On ne s’étonnera pas que le festival Berlioz consacre une soirée au bel canto si l’on sait que l’édition 2012, placée sous le signe de « Berlioz et l’Italie », rend hommage à la fascination du compositeur pour les voix et les mélodies transalpines (c’est d’ailleurs en toute logique le Carnaval romain qui a ouvert les festivités cette année).
Ce mercredi 29 août, le ciel se couvre peu avant le début du concert donné dans la cour du château Louis XI de la Côte-Saint-André : protégés de la pluie mais non du bruit du ruissellement et du tonnerre, les musiciens de l’Orchestre des Pays de Savoie, placés sous la direction de Nicolas Chalvin, ont donné de l’ouverture du Barbier de Séville une interprétation enlevée et plaisante, dans des circonstances particulières qui en diminuaient inévitablement l’intensité sonore. Obligé de tendre l’oreille, on relève cependant des qualités de finesse et des nuances subtiles que l’orchestre sait donner à un morceau archiconnu. L’atténuation relative des bruits extérieurs parasites permet ensuite d’apprécier mieux encore les airs de ballets extraits de La Vestale et l’ouverture de L’Italienne à Alger. Rappelons que le Festival Berlioz, dont la première édition, lyonnaise à l’époque, date de 1979, est organisé depuis 1994 dans la ville natale du compositeur, et se déroule depuis 2003 dans la cour du château Louis XI, sous une structure protectrice bienvenue un soir comme celui-ci, mais qui modifie les données acoustiques et explique sans doute les quelques décalages perceptibles par instants.
Comme un malheur n’arrive jamais seul, Karine Deshayes est annoncée malade. Mais, à la démonstrative satisfaction du public, elle a cependant accepté de donner le récital prévu, moyennant – hélas ! – un renoncement à la cantate Circé de Cherubini. Avec « Una voce poco fa », interprété avec moins de volume sonore qu’à l’accoutumée mais avec la maîtrise qu’on lui connaît et une technique parfaitement assurée, Karine Deshayes enchante d’emblée le public reconnaissant. La suite du concert confirme ce sentiment premier, même si la pluie, par moment, empêche d’entendre distinctement, au-delà des dix premiers rangs, l’ensemble des notes chantées. L’air d’Adalgisa est même accompagné d’éclairs et de tonnerre. Mais l’agilité de la voix, l’aisance qui confine à l’évidence dans les aigus, la facilité à descendre sans faillir jusqu’aux notes les plus graves – toutefois moins audibles – ravissent et émerveillent. L’émotion que procurent tous les airs interprétés fait oublier les conditions météorologiques peu favorables et l’exiguïté des sièges. Tout au long du concert, Nicolas Chalvin dirige avec beaucoup de sensibilité et de précision un orchestre de qualité, applaudi à juste titre. On aurait parfois attendu plus de brio dans les ouvertures, un peu plus d’éclat, mais les tempi choisis pour les airs sont parfaitement appropriés au lieu et au répertoire.
Une remarque concernant l’organisation, par ailleurs remarquable, du festival : il serait appréciable pour le public d’un tel récital de disposer des textes des airs, même s’il s’agit de morceaux très connus. Le programme distribué était sur ce point plutôt minimaliste.
Deux temps forts se dégagent de cette soirée : l’air de Roméo, « Se Romeo t’uccise un figlio » et « Tanti affetti », de la Donna del Lago, qui mettent en valeur la voix parfaitement calibrée, l’émission aisée, le timbre flatteur de Karine Deshayes. On apprécie également l’homogénéité et la rondeur des notes de passage, mais aussi l’expressivité et les nuances de l’interprétation, tandis que le corps de la cantatrice reste d’une sobriété – et même d’une simplicité – exemplaire sur scène. À ces deux moments plus intenses s’ajoute la belle surprise du bis offert au public : dans le rondo final de La Cenerentola, Karine Deshayes semble se jouer des difficultés techniques et, pour cette ultime prestation, tandis que l’orage s’est éloigné, donne pleinement le volume de ses aigus. Et il était juste qu’après avoir commencé par l’air qui lui avait valu le titre d’artiste lyrique de l’année 2011, elle terminât par celui qui lui avait permis de remporter le concours Voix nouvelles en 2002.