quant au jeu, il semble avoir perdu de sa spontanéité vif-argent, et sent désormais son métier. Fatigue d’un soir ? Nonobstant, il rafle la mise.
Le public est enthousiaste. Pourtant, ce spectacle confirme que tout le travail accompli depuis près de cinquante ans pour que la musique de Rossini soit traitée à sa juste valeur n’a pas encore porté ses fruits partout. Constat rendu plus amer par l’origine du metteur en scène. On n’est jamais trahi que par un des siens !